Affaire Benalla : le rapport du Sénat implacable avec l'Élysée

Après plus de six mois de travaux, la commission des lois du Sénat publie un rapport accablant pour Alexandre Benalla et pour l'Élysée, dont les "dysfonctionnements" et les "défaillances" sont mis à nu. Elle préconise notamment que l'ancien chargé de mission, incarcéré depuis mardi, soit poursuivi pour "faux témoignage". Dans le même temps, la présidence de la République a fait savoir qu'elle répondra à "beaucoup de contre-vérités" contenues dans ce rapport.
(Crédits : Reuters)

Le Sénat a rendu mercredi 21 février un rapport accablant sur les agissements d'Alexandre Benalla et les dysfonctionnements à la présidence de la République qui ont permis à cet ancien proche d'Emmanuel Macron de s'arroger des pouvoirs exorbitants, allant jusqu'à mettre en péril la sécurité du chef de l'État. Au terme de six mois de travaux, la commission souhaite qu'Alexandre Benalla soit poursuivi pour "faux témoignage" et invite le parquet à s'intéresser aux "incohérences" des propos de collaborateurs de l'Elysée, dont le secrétaire général, Alexis Kohler, sur les agissements de l'ancien chargé de mission.

Dans la foulée, le gouvernement a vivement réagi aux "contre-vérités" contenues selon lui dans le rapport de la commission d'enquête du Sénat - l'Elysée refusant pour sa part de le commenter "par respect de la séparation des pouvoirs".

Voici les principales conclusions et recommandations faites par la commission d'enquête sur cette affaire qui empoisonne le pouvoir depuis le mois de juillet dernier.

Des doutes sur l'efficacité des sanctions

Le chargé de mission de l'Elysée était surtout soupçonné, au départ, d'avoir commis des violences et d'avoir indûment participé au travail des forces de l'ordre sur la place de la Contrescarpe et au jardin des plantes, à Paris, en marge des manifestations du 1er-Mai. Alexandre Benalla a été licencié en juillet 2018 après la diffusion des premières révélations du Monde, plus de deux mois après les événements du 1er-Mai dont la hiérarchie élyséenne avait pourtant eu connaissance.

« Il n'y aurait pas eu d'affaire Benalla si une sanction appropriée avait été prise dès le 2 mai 2018 par le licenciement de l'intéressé et l'information du procureur de la République », a déclaré Philippe Bas, président de la commission du Sénat.

Les informations recueillies ont permis de démontrer que les sanctions appliquées à l'encontre d'Alexandre Benalla ont été moindres que ce que le porte-parole du président, Bruno Roger-Petit à l'époque, avait annoncé en conférence de presse le 19 juillet. Sa "mise à pied" de 15 jours tout comme celle du "gendarme réserviste" ne se sont « traduites par aucune conséquence financière immédiate pour les intéressés. »

Aussi, la rétrogradation dont Alexandre Benalla était censé avoir fait l'objet n'a été que « provisoire et compensée par l'attribution de nouvelles tâches » : il a pu participer à la cérémonie d'intronisation de Simone Veil au Panthéon le 1er juillet, aux cérémonies du 14 juillet, au retour de l'équipe de France de football le 16 juillet, et à divers déplacements privés du Président de la République.

Par ailleurs, Alexandre Benalla a conservé l'usage de ses passeports, qu'il a utilisés une vingtaine de fois après son licenciement, et d'un véhicule et a bénéficié de moyens renforcés avec l'attribution d'un logement de fonction à la mi-juin. Il continuait également à participer à la réflexion sur la mise en place de la future direction de la sécurité de la présidence.

Pour la commission, « ces décisions témoignent moins d'une volonté de sanctionner que de ménager dans l'immédiat l'exposition médiatique d'Alexandre Benalla dans un contexte immédiat ». Ses agissements ont "affecté" la sécurité du chef de l'Etat.

Une procédure pour "faux témoignage" à l'encontre de Benalla et Craze

Alexandre Benalla a été auditionné à deux reprises par les sénateurs, de même que Vincent Crase, réserviste de la gendarmerie et ancien salarié de La République en marche. Les deux hommes sont en détention provisoire depuis le 19 février pour violation de leur contrôle judiciaire.

La commission invite le parquet à s'intéresser aux « nombres d'omissions, d'incohérences et de contradictions » dans les propos de collaborateurs de l'Elysée, ciblant notamment le directeur de cabinet Patrick Strzoda, le secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler, et le chef du groupe de sécurité de la présidence de la République, Lionel Lavergne.

« La commission a pu établir que plusieurs personnes entendues ont menti sur le périmètre exact des missions qui étaient confiées à M. Alexandre Benalla », peut-on lire.

Alors que la note de service décrivant l'organisation de la chefferie de cabinet du président, datée du 5 juillet 2017, établit que la coordination des services de sécurité de la présidence de la République fait partie des missions confiées à Alexandre Benalla, le directeur de cabinet l'a nié, ses propos ont été confirmés par le secrétaire général et le chef du groupe de sécurité ne l'a pas mentionné.

Sur la chronologie de l'affaire d'autre part, les rapporteurs soulignent que le secrétaire général a déclaré avoir eu connaissance des événements de la Contrescarpe le 2 mai alors que le journal Le Monde rapporte un témoignage d'Alexandre Benalla selon lequel il l'aurait averti dès le 1er mai.

Les rapporteurs soulignent en outre que, contrairement aux affirmations des trois hommes, des éléments concordants laissent penser qu'Alexandre Benalla exerçait une mission de sécurité ou de protection rapprochée auprès du chef de l'État.

Si le bureau du Sénat suit la commission, le parquet devrait être saisi le mois prochain, a précisé mercredi matin sur RTL le président du Sénat, Gérard Larcher. En France, un faux témoignage devant la représentation nationale est passible d'une peine de cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende.

Les contrats russes

L'ancien chargé de mission est accusé d'avoir joué un rôle dans la conclusion de contrats de sécurité avec, notamment, un oligarque russe proche de Vladimir Poutine, Iskander Makhmudov, alors même qu'il travaillaient encore à la présidence. Cette affaire met au jour une « faute déontologique majeure », « un risque pour la présidence de la République et pour notre République » et « d'importants dysfonctionnements au plus haut niveau de l'Etat », selon une liste de griefs dressés par Jean-Pierre Sueur.

« Il est certain que la présidence de la République a péché par manque de précaution en ne prenant pas toutes les mesures qui paraissent absolument nécessaires pour s'assurer que les intérêts privés de certains de ses collaborateurs n'interféreraient pas avec l'exercice de leurs fonctions et ne compromettrait pas leur indépendance », a-t-il dit.

Belloubet invoque le respect de la séparation des pouvoirs

A la lumière des dysfonctionnements soulignés tout au long des 160 pages de son rapport, la commission formule 13 préconisations destinées à améliorer la sécurité du chef de l'Etat et la transparence de l'Elysée. Il est ainsi proposé de « mettre fin à l'expérience des collaborateurs 'officieux' du Président » tels qu'Alexandre Benalla et de « conditionner le recrutement » des collaborateurs « à la réalisation d'une enquête administrative ».

Des recommandations aussitôt fustigées par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, car elles ne respecteraient pas le principe de séparation des pouvoirs.

« À l'issue de ce rapport, je constate que beaucoup d'entre elles (recommandations) concernent l'organisation interne de l'Elysée, il me semble qu'on n'est pas complètement dans le respect de la séparation des pouvoirs tel qu'il est prévu dans la Constitution (...) La justice est aujourd'hui saisie de plusieurs enquêtes ou informations judiciaires, concernant les événements de la Contrescarpe, concernant la protection de la vie privée, concernant les contrats russes », a-t-elle ajouté. « Laissons la justice agir, c'est son rôle, cela aussi relève de la séparation des pouvoirs ».

Commentaires 18
à écrit le 22/02/2019 à 8:11
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Le Conseil Constitutionnel est-il fondé à s'auto-saisir pour siffler la fin de la partie? N'est-il qu'un "fromage" de la république? Un exécutif, qui s'est dévalué par ses petites phrases, ses cachotteries et, surtout, la crise des Gilets Jaunes, a-t...

à écrit le 22/02/2019 à 7:49
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De Gaulle avait déjà d'excellentes raisons de vouloir supprimer le Sénat. Pouvez-vous rappeler à vos lecteurs comment sont élus ces messieurs?

le 22/02/2019 à 17:08
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les français ont donné tort au général et qu'on est en démocratie. Ils ont bien vu en 68 que le vieux n'était plus en phase avec le pays et n'ont pas voulu lui donner trop de tentations de devenir un dictateur.

à écrit le 22/02/2019 à 5:48
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La "belle histoire" macroniène est finie, retour au réel, et il est particulièrement moche pour ce qui concerne la macronie. Une bonne nouvelle, la commission du Sénat a fait un remarquable travail dans le respect des Institutions.

à écrit le 21/02/2019 à 21:24
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Le banquier Jupiter est au dessus des lois et les députés LREM aussi. Le sénat est inutile car il n'a aucun pouvoir. Cela ne sert à rien de perdre de l'énergie: il est préférable de laisser l'exécutif continuer ses turpitudes et délits, et de suppri...

le 22/02/2019 à 11:24
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Vous ne pensez pas que chaque individu doivent être juger individuellement? Si la voisine de Brigitte Macron a une amende pour exces de vitesse vous lui tiendrez responsable? Il y a des manoeuvres politiques du senat. Le rapport est plein d'approxima...

à écrit le 21/02/2019 à 19:02
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Un premier ministre qui sort sur le perron de Matignon pour critiquer un rapport parlementaire, c'est du jamais vu et ça en dit long sur le fait que le sénat a tapé juste. Cette intervention est d'autant plus idiote que l'Elysée a déjà commencé à ...

à écrit le 21/02/2019 à 17:47
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Affaire Benalla : le rapport du Sénat implacable avec l'Élysée En même temps, Benalla faisait des affaires personnelles alors qu'il était payé par les contribuables ! En même temps, la macronie votait toutes les lois qui assoment les citoyens ...

à écrit le 21/02/2019 à 16:20
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Oui c'est le président lui même qui a déclaré:"le responsable c'est moi alors qu'il viennent me chercher" alors maintenant que les sénateurs l'on trouvé il ne peut pas se défiler il faut qu'il s'explique,il est quand même le président des français,se...

à écrit le 21/02/2019 à 15:33
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la justice n est pas vertu d état ! a constater le sénat fait son travail aux yeux des Français . pas d affaire Benalla sans les gilets et de vrais journalistes pour enquetter

à écrit le 21/02/2019 à 15:30
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dans ma vie j'ai enseigné à mes enfants petits enfants à assumer ses actes et ses dires alors qu'a dit MACRON .... S’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’ils viennent le chercher .... alors pourquoi mettre ce matin le premier ministre ...

à écrit le 21/02/2019 à 14:51
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Avec ce "president", les francais touchent le fond. Le pays aura du mal en s'en relever.

à écrit le 21/02/2019 à 13:22
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Le Sénat cherche à faire oublier ses propres turpitudes .

à écrit le 21/02/2019 à 12:13
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Quand on regarde l'histoire du Palais de l'Elysée, ce n'est pas la première fois que les élus du peuple se mêlent des abus manifestes de l’exécutif qui y siège, et notamment de son train de vie. C'est une première sous la cinquième république, après ...

à écrit le 21/02/2019 à 12:04
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Je ferais bien plus confiance a des "sages" du législatif dont la carrière se conjugue au passé que des jeunes loups sans expérience de l’exécutif aux dents longues!

à écrit le 21/02/2019 à 11:52
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On attend les "contre vérités" avec d'autant plus d'impatience que le gouvernement et l'Elysée viennent de faire volte face en indiquant qu'il ne réagiraient plus sur le rapport. Peut être parce qu'à la différence de Griveaux, ils l'ont lu. et que f...

à écrit le 21/02/2019 à 11:52
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Espérons que cette réaction vitale du sénat va permettre de ralentir les ardeurs d'espionnage des chinois par exemple qui face à une telle faiblesse dramatique de nos dirigeants politiques actuels pourraient être motivés, du moins moi en tout cas c'e...

à écrit le 21/02/2019 à 11:40
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aux sondages dans le figaro 68% pour une affaire d état !

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