CETA : les sénateurs rejettent le texte et fustigent une « distorsion de concurrence »

Le Sénat s'est opposé ce jeudi à la ratification du traité CETA de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, grâce à une alliance gauche-droite de circonstance. Les opposants dénoncent notamment une « distorsion de concurrence ».
Les sénateurs ont rejeté à 211 voix contre 44 l'article du projet de loi relatif au CETA.
Les sénateurs ont rejeté à 211 voix contre 44 l'article du projet de loi relatif au CETA. (Crédits : Reuters)

[Article publié le jeudi 21 mars à 16h31 et mis à jour le jeudi 21 mars à 18h04] Sans surprise, le Sénat s'est opposé, ce jeudi, à la ratification du traité CETA de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada par un premier vote dans l'hémicycle grâce à une alliance gauche-droite de circonstance. Dans un climat extrêmement tendu, les sénateurs ont rejeté à 211 voix contre 44 l'article du projet de loi relatif à ce traité, appliqué provisoirement depuis 2017, mais jamais soumis à la chambre haute. Ils ont confirmé ce rejet quelques minutes plus tard par un vote définitif.

Ce rejet a été qualifié de « une bonne nouvelle » par le président de la Fédération nationale bovine (FNB). « Il y a des bonnes nouvelles de temps en temps », a jubilé Patrick Bénézit, par ailleurs deuxième vice-président du syndicat agricole majoritaire FNSEA, estimant que les sénateurs ont « enfin eu l'occasion de faire le bon choix, celui de ne pas ratifier un traité qui autorise des denrées alimentaires qui ne respectent pas nos conditions de production ».

Son avis n'est pas partagé unanimement. « Dans un moment économiquement compliqué (pour les exportations de la filière, ndlr), se mettre dans une position délicate après une bonne dynamique (depuis la mise en œuvre du traité) nous paraît totalement surréaliste », a expliqué Nicolas Ozanam, le délégué général de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS).

Signé fin 2016, adopté par le Parlement européen fin 2017 et appliqué provisoirement depuis, le CETA n'est toujours pas ratifié par l'ensemble des parlements nationaux de l'UE. L'Assemblée nationale l'avait, de son côté, approuvé de justesse le 23 juillet 2019 par 266 voix contre 213, suscitant à l'époque un taux d'abstention record dans les rangs macronistes.

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Les députés communistes veulent inscrire le CETA à l'ordre du jour

Mais le traité n'avait jamais été soumis à la chambre haute, malgré plusieurs promesses gouvernementales. Ce rejet du Sénat ne suffit pas à lui seul à dénoncer l'accord à l'échelle européenne, mais les déboires du gouvernement français sur ce sujet sensible sont loin d'être terminés.

Dans la foulée du vote au Sénat, les députés communistes ont annoncé ce jeudi leur intention d'inscrire le traité à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 30 mai, lors de leur journée réservée dans l'hémicycle. Le vote du Sénat « ne peut rester lettre morte », ont-ils estimé dans un communiqué, indiquant que leur groupe souhaitait inscrire le texte dans sa « niche parlementaire ».

« La confirmation par l'Assemblée nationale du rejet du Ceta permettra de mettre fin à son application », ont-ils jugé.

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La majorité et la Commission européenne en défenseurs du traité

Juste après le vote, le ministre chargé des relations avec le Parlement, Franck Riester, a dénoncé une « manœuvre grossière », avant d'ajouter « vous envoyez un très mauvais signal à nos agriculteurs, nos exportateurs et aux Canadiens ».

Et pour cause, dans Les Echos le 18 mars, ce dernier avait défendu un accord « exemplaire » avec des résultats « sans appel ».

« En six ans, les exportations vers le Canada ont bondi de 33 % et l'excédent des filières agricoles et agroalimentaires a été multiplié par trois, à 578 millions d'euros », a-t-il déclaré. « Le CETA, c'est +24 % d'exportations vers le Canada pour le vin, +60 % pour le fromage, +106 % pour les produits sidérurgiques, +142 % pour les textiles et chaussures. Nos gains ont aussi été considérables en matière de services (+71 %) », a détaillé le ministre. Pour l'élevage, « nous n'avons pas été envahis par le bœuf canadien, défend Franck Riester. L'effet du CETA a été quasi nul : les importations du Canada représentent 0,0034 % de notre consommation de bœuf. C'est moins de 0,001 % pour la volaille et le porc ! »

Un point de vue qui rejoint celui du commissaire européen à l'économie Paolo Gentiloni, qui, dans un entretien à La Tribune, mercredi, affirmait que « l'accord est en place depuis plus de six ans et je n'ai vu aucun désastre. »

« Au contraire, le commerce entre le Canada et l'Union européenne a augmenté de plus de 30%. Cet accord a soutenu 700.000 emplois en Europe. Les avantages sont donc très clairs pour l'Union européenne et pour la France. Avant l'introduction de l'accord, certains pays avaient des doutes. Mais objectivement, ce n'est pas une perspective menaçante », a-t-il assuré.

Des bienfaits à long terme contestés

Interrogé par La Tribune le 19 mars, l'économiste Maxime Combes avait nuancé l'optimisme du gouvernement et ses chiffres, expliquant que si l'accord connaît des gagnants, il fait aussi des perdants. « Sur les vins et spiritueux, ce n'est pas nouveau que la France exporte et gagne sur les marchés internationaux » avait-il relativié. Et sur l'élevage, « le Canada n'utilise pas pleinement l'ensemble des quotas dont il dispose, mais ça viendra un jour ».

« La question, c'est de savoir si on sacrifie demain des producteurs bovins en France pour vendre des vins et spiritueux au Canada », avait résumé l'économiste à l'Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (Aitec). Cet accord génère selon lui « une concurrence entre des secteurs dont les conditions de production sont nécessairement différentes ».

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« En termes de retombées économiques générales, ce n'est pas complètement le tableau que voudrait nous décrire la Commission européenne », avait ajouté Mathilde Dupré, co-directrice de l'Institut Veblen pour les réformes économiques, dans un entretien à La Tribune. « Si on regarde les chiffres en volume, on n'est pas sur des tendances très fortes », affirmait la spécialiste.

Un bilan du CETA, publié en janvier par l'Institut Veblen, dresse, en effet, un « tableau mitigé pour le commerce ». Celui-ci montre que, en volume, les exportations européennes ont augmenté « de 8% entre 2016 et 2020 » et « de seulement 0.7 % entre 2017 et 2022 », contre une augmentation de « 34 % en quantité entre 2012 et 2017 », avant l'application provisoire de l'accord.

Pour Mathilde Dupré, le bilan est également négatif pour l'environnement. « L'augmentation des échanges s'est faite dans des domaines plutôt mauvais pour l'environnement : engrais, produits énergétiques, produits issus de l'industrie de type fer, aluminium, produits chimiques ou industrie automobile », énumère la co-directrice de l'Institut Veblen.

(Avec AFP)

Commentaires 7
à écrit le 21/03/2024 à 20:24
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Une France endettée jusqu’au cou, un déficit record… alors un accord commercial qui rapporte des millards à la France? Naannn…..populisme et clientélisme dictaient à nos élus de s’asseoir déçu!!…

à écrit le 21/03/2024 à 19:52
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En fait, une bataille de chiffres dont il est difficile de tirer des conclusions. Néanmoins, il apparait que l'application du CETA n'a pas plus favorisé les exportations qu'avant. Celles-ci augmentaient considérablement avant cet accord. Par contre,...

à écrit le 21/03/2024 à 19:48
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Une sage décision qui fait bien plaisir. Enfin ! "La question, c'est de savoir si on sacrifie demain des producteurs bovins en France pour vendre des vins et spiritueux au Canada" C'est exactement ça, du formatage effréné imposé au monde entier, séma...

à écrit le 21/03/2024 à 16:52
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Merci aux Sénateurs de droite ! Les macronistes étaient prêts à livrer nos agriculteurs pieds et poings liés par les normes.

le 21/03/2024 à 18:30
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un désastre évité ! le nationalisme économique va t il renaître ? reste encore les importations d Ukraine ! notre agriculture est l oubliée de la politique libérale. ( l accord libre échange entre Mercosur et l Union européenne provoq...

à écrit le 21/03/2024 à 16:26
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D'après LeMonde "Très peu d’éleveurs canadiens ont décidé d’investir pour exporter sur le marché européen, aux normes sensiblement différentes. En 2023, ils n’ont exporté vers l’Europe que 1 400 de tonnes de bœuf, soit à peine 2% du volume permis par...

le 21/03/2024 à 17:34
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Cela prouve encore une fois que Le Monde n'est pas digne de confiance. L'accord n'impose pas les mêmes normes aux éleveurs de l'UE et du Canada, par exemple sur l'utilisation des farines animales ou la traçabilité. Le fait que les Canadiens cherchent...

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