Climat : les économistes sceptiques sur les ambitions budgétaires du gouvernement

Les investissements pour réussir la transition écologique devraient être largement supérieurs aux 7 milliards d'euros supplémentaires prévus dans le budget 2024 selon l'institut pour le climat (I4CE). Si les économistes saluent les efforts de l'exécutif, ils soupçonnent le gouvernement de faire du greenwashing sur le financement de la neutralité carbone. Explications.
Grégoire Normand
Face à l'urgence écologique, les experts et climatologues poussent les États à redoubler d'efforts pour accélérer leurs financements dans la transition.
Face à l'urgence écologique, les experts et climatologues poussent les États à redoubler d'efforts pour accélérer leurs financements dans la transition. (Crédits : Reuters)

Sécheresses, nappes phréatiques au plus bas, hiver particulièrement doux, incendies de forêts... 2023 restera comme l'année la plus chaude jamais enregistrée depuis le relevé des températures selon l'observatoire européen Copernicus. Et les perspectives sur le front climatique présentées par les scientifiques du GIEC ne sont guère réjouissantes. La répétition de ces événements climatiques pourrait plonger toute l'économie dans un avenir inquiétant.

Face à ces périls, les experts et climatologues poussent les États à redoubler d'efforts pour accélérer leurs financements dans la transition. Lors de la présentation du budget 2024 au début de l'automne, le gouvernement a notamment mis l'accent sur le budget vert et les investissements de l'État supplémentaires de l'ordre de 7 milliards d'euros. Le ministre du Budget, Thomas Cazenave, avait dévoilé en avant-première pour La Tribune les grands axes de ce budget vert pour 2024.

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Mais cette stratégie de communication ne semble pas être à la hauteur des enjeux aux yeux des experts et économistes. « Le PLF 2024 présente quelques avancées avec les 7 milliards d'euros supplémentaires [...] mais le gap d'investissements reste considérable. Chaque année, il faudrait investir 58 milliards d'euros de plus par rapport à 2022 pour tenir les objectifs », a déclaré Louise Kessker, directrice du programme Economie à l'institut pour le climat (I4CE), lors d'un point presse ce mardi 19 décembre, co-organisé avec l'IDDRI, l'institut Jacques Delors et l'OFCE.

Des soupçons de « greenwashing »

Cette année 2023 a été marquée par des débats récurrents sur le financement de la transition écologique. Entre le rapport de Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry et celui plus récent de la direction générale du Trésor, le gouvernement a pu mesurer les besoins d'investissements astronomiques de la France pour tenir ses objectifs. En effet, l'Hexagone s'est engagée dans sa stratégie nationale bas carbone (SNBC) à réduire ses émissions de CO2 de 55% d'ici 2030, conformément au plan européen « Fit for 55 » et atteindre la neutralité carbone en 2050.

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En face, les « efforts de transparence et budgétaires » sont salués par les économistes. « Il y a un catalogue des dépenses de l'Etat avec des dépenses favorables, neutres et défavorables. C'est une approche intéressante et aussi un élément nouveau », a expliqué Xavier Timbeau, directeur de l'OFCE. Mais, « est ce que l'on n'est pas dans un greenwashing ? Derrière les discours, il n'y pas de dispositifs pour bien assurer les contrôles », a regretté l'économiste.

Interrogé par La Tribune, Xavier Timbeau s'est montré perplexe sur les ambitions réelles du gouvernement. « Le greenwashing est un soupçon que l'on peut avoir : des moyens en dessous de ce qui est pointé nécessaire, un effet du plan de soutien en contradiction avec les objectifs climatiques, un risque de pause réglementaire, pas de volet fiscal (prix du carbone) », a-t-il énuméré.

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50 milliards d'euros de subventions supplémentaires aux fossiles entre 2022 et 2023

La guerre en Ukraine a provoqué une envolée des prix considérables pour les ménages et les entreprises en France. Compte tenu du niveau de dépendance de l'Hexagone aux énergies fossiles, le gouvernement a mis en œuvre un ensemble d'amortisseurs (bouclier tarifaire, remise sur le carburant, chèque énergie, aide carburant) évalué à 50 milliards d'euros entre 2022 et 2023.

« Quand on compare cette somme aux dépenses favorables ou défavorables à l'environnement, on est un peu effrayé. L'augmentation des crédits de 7 milliards d'euros du budget de l'Etat, c'est presque rien au regard de ces 50 milliards d'euros [...] C'est spectaculaire », a prolongé Xavier Timbeau.

Cette année, le gouvernement a promis de faire le ménage dans les niches fiscales aux énergies fossiles. L'exécutif a notamment raboté la détaxe sur le gazole non routier (GNR) pour les agriculteurs et les entreprises du bâtiment. Mais les transporteurs routiers devraient encore en bénéficier.

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Réforme des règles budgétaires européennes au centre des préoccupations

L'autre enjeu crucial du financement de la transition écologique est la réforme des règles budgétaires européennes. Enlisés dans d'interminables débats et pourparlers, les Etats du Vieux continent doivent se mettre d'accord sur un projet de réforme avant le 31 décembre prochain. Après moults échecs, la présidence de l'UE pilotée par l'Espagne doit organiser une réunion en visioconférence ce mercredi 20 décembre pour tenter d'arracher un accord. Rien n'est gagné à ce stade. La France et l'Allemagne ont trouvé un terrain d'entente.

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Mais il reste à convaincre les pays « frugaux » du Nord de l'Europe attachés à la discipline budgétaire et au retour de l'application stricte des règles du traité de Maastricht. « L'absence de deal sur la réforme des règles serait une menace », confie à La Tribune, Damien Demailly, directeur adjoint à I4CE. « Si on retourne à une application des règles anciennes qui ne prennent pas en compte les investissements pour le climat, l'Europe risque de se retrouver le bec dans l'eau ».

L'économiste juge que « l'Europe est beaucoup moins bonne sur l'investissement, l'accompagnement des ménages et des entreprises dans la transition écologique ». « Si l'Europe n'arrive pas à trouver un équilibre des politiques publiques entre le bâton et la carotte, on se promet des problématiques sociales extrêmement importantes. Il y a un risque de backlash (un contrecoup) », a prévenu l'expert. Autant dire que la pression sur les ministres des finances de l'Europe est immense.

Grégoire Normand
Commentaires 5
à écrit le 20/12/2023 à 10:09
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Réussir la transition écologique, c'est d'abord voter des budgets durables : sans recourir à l'hyper-endettement auquel la distribution de toujours plus de subventions nous conduit à tombeau ouvert. Et stocker l'eau plutôt que de la laisser couler ve...

à écrit le 20/12/2023 à 8:43
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Il faut le dire aussi, pour le moment le manque de motivation des propriétaires de capitaux et d'outils de production à lutter contre la pollution font que tacitement la plupart des acteurs économiques ne font que du greenwashing, ou de la promotion ...

à écrit le 19/12/2023 à 20:32
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Ah bon ! et pourtant le monsieur qui connait le climat, mais qui fait du texte de loi xénophobe, peut avoir science de la question ! ben, la semaine dernière, a la cop, le monsieur personne ne voulait le voir, non? Vous pensez que quelqu'un qui...

à écrit le 19/12/2023 à 19:08
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Toujours a parler de "transition écologique" comme si l'on connaissait la fin de l'histoire alors qu'il s'agit "d'adaptation" face à l'inconnu ! Visiblement certain veulent en tirer des intérêts en manipulant les autres !

à écrit le 19/12/2023 à 18:41
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"Sécheresses, nappes phréatiques au plus bas, hiver particulièrement doux, incendies de forêts..." : Tous ces périls sont inéluctables, et faire la transition énergétique n'y changera rien. En revanche, ça permettra de diminuer notre dépendance aux h...

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