« Le budget vert est une boussole indispensable » (Thomas Cazenave, ministre délégué des Comptes publics)

ENTRETIEN - Dépenses en faveur de la transition écologique, rénovation thermique des bâtiments publics, dette écologique... Le ministre délégué des Comptes publics, Thomas Cazenave, dévoile les grands axes du budget vert à La Tribune. En plein débat parlementaire sur le projet de loi de finances 2024, il annonce que l'article 49-3 sera indispensable.
Le ministre délégué au budget Thomas Cazenave doit présenter les grands axes du budget vert ce jeudi 12 octobre.
Le ministre délégué au budget Thomas Cazenave doit présenter les grands axes du budget vert ce jeudi 12 octobre. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - La guerre entre Israël et le Hamas a fait bondir les cours du pétrole et du gaz partout sur la planète ces derniers jours. En quoi ce conflit pourrait-il affecter les hypothèses de croissance et d'inflation du gouvernement présentées dans le budget 2024 ? Quelle est la position de l'exécutif, près d'une semaine après l'attaque du Hezbollah contre Israël ?

THOMAS CAZENAVE - L'urgence n'est pas de savoir quel sera l'impact de ce conflit sur nos prévisions d'inflation, mais de condamner collectivement et avec la plus grande fermeté cet attentat ignoble.

La France s'est engagée sur le chemin de la transition écologique, avec la présentation récente de la planificationÀ Bercy, que faut-il vraiment attendre du budget vert présenté ce jeudi ?

Ce budget vert mesure l'impact environnemental des crédits budgétaires et des dépenses de la France. C'est la concrétisation de l'effort historique que l'on fait en matière de verdissement de nos dépenses. Pour 2024, ces dépenses augmentent de plus de 7 milliards d'euros en paiements et 10 milliards d'euros en engagement. Il traduit la mise en œuvre concrète de la stratégie de planification écologique voulue par le président de la République et présentée par la Première ministre, Élisabeth Borne. Le budget vert de l'Etat est une boussole indispensable pour vérifier que la France est sur la bonne trajectoire de la transition écologique.

Le rapport réalisé par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz souligne que la transition écologique devrait être inflationniste, en raison des tensions sur les prix des matières premières et sur la main-d'œuvre. Prenez-vous en compte ces pressions inflationnistes dans vos prévisions d'accélération des dépenses vertes ?

La transition écologique va nécessiter des investissements supplémentaires, privés et publics. Le budget vert de 2024 est en cohérence avec les recommandations du rapport Pisani-Mahfouz. En parallèle, il ne faut pas opposer transition écologique et baisse de la dépense. La rénovation énergétique des bâtiments est un investissement, mais elle permet de baisser les dépenses de fonctionnement. Lorsque les collectivités investissent dans l'éclairage public, elles font des économies sur leurs dépenses de fonctionnement. Pour atteindre nos objectifs, il va falloir dépenser plus. Mais les investissements permettent de baisser les dépenses par ailleurs.

Quelle est véritablement la part des dépenses fléchées vers l'environnement  ?

Les dépenses favorables à l'environnement, y compris les dépenses fiscales vertes, sont passées de 34,7 milliards d'euros à 41,7 milliards d'euros. Ce qui représente environ 8% des dépenses totales du budget de l'État, une très grande partie du budget restant neutre au regard de son impact sur l'environnement. La part des dépenses favorables à l'environnement s'améliore. Ma conviction est qu'il faut accélérer la réorientation des dépenses. Il faut aller encore plus loin dans le verdissement des dépenses. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces chiffres.

Un des grands défis concerne la rénovation thermique des bâtiments publics. Comment l'Etat compte-t-il s'y prendre pour accélérer ce vaste chantier ?

Les bâtiments publics sont un enjeu considérable en termes d'investissements. Pour l'Etat, ils représentent au total près de 100 millions de mètres carrés. Entre 2024 et 2027, le gouvernement va consacrer 1,6 milliard d'euros supplémentaires dans la rénovation de ses bâtiments. Le gouvernement va demander aux ministères de s'engager dans ce travail de rénovation.

Je crois aussi beaucoup à la mobilisation de l'investissement privé sur la rénovation énergétique des bâtiments publics. En tant que parlementaire, j'ai fait une proposition de loi pour favoriser le tiers financement des travaux de rénovation énergétique. Cette loi a été adoptée à l'unanimité et le décret d'application vient d'être signé la semaine dernière. Le tiers financement permet à des entreprises privées et à des opérateurs de financer des opérations de rénovation de bâtiments publics et de s'engager sur des objectifs de performance. L'Etat ou la collectivité rembourse par la suite les travaux, grâce aux économies d'énergie générées. Ce type de montage permet à la puissance publique de faire face au mur d'investissement.

Les collectivités locales se mettent également au budget vert. Comment peuvent-elles mieux se coordonner en termes de méthode et de comptabilité ?

Pour réussir la transition écologique, il faut se doter d'une boussole commune. Certaines collectivités locales ont déjà expérimenté les budgets verts. Je discute aujourd'hui, en lien avec Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, avec l'association des maires de France pour que les collectivités de plus de 3.500 habitants se dotent aussi d'une boussole commune pour les investissements verts. Par ailleurs, les opérateurs de l'État n'ont pas l'obligation de faire un budget vert. Mais je souhaite y remédier. S'agissant des collectivités, il faut avancer sur le concept de dette verte. Elle correspond à la part de la dette des collectivités, qui a servi à financer des investissements pour la transition écologique.

Dans le financement de la transition écologique, quel doit être le rôle de Bercy ?

Bercy doit être le ministère qui finance la transition écologique. La loi industrie verte portée par Bruno Le Maire et Roland Lescure, qui vient d'être adoptée, va permettre d'accélérer l'orientation de l'épargne privée vers la transition.

On va enfin se doter d'une stratégie pluriannuelle des financements privés et publics de la transition écologique. C'était une attente de plusieurs groupes politiques dans les dialogues de Bercy, mais aussi des experts et des acteurs de la transition écologique. Une fois par an, le gouvernement va présenter au parlement sa stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique. C'est un vrai pas en avant pour concrétiser la stratégie de la planification écologique et impliquer les entreprises, les collectivités dans ce plan de financement.

Je défends l'idée qu'il y a deux dettes : une dette financière et une dette écologique. Dès le budget 2025, les discussions budgétaires intégreront des arbitrages financiers et l'impact des dépenses et des investissements sur la transition écologique. Je veux que ce double critère nous guide dans la construction du budget 2025.

La France a évoqué l'idée de sortir les investissements verts des critères de Maastricht. Où en sont les discussions ?

Si on réduit la bonne gestion à la question financière, un État ou une commune pourra avoir demain des finances saines et une immense dette écologique. Il est essentiel que l'on traite la dette financière, mais il faut regarder l'évolution de la résorption de la dette écologique. Je ne suis pas favorable à la sortie des investissements verts de la dette publique. Une dette se rembourse toujours. En revanche, je trouve que c'est intéressant de mettre en avant la part de cet effort d'investissement lié à la planification écologique. Il y a tout un travail d'adaptation de nos outils et boussoles.

Bercy a annoncé 16 milliards d'euros d'économies dans le budget 2024. En début de semaine, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a poussé les élus de la majorité à faire des propositions pour faire un milliard d'euros d'économies supplémentaires. Quelles mesures attendez-vous de la part des parlementaires ?

Le gouvernement a proposé des économies importantes dans le budget 2024. Nous sommes attentifs aux propositions d'économies des députés de la majorité, comme de l'opposition. Les députés doivent continuer à faire des propositions concrètes d'économies. Tout ce qui contribue à améliorer notre trajectoire sera bienvenu dans le débat parlementaire.

Avec le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, on a annoncé des économies sur la politique de l'emploi. Est-ce qu'il faut aller plus loin ? A partir du moment où le chômage baisse, il me paraît normal de revoir un certain nombre de dispositifs. Le gouvernement a prévu des économies sur les contrats aidés, en particulier dans le secteur marchand, et sur la prise en charge du financement des centres de formation des apprentis quand des marges étaient constatées. En revanche, on doit être attentif à ne pas casser le moteur de la croissance et de l'attractivité. La création de richesse des entreprises nous permet de poursuivre l'objectif du plein-emploi. La croissance nous aide à maîtriser nos dépenses publiques. Les propositions ne doivent pas être contraires à cette stratégie.

Concernant les médicaments, la décision de doubler la franchise est-elle assumée ?

C'est une des options sur la table pour inciter à baisser nos dépenses de médicaments. Le débat aura lieu dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Les dépenses de produits de santé évoluent très rapidement. Il y a des sujets sur la prescription et la consommation de médicaments. On constate aussi beaucoup de gaspillage de médicaments. Comment peut-on avancer sur ces sujets-là ? Il y a un travail à faire avec les professionnels de santé. Les franchises permettent de faire des économies et de responsabiliser, tout en protégeant ceux qui sont touchés par les affections de longue durée.

La fiscalité des meublés touristiques, type Airbnb, sera-t-elle être révisée ? Allez-vous supprimer la niche ?

Je suis très ouvert aux propositions de la majorité et des oppositions sur le rééquilibrage de la fiscalité des logements touristiques. Les députés et les maires doivent faire face à de vraies difficultés pour remettre sur le marché des logements. Nous sommes favorables à la remise en question de l'abattement de 71% pour les meublés touristiques.

Nous avons constaté une appétence des parlementaires pour faire bouger les choses sur le logement lors des dialogues de Bercy. Il existe des distorsions de marché, mais je constate aussi que certains Français louent quelques semaines leur logement principal et ne vont pas le remettre sur le marché de la location. L'idée est de ne pas toucher les Français qui louent leur logement quelques semaines par an.

Le gouvernement s'est montré favorable au maintien de la taxe exceptionnelle de solidarité sur les industries de raffinage. En face, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a répondu que c'était soit la taxe, soit la ristourne. Quelle est votre réaction ?

Je salue l'effort mené par TotalEnergies pour plafonner l'évolution des prix du carburant. Une mission pour étudier les marges de raffinage vient d'être lancée. En fonction des résultats de cette mission, on verra s'il faut compléter le dispositif qui existe. Je suis favorable à l'initiative des parlementaires, qui vise à maintenir la taxe sur les profits exceptionnels des énergéticiens pendant la crise énergétique. Il y a toujours une forme de volatilité des prix de l'énergie. Cette disposition est d'ailleurs prévue dans le cadre européen pour durer une année supplémentaire.

Votre prédécesseur, Gabriel Attal, avait proposé un plan Marshall de baisses d'impôts en faveur des classes moyennes. Plus récemment, Édouard Philippe a proposé une baisse de l'impôt sur le revenu de 3 à 5 milliards d'euros. Où en est ce chantier annoncé au printemps ?

Il faut une attention particulière aux classes moyennes. Certaines catégories qui travaillent ont le sentiment de ne pas s'en sortir. Le président Emmanuel Macron nous a demandé de travailler sur des mesures ciblées pour les classes moyennes qui travaillent. On planche dessus pour le budget 2025. Le groupe Horizons a fait des propositions sur ce sujet qui doivent alimenter notre réflexion pour 2025.

Concernant les rachats d'actions, où en est Bercy sur ce dossier ouvert par Emmanuel Macron en pleine contestation sur la réforme des retraites ?

Je considère que c'est une question qui se pose dans le cadre de rachats d'actions massifs. L'enjeu est de garantir que les rachats d'actions ne se font pas au détriment de la juste répartition des richesses vers les salariés avec les dispositifs de partage de la valeur. Nous sommes prêts à travailler sur le sujet. L'idée est de savoir si une taxation des rachats d'actions permet de parvenir à cet objectif-là.

Nous, on préfère travailler sur une mesure qui permettrait de concilier les rachats d'actions et le partage de la valeur. Il faut en faire un sujet d'équilibre du partage de la valeur. On a étendu ces mécanismes aux plus petites entreprises. On ne ferme pas la porte à un mécanisme qui limiterait des comportements jugés excessifs. Faut-il mieux encadrer ces comportements d'un point de vue normatif ? Je ne suis pas convaincu qu'il faille traiter ce sujet d'un point de vue fiscal.

Avez-vous une date pour le 49-3 sur le projet de loi de finances 2024 ?

Je ne jette pas la pierre aux oppositions. Je pense néanmoins que les députés et les Français savent que nous avons besoin d'un budget avant la fin de l'année. Notre pays ne fonctionnera pas sans budget à partir du 1er janvier. En partant de ce principe, le 49-3 devient indispensable. Entre la droite et la gauche de l'hémicycle, nous n'avons pas de proposition alternative cohérente. À la droite, les élus nous reprochent de ne pas assez tailler dans les dépenses publiques. À gauche, ils dénoncent une cure d'austérité inédite. Ils sont sur des positions irréconciliables. Ma responsabilité est de doter le pays d'un budget pour payer nos agents publics, financer nos hôpitaux, notre modèle social.

Propos recueillis par Grégoire Normand et Philippe Mabille

Le budget 2024 en cinq chiffres clés

-Croissance du PIB attendue à 1,4%, contre 1% en 2023

-Inflation à 2,5%, contre 4,8% en 2023

-Déficit public en 2024 attendu à 4,4%, contre 4,9% en 2023

-Dette publique projetée à 109,7% du PIB, comme en 2023

-Taux de prélèvements obligatoires à 44%, comme en 2023

Commentaires 16
à écrit le 12/10/2023 à 23:23
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Et en parallèle, des efforts financiers sont encore demandés aux hôpitaux en 2024 avec un quantum d’économies de 600 millions d’euros, alors qu'il faudrait allouer plus de moyens pour éviter un effondrement total. Vous êtes véritablement de grands ma...

à écrit le 12/10/2023 à 19:13
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Si certains se demandaient comment ferait un parti d'extrême droite pour gouverner avec Macron on a la réponse. Et dire que les Israéliens qui ont perdu de leur famille enlevé lui demande de l'aide... lui qui ne sait pas géré la France et n'a jama...

à écrit le 12/10/2023 à 14:15
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176 MILLIARDS de Francs à l'union européenne et 100 MILLIARDS de Francs à des pays et des organisations étrangers (Aide publique au développement) en 2022 ! Le régime gauchiste de macron a pris tous ces MILLIARDS au Peuple Français pour les envoyer à...

le 12/10/2023 à 18:43
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Si vous en êtes encore à raisonner en francs (qui a disparue en 2002 ( 21 ans !! ) pouvez vous nous préciser s'il s'agit des anciens ou des nouveaux francs !!

le 12/10/2023 à 20:54
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En Assignat, ça donne quoi!

à écrit le 12/10/2023 à 13:36
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Heureusement qu'il y a le 49-3! Sans cette possibilité nous n'avancerions pas et nous serions en permanence. en campagne électorale. Vu le niveau du perdonnel politique des Partis ....! Mathilde Panot! Sandrine Rousseau! Bompard! Ruffin! Melanchon!....

le 12/10/2023 à 18:48
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Non pas heureusement , à vouloir imposer le 49-3 en permanence autant supprimer le parlement cela fera un gain de temps et des économies ...sur le budget et pourquoi tant de ministres , un président et quelques conseillers dévoués comme au bon vieux ...

le 12/10/2023 à 20:58
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@Valbel89. Certaines personnes osent croire encore à la démocratie, bien qu'elle glisse progressivement en France vers l'autocratie. Autocratie: "Système politique dans lequel le pouvoir est détenu par un seul homme, qui l'exerce en maître absolu"

le 12/10/2023 à 23:29
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@Valbel89: Nous perdons du temps; passons directement à la XXième République; mais qu'est-ce que ça changerait?

à écrit le 12/10/2023 à 12:39
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Ras le bol de la transition écologique. A l'heure où cela semble se réchauffer, soit, quel sens à tout calfeutrer? A force d'interdire les énergies fossiles on sera en tout électrique dans les appartements (le pire rendement en chauffage) et dans nos...

à écrit le 12/10/2023 à 12:08
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A quoi sert le parlement si le gouvernement a recours systématiquement à l'article 49-3 ? Il y a là une dérive dangereuse pour la démocratie !

le 12/10/2023 à 20:59
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@Idx 👍👏

à écrit le 12/10/2023 à 11:28
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Le budget vert de l'Etat est une boussole indispensable pour vérifier que la France est sur la bonne trajectoire de la transition écologique". Le "budget vert" est surtout un débouché (un pari?) bien commode au "radeau de la Méduse" français pour tir...

à écrit le 12/10/2023 à 11:21
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du moment que l'ecologie permet de lever des impots, ca va, l'objectif est atteint avec bienveillance dans la tolerance juste, car de gauche

à écrit le 12/10/2023 à 10:50
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"il annonce que l'article 49-3 sera indispensable" Viol de la démocratie depuis plusieurs années maintenant et aucun garde fous puisque tous bouffent à la même gamelle. A quoi servent les élections svp ? Merci. Le confinement général et des centaines...

à écrit le 12/10/2023 à 10:37
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Je suis vert à l'idée que ce budget affiche un déficit, comme c'est l'habitude de puis un demi siècle. On pouvait espérer un signe d'amélioration avec un ingénieur à l'opérationnel et un Inspecteur des Finances pour superviser, mais tout laisse pense...

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