
Après une troisième nuit d'émeutes, la France se prépare à un week-end d'affrontements entre les forces de police et les jeunes des quartiers populaires. La mort du jeune Nahel, abattu par un tir de policier à bout portant, a mis le feu aux poudres dans de nombreuses villes, partout sur le territoire. Pour la deuxième fois en deux jours, le président Emmanuel Macron a présidé une cellule interministérielle de crise. Le ministère de l'Intérieur a déployé de vastes moyens pour tenter d'endiguer la violence et mener de nombreuses arrestations. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a évoqué « une rare violence » dans un tweet.
Après cette première semaine émaillée de troubles, le gouvernement espère faire redescendre les tensions. Mais rien n'est gagné pour le président Macron. En effet, les gouvernements successifs depuis 40 ans ont mené de nombreux plans banlieues pour tenter de résorber le chômage qui frappe durement ces populations, sans vraiment obtenir de résultats convaincants. Plus récemment, le gouvernement d'Elisabeth Borne n'a cessé de vanter les effets de ses réformes économiques et sociales (assurance-chômage, retraites) pour parvenir à l'objectif du « plein-emploi » en 2027. Mais là encore, les statistiques récentes montrent que le chemin à parcourir pour « inverser la courbe du chômage » dans ces quartiers s'annonce périlleux.
Un chômage des jeunes plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale
Sur le front du marché du travail, les indicateurs nationaux sont au vert. Dans sa dernière livraison de référence sur l'emploi et le travail dévoilée jeudi 29 juin, l'Insee a dressé un portrait optimiste du marché du travail en 2022.
« L'année a été marquée par une forte hausse de l'emploi. 1,5 million d'emplois ont été crées en deux ans », a déclaré Vladimir Passeron, chef du département de l'emploi lors d'une réunion avec des journalistes.
Le taux d'activité s'est établi à 73%, soit un niveau inédit depuis 1975. Le taux de chômage rapporté à la population active est descendu à 7,3% à la fin de l'année.
L'échec de la politique de l'emploi dans les quartiers sensibles
Mais derrière cette embellie, il existe des chiffres bien plus préoccupants dans les quartiers sensibles. En Seine-Saint-Denis par exemple, le chômage des jeunes grimpe à 19,2% de la population active, selon de récentes données de l'Insee. Et dans certaines zones d'emploi et pour certaines catégories, « le chômage peut frôler les 30% ». Dans les quartiers prioritaires de la ville, les moins de 30 ans (30%), les descendants d'immigrés (23%) et les moins diplômés (22%) sont en première ligne selon un récent rapport de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). A ces mauvais chiffres s'ajoutent d'autres indicateurs sur la qualité de l'emploi. Dans les quartiers prioritaires de la ville, les personnes sont moins souvent en CDI que dans les quartiers environnants (76% contre 86%) et occupent plus régulièrement des emplois précaires en CDD ou en intérim.
Eloignement du marché du travail, risque accru de paupérisation, inégalités, isolement... De nombreux spécialistes ont pointé les risques de ce chômage endémique dans les quartiers prioritaires de la ville. Dans un rapport dévoilé à l'été 2022, juste après la nomination d'Elisabeth Borne à la tête de Matignon, la Cour des comptes a dressé un constat accablant sur l'échec des politiques de l'emploi dans les quartiers sensibles menées entre 2015 et 2022.
« Malgré une amélioration continue entre 2014 et 2019, le rapport entre le taux de chômage des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville et ceux des unités urbaines englobantes demeure identique, oscillant entre 2,6 et 2,7 fois », soulignent les rapporteurs.
Un fossé béant malgré des moyens qui augmentent
L'Etat a mis sur la table « des moyens qui augmentent sans parvenir à réduire les écarts entre les habitants des quartiers prioritaires de la ville et ceux des autres quartiers ». Les magistrats fustigent notamment le manque de concertation entre le ministère du Travail et celui de la Ville. Et d'ajouter que le « plan un jeune, une solution » comme levier face aux ravages de la crise sanitaire sur le marché du travail n'a pas permis de réduire le fossé entre le chômage des jeunes des quartiers populaires et celui de la moyenne nationale. En dépit de la multiplication des dispositifs, les personnes ciblées demeurent « en réalité difficilement atteignables ».
La Cour des comptes tacle « la complexité de cette architecture rendue illisible ». Les magistrats évoquent notamment la mise en concurrence des outils et la dématérialisation accrue qui ont fait bondir la part du non recours. La juridiction plaide pour porter plus d'attention aux « associations de proximité » en leur allouant « plus de moyens » et défend « une simplification » des dispositifs.
Une politique de l'apprentissage qui profite peu aux jeunes éloignés du marché du travail
A l'été 2020, le gouvernement avait mis en œuvre une aide exceptionnelle à l'apprentissage pour limiter les répercussions de la pandémie sur le marché du travail des jeunes. Ce dispositif a permis de doper le nombre d'embauches d'apprentis ces dernières années. En revanche, il est loin d'avoir profité aux jeunes les moins diplômés et très éloignés du marché du travail surreprésentés dans les quartiers sensibles. Dans une étude récente très détaillée, l'économiste spécialiste du travail Bruno Coquet (OFCE) a tiré un bilan mitigé de cette politique publique.
L'aide exceptionnelle a certes permis de faire bondir les embauches partout en France. « Mais un tel niveau de subvention est inédit. Rien d'équivalent n'a jamais été alloué à des contrats aidés, même dans le secteur non-marchand, même pour des jeunes rencontrant des difficultés d'insertion dans l'emploi », indique le chercheur déplorant l'absence de ciblage des aides vers des publics éloignés du marché du travail. Reste à savoir si cet expert de l'emploi sera écouté à l'Elysée.