C'est un fléau qui risque de s'aggraver avec la crise économique. Dans un rapport sénatorial à paraître ce mercredi 24 mai, les rapporteurs Michel Canévet, sénateur du Finistère, et Guy-Dominique Kennel, sénateur du Bas-Rhin, sonnent l'alarme sur la pénurie de compétences criante en France.
Après plusieurs mois de travaux, ils notent que, malgré un taux de chômage élevé, les employeurs s'inquiètent toujours du manque d'appariement entre l'offre et la demande. Lors d'un récent point presse, la présidente de la délégation aux entreprises au Sénat Élisabeth Lamure (LR) déplorait cette situation.
"Depuis deux ans, les retours du terrain à l'occasion des déplacements de la délégation dans les départements étaient récurrents et lancinants : nous n'arrivons pas à recruter, nous ne trouvons pas les compétences dont nous avons besoin ou n'arrivons pas toujours à les garder. Ceci handicape gravement notre activité ! Tels sont les témoignages de nombreux chefs d'entreprise, en particulier dans les PME et TPE."
Avec la crise actuelle provoquée par la pandémie du Covid-19, ce phénomène risque de s'accentuer. En effet, les parlementaires redoutent que la transformation des métiers consécutive à la crise amplifie les difficultés de recrutement dans un avenir proche. De nombreuses entreprises et grands groupes comme Renault ou Air France ont déjà annoncé des milliers de licenciements laissant sur le carreau des travailleurs en manque de compétences nouvelles ou récentes.
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Une inquiétude largement partagée par les employeurs
Ces obstacles au moment du recrutement sont amplement partagés par les entreprises françaises. D'après une enquête réalisée par la direction statistique du ministère du Travail en 2016, citée dans le document parlementaire, sur l'ensemble des recrutements jugés complexes par les recruteurs, 60% le sont en raison de l'inadéquation des candidats ou du manque de candidatures. Viennent ensuite les caractéristiques du poste proposé (55%), la concurrence de la part d'autres entreprises (29%) ou encore le déficit d'image de l'entreprise, du secteur d'activité ou du métier (23%). "Ces phénomènes sont particulièrement inquiétants en France car ils se conjuguent avec un taux de chômage élevé malgré la reprise de la croissance : à cette date, la France connaît le quatrième taux de chômage le plus élevé de l'Union européenne", rappellent les auteurs.
La situation préoccupante des jeunes sans formation
Lors de leurs travaux, les élus ont sillonné la France pour interroger des acteurs de terrain sur les difficultés rencontrées. Ils mettent particulièrement l'accent sur la situation préoccupante de certaines catégories de jeunes, évoquant "un gâchis de compétences". Tous les ans, environ 100.000 jeunes se retrouvent ni en études, ni en emploi, ni en formation. Ce sont les fameux NEET* souvent exclus du marché du travail qui risquent de souffrir pendant des années avant de pouvoir s'insérer. Et la crise actuelle risque d'accroître ce phénomène déjà alarmant.
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Les répercussions majeures de la crise économique
La propagation du coronavirus sur l'ensemble du territoire a paralysé des pans entiers de l'économie française pendant deux mois. Cette pandémie a entraîné des pertes abyssales pour l'activité tricolore estimées à environ 120 milliards d'euros pour les deux mois de confinement selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
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Face à cette récession brutale, les deux sénateurs préconisent de mettre en oeuvre une véritable politique publique d'accompagnement des compétences. "En effet, des secteurs sont plus touchés que d'autres (hôtellerie-restauration, automobile, etc.), des métiers vont se retrouver davantage en tension (secteur de la santé, métiers liés aux relocalisations de production, etc.) tandis que l'organisation du travail va être profondément bouleversée (numérisation des entreprises, télétravail normalisé)", indiquent les auteurs.
Un accompagnement renforcé
Les demandes de formation en interne pour renforcer ou acquérir certaines compétences restent parfois sans réponse dans les entreprises. Parmi l'éventail de propositions avancées par les sénateurs, figure le renforcement de la formation professionnelle en entreprise. Il faut "sensibiliser les PME à l'absence de candidat idéal pour l'emploi proposé et aux atouts de la formation professionnelle". En outre, les sénateurs insistent pour activer des plans de reconversion dans le contexte de la crise. En effet, des secteurs entiers souffrent déjà, et des milliers d'emplois devraient disparaître dans les prochains mois alors que d'autres métiers sont toujours en tension.
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(*) NEET signifie Neither in Employment nor in Education or Training - en français: ni travail ni diplôme ni formation. Les NEET représentent une population de 14 millions de jeunes en Europe.