La France s'en sort relativement mieux que ses voisins. Selon une note éclairante rendue publique par France Stratégie ce mercredi 2 décembre, les inégalités primaires, c'est-à-dire avant redistribution, sont, dans l'Hexagone, légèrement inférieures à la médiane européenne et à celles de la plupart des autres pays européens. L'indice de Gini en France, qui reflète le niveau d'égalité d'un pays lorsque son niveau est proche de zéro et des disparités extrêmes lorsqu'il s'approche de 1, est inférieur de 1,7% à la médiane en Europe. À l'échelle du Vieux Continent, 19 pays sur 29 affichent un niveau d'inégalités supérieur.
Si le débat sur les inégalités dépasse largement les frontières de l'Europe, la pandémie a jeté une lumière crue sur les disparités criantes qui persistent dans certains pays développés. Au printemps, beaucoup de professions comme les soignants, les caissières, les éboueurs, les livreurs se sont retrouvés en première ligne dans des pays paralysés par cette maladie infectieuse. Ceux qui sont parfois surnommés "les premiers de corvée" ont ainsi dû se rendre sur leur lieu de travail la peur au ventre avec des salaires inférieurs au revenu médian. La crise risque de laisser ainsi des traces dévastatrices sur le corps social.
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Un indice de Gini plus faible en France, des disparités en Europe
En Europe, l'indice de Gini médian s'élevait à 0,380 en 2017 et celui de la France s'établissait à 0,374. Derrière ces chiffres, il existe de vastes disparités, même si l'Union européenne est régulièrement jugée par les spécialistes - Thomas Piketty ou Branko Milanovic par exemple -, comme une région relativement moins inégalitaire que les États-Unis ou certaines pétromonarchies du Moyen-Orient.
Sur l'échelle des disparités, l'Irlande, la Serbie et la Bulgarie apparaissent comme les mauvais élèves avec des indices supérieurs à 0,450. L'Irlande, qui a adopté un régime fiscal pour tenter d'attirer les sièges des géants du numérique, est régulièrement épinglée par les institutions, les ONG et des économistes qui pointent souvent des failles dans la mesure du PIB de l'Île, gonflé artificiellement. Ce qui peut biaiser les statistiques sur la mesure des inégalités dans ce pays jugé comme un paradis fiscal cherchant à favoriser les transferts de capitaux.
À l'autre extrémité, la Slovaquie, l'Islande, la République tchèque et la Pologne apparaissent comme les pays les moins inégalitaires.
S'agissant de l'Allemagne, les auteurs de la note indiquent que l'institut de statistiques allemand Destatis n'a pas voulu communiquer les données réclamées.
Le système de retraite français limite les inégalités
L'un des facteurs avancés par les chercheurs de France Stratégie pour expliquer ces résultats en France est le système des retraites. Les statisticiens ont procédé à la même évaluation sans la population des retraités et la position de la France est nettement moins favorable. Ainsi, seuls 15 pays ont des inégalités plus fortes.
Ces résultats risquent d'alimenter à nouveau le débat sur la réforme contestée des retraites en France qui divise actuellement le gouvernement. Si le ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire en a fait une des priorités pour notamment financer la dette issue du Covid-19, d'autres comme la ministre du Travail Élisabeth Borne ont exprimé des réserves sur la nécessité de remettre ce chantier périlleux à l'agenda alors que la France s'enfonce dans une crise économique et sociale profonde.
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Des inégalités de revenus entre les hommes et les femmes plus faibles qu'ailleurs
L'analyse de l'organisme rattaché à Matignon montre que les inégalités de revenus primaires entre les hommes et les femmes avant la mise en couple et la naissance d'enfant sont moins marquées dans l'hexagone.
"En France, le revenu primaire moyen d'une femme, y compris retraites de droit direct et de droit dérivé, est égal à 72 % de celui d'un homme, ce ratio s'élevant à 61 % en médiane européenne", expliquent les chercheurs.
Sur ce sujet, la France arrive après le Danemark, la Hongrie et la Finlande. À l'opposé, l'Italie, la Grèce et la Croatie figurent en bas de tableau.
Cette plus faible disparité en France peut s'expliquer par une meilleure participation des femmes au marché du travail qui entraîne de plus faibles écarts de revenus d'activité. "Les inégalités de revenus du travail sont assez faibles en France malgré le chômage", rappelait l'économiste Julien Rousselon.
Malgré ces chiffres relativement favorables, la France est régulièrement épinglée pour ces manquements en matière de parité sur toute l'échelle des professions. Les écarts de revenus pour un poste équivalent et à niveau de qualification comparable entre les hommes et les femmes demeurent criants.
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Le rôle essentiel de la redistribution
Le système socio-fiscal français et le rôle de l'État-providence dans l'économie française font régulièrement l'objet de débats et de vives critiques à tous les étages. Pour certains, le système français ne serait pas assez protecteur quand d'autres estiment que l'État est trop dispendieux en matière de protection sociale et manque d'efficacité. Chez France Stratégie, il y a peu de doutes sur le rôle du système redistributif tricolore. "La redistribution réduit les inégalités mesurées par l'indice de Gini de 25% en France, soit 10% de plus que la médiane européenne", explique l'organisme.
"Le volume de redistribution est plus important en France que dans la médiane des pays européens (44 points contre 41 points). La France redistribue davantage via les prestations comme dans les pays du Nord. Les pays d'Europe du sud et les PECO redistribuent plus via les prélèvements. Les prestations sociales vont faire baisser les inégalités de près de 19%. Les allocations logement (3,7%), les allocations chômage et celles liées à la pauvreté contribuent grandement à cette redistribution (7,9%)", a déclaré l'économiste Mathilde Viennot lors d'un point presse.
Pour les chercheurs, cette baisse des inégalités s'explique pour moitié par les prestations sociales en espèces et pour l'autre moitié par les prélèvements obligatoires. Les critiques régulièrement exprimées à l'égard du manque d'efficacité des prélèvements et des prestations ne sont pas toujours fondées d'après les rédacteurs de la note. "Contrairement à un discours répandu, l'importance des prélèvements et prestations sociales en France ne traduit pas un système inefficient, qui corrigerait les inégalités après coup plutôt que de les réduire à la racine, mais bien un choix collectif de réduire les inégalités davantage que de nombreux pays". En dépit de ce constat, des marges d'amélioration existent, en passant notamment par un ciblage accru des prestations et des prélèvements, résume l'organisme.
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