France 2030 : le plan d'investissement inachevé d'Emmanuel Macron

Absence de pilotage et d'évaluation, pas de plan d'exécution budgétaire sur cinq ans..., de nombreuses zones d'ombre et de flous planent toujours sur le plan d'investissement de 30 milliards d'euros dévoilé par Emmanuel Macron. A 200 jours de l'élection présidentielle, les économistes s'interrogent sur l'après 2022.
Grégoire Normand
La France doit revenir une grande nation qui doit choisir son destin a déclaré Emmanuel Macron lors de la présentation du plan d'investissement.
"La France doit revenir une grande nation qui doit choisir son destin" a déclaré Emmanuel Macron lors de la présentation du plan d'investissement. (Crédits : Reuters)

"Mieux vivre, mieux produire, mieux comprendre". Le chef de l'Etat a dévoilé son vaste plan de bataille ce mardi 12 octobre pour construire la France de 2030 sur ce triptyque inspiré par le rapport des économistes Jean Tirole et Olivier Blanchard remis en juin dernier.

"On doit rebâtir les termes d'une indépendance productive française et européenne. Nous devons produire ce dont nous avons besoin pour aujourd'hui et demain", a déclaré Emmanuel Macron lors d'un long discours de plus d'une heure trente devant un parterre de ministres, chefs d'entreprise, économistes et étudiants.

Après plusieurs mois d'échanges et de réflexions, le président a tranché en faveur d'un plan de 30 milliards d'euros sur cinq ans autour de 10 piliers centrés sur l'innovation, la réindustrialisation et la formation. A quelques mois de l'élection présidentielle, cet arsenal d'investissement pourrait poser les jalons du programme du futur candidat. Si le quadragénaire a apporté quelques précisions sur la philosophie et les modalités de ce plan, de grandes zones d'ombre planent toujours au dessus de cette enveloppe destinée à faire de la France une économie de l'innovation.

"Ni le plan France 2030, ni le Plan de relance ne permettent de sécuriser l'après 2022 en terme d'investissement public et d'accompagnement de tous les acteurs économiques. Quand va-t-on avoir cette visibilité ? Nous avons besoin d'un plan d'investissement dans la durée, pour l'industrie mais pas seulement", a expliqué le directeur général d'I4CE - Institut de l'économie pour le climat, Benoît Leguet lors d'une réunion avec des journalistes.

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Réconcilier innovation et industrie

Sans surprise, le chef de l'Etat, chantre de la startup nation, a voulu faire de la réconciliation entre l'innovation et l'industrie, l'un des principaux objectifs de ces 30 milliards d'euros.

"La première conviction est que l'innovation de rupture, l'innovation technologique et l'industrie sont liées [...]. Notre pays va se réindustrialiser par des startups et des deeptech. Il n'y a pas de France industrielle contre une France des startups", a affirmé le locataire de l'Elysée dans les salons dorés du palais de la présidence.

Partant du constat que la pandémie avait mis le doigt sur "nos vulnérabilités et notre dépendance à l'égard de l'étranger", Emmanuel Macron entend "rebâtir les termes d'une indépendance productive française et européenne. Nous devons produire ce dont nous avons besoin pour aujourd'hui et demain". Pour parvenir à ces objectifs, il a dressé un épais catalogue de mesures destinées à soutenir notamment les petits réacteurs nucléaires (1 milliard), l'avion bas carbone (4 milliards d'euros), les énergies renouvelables (500 millions d'euros), la décarbonation de l'industrie, l'agriculture et l'agroalimentaire (2 milliards d'euros) ou encore la santé (7,5 milliards d'euros).

30 milliards sur 5 ans sans plan d'exécution

L'enveloppe totale devrait avoisiner les 34 milliards d'euros. Sur ce total, 30 milliards devraient être inscrits dans les projets de loi de finances et les 4 milliards d'euros restants seraient des fonds propres.

"Il s'agit d'argent que nous lèverons sur les marchés sur le modèle des plans d'investissement d'avenir (PIA). Il s'agit d'argent frais qui sera sanctuarisé. Nous devons garder la méthode des investissements d'avenir. C'est beaucoup mieux que l'arbitraire", a assuré Emmanuel Macron.

Sur le plan budgétaire, "les premiers crédits de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros seront engagés dès 2022. Il faut aller vite dès les premiers projets", a-t-il poursuivi. Si le chef de l'Etat a assuré que cet argent sera "sanctuarisé", son entourage est resté évasif sur le fléchage de ces sommes pour l'année prochaine. "Sur 4 milliards d'euros de 2022, on ne peut pas encore vous dire vers quels domaines ces sommes seront fléchées. Il va y avoir une évaluation des besoins. L'expérience du PIA est extrêmement positive", assurent les proches du président.

Sur l'exécution des 30 milliards dans les prochaines années, les conseillers ont également botté en touche. "La sanctuarisation des dépenses pour la première année est assurée mais on ne va pas spéculer sur ce qui va se passer après 2022", ajoutent-ils. "La méthode va être renouvelée. Il s'agit de faire un appel à projets. Nous n'avons pas de maquette budgétaire précise sur les cinq prochaines années", concluent-ils. Les nombreux flous sur la question budgétaire devraient à nouveau susciter d'amples interrogations chez les magistrats du Haut conseil des finances publiques (HCFP). Déjà en septembre dernier, ils avaient tiré à boulets rouges sur la copie budgétaire de l'exécutif jugé "incomplète."

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Le pilotage du plan attendra

Outre les flous sur la question budgétaire, le chef de l'Etat n'a pas apporté de précision sur le pilotage de ce plan d'investissement, évoquant seulement quelques lignes directrices. "La gouvernance sera finalisée à la fin de l'année. Cette gouvernance sera présentée début 2022. Il faut garder « un esprit commando ». Il faut créer les bonnes incitations et la bonne gouvernance . L'équipe qui pilote doit faire appel à tous les talents" a simplement expliqué le futur candidat à la présidentielle. Il a ajouté deux principes qui doivent gouverner ce pilotage :

- la simplicité. Il y a beaucoup de commissions, de secrétariats. Il faut simplifier l'organisation et le pilotage de France 2030 ;

- aller vite : il faut garder le modèle que nous avons dans la science. Les investisseurs privés le font beaucoup mieux que les investisseurs publics."

De leur côté, les proches du chef de l'Etat n'ont pas apporté plus de précisions. "Sur le pilotage, on est encore en "work in progress". Beaucoup d'objectifs sont fixés en matière de politique industrielle. On va construire une gouvernance pour parvenir à ces objectifs et ne pas les laisser tomber [...]  Il faut concevoir une gouvernance du système avec la réalité de l'innovation aujourd'hui ", expliquent-ils. Contrairement au dernier plan de relance qui était doté d'un comité de pilotage situé à Bercy, cette panoplie de mesures n'est pour l'instant pas pourvue d'une telle instance.

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Chez les économistes proches d'Emmanuel Macron, certains comme Philippe Aghion avait pourtant appelé à la mise en œuvre d'une agence calquée sur le modèle de la DARPA aux Etats-Unis.

"Le modèle DARPA est une manière intelligente de faire de la politique industrielle. Comment par exemple transformer une découverte de base comme l'ARN messager en production industrielle de masse? La DARPA est l'outil adapté pour opérer ce type de transition. L'argent vient du gouvernement. Ensuite, celui-ci nomme des équipes qui ont toute latitude pour organiser des partenariats privés-publics et ils ont une mission bien définie, et trois ans pour l'accomplir ", avait expliqué dans nos colonnes, l'économiste professeur au Collège de France. De son côté, Patrick Artus abonde dans le même sens. "Le bon modèle, c'est le modèle de la DARPA. Il faut sortir de la situation où l'Etat fait de la spécialisation mais aujourd'hui, personne ne sait faire la même chose que cette agence américaine" assure l'économiste de Natixis interrogé par La Tribune au sujet du plan d'investissement.

Un impact sur la croissance absent

Les plans de relance et d'investissement font généralement l'objet de modélisation pour tenter de mesurer l'impact sur l'économie et la croissance. Les politiques de relance d'inspiration keynésienne permettent de mettre en œuvre un multiplicateur budgétaire favorable ou défavorable à la croissance du produit intérieur brut (PIB). Lors de la présentation du plan d'investissement, ni Emmanuel Macron, ni ses conseillers n'ont apporté d'explications sur ce possible effet "levier".

"La stratégie pour 2030 doit nous conduire à investir 30 milliards d'euros pour réduire notre déficit de croissance potentielle. Il ne s'agit pas d'investir partout. Il faut savoir où l'on veut aller. En tant que Français et Européen, la France peut prendre le leadership dans certains secteurs. Il y a aussi des secteurs que nous ne pouvons pas abandonner même si la France a du retard", a résumé Emmanuel Macron.

Interrogés sur ce point, les proches du président sont restés très vagues. "L'objectif est de rebondir sur un niveau de croissance potentielle en sortie de crise lorsque le niveau des investissements des entreprises est élevé. Il s'agit de poursuivre cet élan. On ne se livre pas à l'exercice de l'impact sur la croissance potentielle avec ce plan d'investissement", indique l'entourage du chef de l'Etat. Sur le sujet de l'efficacité de la dépense, les conseillers expliquent que "si on fait le pari sur des secteurs émergents, il faut accepter l'échec." Pour Jean-François Robin, directeur de la recherche économique chez Natixis, "la période électorale est un moment où l'on fait feu de tout bois en matière de dépense publique".

Des annonces recyclées sur la santé

Enfin, une partie de l'arsenal d'annonces exprimées par le président avaient déjà été dévoilées au début de l'été. Il s'agit par exemple du plan d'innovation dans la santé doté d'une enveloppe de 7,5 milliards d'euros. "Nous avons une très grande recherche, nous avons modèle de santé qui a tenu et sur lequel nous avons décidé d'investir. En revanche, la France a perdu du terrain en matière d'industrie pharmaceutique [...] L'objectif est d'améliorer la médecine prédictive et préventive. Cela permet d'avoir des meilleurs traitements et d'avoir une médecine plus personnalisée dans une France vieillissante. L'objectif est d'avoir 20 biomédicaments", a affirmé le chef de l'Etat. Malgré un report de la présentation de plus d'un mois, ces flous et recyclages ne devraient pas permettre aux acteurs des différentes filières concernées de se projeter sereinement sur les années à venir.

Grégoire Normand
Commentaires 7
à écrit le 13/10/2021 à 14:54
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on oublie facilement le contexte international. La Chine, les US, le Japon, L Allemagne sont des nations industrielles extremement competitives ,et avec une regularite dans le soutien dans leurs industries. Ce que la France ne fait peut etre pas asse...

à écrit le 13/10/2021 à 9:14
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Il ne fait rien de mpoinsbiu de plus que le Ces prédécesseurs vous avez la mémoire bien sélective et courte : chirac ni a rien fait pendant 15 ans à part garder le pouvoir, Sarko et ses «  1001 » mesures qui a coûté 500 milliard d’endettement supp m...

à écrit le 13/10/2021 à 8:57
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Savent ils ce que veut dire investissement nos politiciens et leurs propriétaires qui détruisent le monde en ronflant ? Franchement rien dans leurs actes ne le prouve.

à écrit le 12/10/2021 à 18:59
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Puisqu’Emmanuel Macron a déclaré : « Si on ne réindustrialise pas le pays, nous ne pourrons pas redevenir une grande nation de recherche et d'innovation », je me demande simplement, sans rentrer dans les détails du plan « Macron 2030 », pourquoi celu...

le 13/10/2021 à 16:27
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non , cette annonce n est pas tardive, elle arrive a point pour l election 2022

le 13/10/2021 à 16:27
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non , cette annonce n est pas tardive, elle arrive a point pour l election 2022

à écrit le 12/10/2021 à 18:38
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ce n'est plus un president c'est une poule pondeuse a millards d'euros ou va t on?

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