Colère des agriculteurs, travail, logement... Ce qu'il faut retenir du discours de Gabriel Attal

Par Pauline Chateau  |   |  1887  mots
Non seulement, Gabriel Attal doit présenter les orientations, et donc les dossiers prioritaires pour l'exécutif, mais il doit aussi répondre à la colère des agriculteurs (Photo d'illustration). (Crédits : STEPHANIE LECOCQ)
Plus de deux semaines après sa nomination au poste de Premier ministre, Gabriel Attal s'est présenté devant les députés dans l'hémicycle à l'Assemblée nationale. À travers cet exercice incontournable de la Ve République, le locataire de Matignon a esquissé les grandes lignes de l'action gouvernementale pour les mois à venir. Le discours promet d'être scruté, puisqu'il est intervenu dans un contexte marqué par un mouvement social d'ampleur des agriculteurs, à quelques mois des élections européennes.

[Article publié le mardi 30 janvier 2024 à 14h19 et mis à jour à 18h21] Clap de fin pour le premier discours de politique générale de Gabriel Attal, ce mardi. Durant une heure et demie, en lieu et place des traditionnelles questions au gouvernement, le Premier ministre s'est exprimé, sans discontinuer - et ce, malgré les chahuts en provenance des bancs de l'opposition - au palais Bourbon. Le mot d'ordre : réaffirmer la position de la France. « Je propose que la France soit pleinement souveraine », a fait valoir Gabriel Attal.

Sous des applaudissements nourris de sa majorité, le locataire de Matignon a entamé son discours mettant l'accent sur la nécessité de « regarder vers l'avenir ».

« Je suis né en 1989, l'année du bicentenaire de la Révolution (...). Notre génération voit son monde chamboulé plus fortement que toute autre avant elle », a-t-il justifié

Toujours dans cette optique, Gabriel Attal a mis l'accent sur « l'identité » française. « La France ne sera jamais une Nation qui subit, a-t-il asséné. Dans les pires moments de doutes, elle a montré son supplément d'âme ».

La colère agricole en tête des priorités...

Au cours des premières minutes de son discours, Gabriel Attal a également glissé un mot pour les agriculteurs « qui travaillent matin, midi et soir pour nous nourrir ». Il a mis l'accent sur la nécessité de « reconquérir notre souveraineté française et européenne », vantant notamment la politique de réindustrialisation, puis s'adressant au milieu agricole :

« Nos agriculteurs incarnent des valeurs fondamentales : le travail, l'effort et la liberté d'entreprendre. Notre agriculture est une force et notre fierté. Il doit y avoir une exception agricole française », a-t-il défendu.

Le Premier ministre a toutefois attendu la toute fin de son discours pour annoncer plusieurs mesures à destination des agriculteurs : des effectifs renforcés à la répression des fraudes (DGCCRF) pour contrôler l'application de la loi Egalim ; le versement « d'ici le 15 mars » des aides européennes de la politique agricole commune (PAC). Toutes les amendes « de l'industrie et de la grande distribution » pour non-respect d'Egalim serviront à aider l'agriculture, a averti Gabriel Attal.

Sans donner de détails, il a aussi évoqué un renforcement des aides fiscales aux éleveurs et « un grand plan de contrôle sur la traçabilité des produits », alors que de plus en plus d'agriculteurs ont décidé d'inspecter par leurs propres moyens des camions - visiblement étrangers - sur les routes de France.

Lire aussiJachères, Mercosur : l'UE tente de faire un pas vers les agriculteurs en colère

Défense de l'Union européenne

À l'échelle européenne, Gabriel Attal a réaffirmé la position française, notamment sur l'épineux dossier des jachères, pour déroger à la règle actuelle, contraignante pour les exploitants. À ce jour, les agriculteurs mènent toujours des actions (manifestations, blocages routiers, etc.) dans l'Hexagone, ce mardi.

De son côté, le locataire de l'Elysée était, au même moment, en déplacement en Suède. Emmanuel Macron a pris la parole, quelques minutes seulement, avant l'expression de son Premier ministre, défendant l'Union européenne, comme n'étant pas entièrement responsable des maux des agriculteurs.

Un point de vue partagé par son Premier ministre qui, à l'issue de son discours, a adopté une position résolument pro-européenne, citant l'exemple du Brexit, comme un échec de la défiance à l'égard de Bruxelles, dans un tacle adressé, indirectement, au Rassemblement national.

Lire aussiGabriel Attal sous pression avant son discours de politique générale

« Je l'assume, il faut désmicardiser la France ! »

Outre le dossier agricole, Gabriel Attal a tenu à répondre aux attentes des classes moyennes, « ceux qui ne peuvent compter que sur leur boulot et ont le sentiment de ne rien recevoir en retour », à l'heure où l'inflation reste supérieure à 3%.

Le Premier ministre a profité de son discours pour cibler les branches professionnelles, dont le salaire minimum est inférieur au Smic. Pour rappel, ce dernier est indexé sur l'inflation. Il s'élève à 1.398 euros net, depuis le 1er janvier. Or, avant même cette échéance, une trentaine de branches étaient concernées sur quelque 170 recensées au total.

« Je n'exclus aucune mesure pour y parvenir », a averti le locataire de Matignon. Gabriel Attal a également fait part de son intention de valoriser la « promotion salariale » :

« Je l'assume, il faut désmicardiser la France ! », a-t-il lancé.

« Dès le prochain projet de loi de finances (...) nous commencerons à réformer ce système », a-t-il poursuivi. Plus concrètement, « aujourd'hui, pour augmenter de 100 euros le revenu d'un employé au Smic, l'employeur devra débourser 238 euros de plus », a explicité l'ancien ministre de l'Education nationale.

« Quant au salarié, il perdra 39 euros de prime d'activité, verra sa CSG et ses cotisations sociales augmenter de 26 euros et pourrait payer l'impôt sur le revenu », a-t-il poursuivi.

En bref, « il n'y a quasiment plus aucun intérêt pour quiconque à augmenter un salarié au Smic », a-t-il déploré.

Dans la foulée, Gabriel Attal a, également, rappelé la promesse du chef de l'Etat en janvier de baisser l'impôt sur le revenu pour les classes moyennes, à hauteur de 2 milliards d'euros dès 2025.

Lire aussiGabriel Attal : un agenda économique très chargé

Le gouvernement veut aller « plus loin » sur l'assurance-chômage

La réforme de l'assurance chômage a, elle aussi, été citée « pour inciter à la reprise d'emploi sans tabou ». Gabriel Attal a fait part de son intention de solliciter les partenaires sociaux, et ce, afin qu'ils négocient de nouvelles règles, si la trajectoire financière du régime d'assurance chômage « dévie ».

« Nous combattrons également toutes les trappes à inactivité », a ajouté le chef du gouvernement, qui a rappelé que l'exécutif maintenait son « objectif de plein-emploi ».

Une nouvelle étape de la réforme du droit du travail a été actée à l'été, « dans un élan de simplification » a-t-il complété. Toujours dans cette « logique », le Premier ministre a promis de « simplifier les normes » administratives de manière globale.

« Tous les organes et organismes qui ne se seront pas réunis dans les douze derniers mois seront supprimés », a-t-il averti, annonçant par la même occasion le dépôt d'une deuxième loi industrie verte dans les prochains mois.

Lire aussiExcès de normes : le gouvernement pressé d'éviter la contagion de la colère à d'autres professions

Un « choc d'offre » pour résoudre la crise du logement

Vantant la réussite du prélèvement à la source - mis en œuvre en 2019 -, il a rappelé qu'il souhaite mettre en place « la solidarité à la source ». Objectif, cibler plus facilement les bénéficiaires des prestations sociales et familiales, et ainsi systématiser leur versement.

Lire aussiImpôt : « Ne pas avoir fait le prélèvement à la source aurait été une faute » (Antoine Magnant, DGFIP)

D'autres mesures sociales, comme le compte épargne temps universel, permettant, en théorie, une portabilité des droits à congés et RTT au cours de la carrière professionnelle, ont été mises en avant.

L'épineuse question du logement n'a pas non plus été oubliée. Au total, cinq mesures ont été rappelées, parfois, sans précisions : la simplification du diagnostic de performance énergétique (DPE) ; simplifier l'accès à Ma Prime Rénov' ; faciliter la densification ; lever les contraintes sur le zonage ; accélérer les procédures.

« Nous répondrons à cette crise du logement en créant un choc d'offre », a-t-il asséné.

Pour inciter les maires à développer du logement social, « nous allons [leur] donner la main pour la première attribution dans les nouveaux logements sociaux construits sur leur commune », a-t-il poursuivi. Pour ce faire, l'exécutif prévoit de revoir le décompte des logements sociaux que les communes doivent respecter au titre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).

« Vous le savez, d'ici 2025, toutes les communes soumises à la loi SRU doivent posséder au moins un quart de logements sociaux sur leur territoire. Nous proposerons d'ajouter pour une part les logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans ce calcul », a détaillé le Premier ministre, qui entend « procéder à des réquisitions pour des bâtiments vides, notamment des bâtiments de bureaux ».

« Nous tiendrons le cap des 3% » sur les finances publiques

Aux deux-tiers de son discours, Gabriel Attal a mis l'accent sur la tenue des finances publiques, fustigeant les mesures fiscales régulièrement dégainées par l'opposition.

« Nous tiendrons le même cap : repasser sous les 3% de déficit public d'ici 2027, grâce à plus de croissance, plus d'activité et à la maîtrise de nos dépenses ; pas grâce à trop d'impôts », a-t-il soutenu.

« Nous mettrons toutes nos forces dans la bataille », a-t-il affirmé, promettant des mesures dès le mois de mars.

« Le préalable du réarmement de la France, c'est la responsabilité budgétaire », a estimé le jeune Premier ministre.

Comme un clin d'œil à la récente décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration, le Premier ministre a réaffirmé la position ferme de l'exécutif sur ce dossier. Dans le même temps, il a promis la « régularisation des médecins étrangers » exerçant en France, pour répondre à la crise du milieu médical, sous pression. Il a annoncé la nomination d'un émissaire, destiné à capter les talents dans ce domaine au-delà des frontières hexagonales.

Au cours de son discours, Gabriel Attal a opté pour une posture sécuritaire, mettant l'accent sur la réinstauration d'une forme d'autorité, notamment pour ceux versant dans la délinquance, au plus jeune âge. « Nous allons geler les avoirs des trafiquants de drogues qui sont identifiés », a-t-il, en outre, ajouté.

Une « écologie populaire, à la française »

Enfin, au terme de son discours, le locataire de Matignon est revenu sur la question écologique. « Je crois que nous ne ferons pas l'écologie contre le peuple, a-t-il jugé, citant les agriculteurs et automobilistes. Nous allons continuer à bâtir ensemble une écologie populaire, à la française. »

Après s'être félicité de la politique de décarbonation de l'industrie - visant les 50 sites les plus polluants -, il a annoncé une mesure équivalente pour les cinquante sites rejetant le plus de plastiques dans les mois à venir. Il a également vanté l'utilisation du nucléaire, tout en développant les énergies renouvelables.

« Nous lancerons un service civique écologique », a-t-il complété, à destination des plus jeunes, souhaitant s'engager pour la planète.

Une réforme du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles a également été annoncée par Gabriel Attal.

« Je ne renoncerai jamais à dialoguer »

Au Parlement, le contexte politique reste, lui, inchangé. Le plus jeune Premier ministre de la Ve République (34 ans) doit composer, comme ses prédécesseurs, avec une majorité relative à l'Assemblée.

« Nous avons la France en partage et avons la responsabilité de dépasser nos clivages. Evidemment, nous ne serons pas d'accord sur tout, mais je vous le dis : je ne renoncerai jamais à dialoguer », a fait valoir Gabriel Attal.

La gauche avait fait part de son intention de déposer une motion de censure, afin de protester contre le choix de Gabriel Attal de ne pas solliciter de vote de confiance. Elle a toutefois peu de chances d'être adoptée sans la droite.