Travailler dans le monde agricole est encore plus difficile pour une femme que pour un homme. Voici ce que pensent deux-tiers des agricultrices interrogées par l'institut Verian pour la Mutualité sociale agricole (MSA), lors d'un sondage réalisé entre le 2 et le 15 janvier 2024, juste avant l'explosion du mouvement de colère des agriculteurs.
Plus de huit agricultrices sur dix constatent en effet des inégalités entre les femmes et les hommes dans le milieu agricole, et 31% considèrent même que ces disparités y sont plus marquées que dans les autres secteurs d'activité. Seules 61 % des femmes interrogées se sentent ainsi aussi légitimes que leurs pairs masculins, et près d'une sur deux se sent moins soutenue, moins reconnue pour la qualité de son travail, moins acceptée et moins respectée.
Une rémunération et une retraite inférieure
Cette perception correspond pour plusieurs raisons à la réalité. La reconnaissance du travail et du statut agricole des femmes a été très tardive : elles n'ont obtenu des droits dans la gestion de l'exploitation de leurs conjoints que dans les années 80. Et leurs revenus restent inférieurs de 29 % en moyenne à ceux des hommes, a expliqué, le 23 février dernier à France culture, Clémentine Comer, docteure en sciences politique et post-doctorante à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et m'environnement (Inrae).
Publiées par la MSA, les dernières statistiques qui datent de 2022 montrent d'ailleurs qu'en raison de leur carrière et de leur rémunération, le montant de la pension de retraite perçu par les agricultrices est inférieur à celui perçu par les agriculteurs.
« En prenant en considération l'ensemble des régimes et tous les droits, le différentiel de retraite entre les hommes et les femmes atteint 17,5 % », précise l'étude.
Une représentation syndicale très masculine
Les inégalités sont aussi réelles dans la représentations syndicale agricole. Ainsi, alors que les assemblées des chambres d'agriculture comptent un tiers de femmes (la loi impose que les listes contiennent un tiers de candidates), les femmes présidentes de chambres départementales ne sont que trois (Drôme, Lozère et Côtes-d'Armor), observe encore Clémentine Comer, interrogée par Ouest France.
Si la Confédération paysanne (CP) et la Coordination rurale (CR) ont des femmes à leurs têtes (Laurence Marandola, et Véronique Marchesseau, porte-parole et secrétaire générale de la CP, et Véronique Floc'h, présidente de la CR), le bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, présidé par Arnaud Rousseau et composé de 26 personnes, compte une seule femme, Catherine Faivre-Pierret. Dans le bureau national des Jeunes agriculteurs, il y en a deux, sur quinze membres : Justine Fusi et Manon Pisani.
Un quart des chefs
Pourtant, un agriculteur sur trois est une agricultrice. En 2022, selon les dernières statistiques de la MSA, les femmes représentaient notamment près de 24,5% des chefs d'exploitation et d'entreprise agricole, et leur âge moyen (51,5 ans) était supérieur à celui des hommes (48,6ans). La même année, elles représentaient 34% des installations, et 38,6% de l'effectif des salariés agricoles.
En outre, « les femmes actives du monde agricole affichent une expérience solide dans leur secteur », montre le sondage de la MSA, puisque 62 % y travaillent depuis au moins 10 ans. Et pour elles l'agriculture n'est souvent pas un choix par défaut : seule une sur deux a son conjoint qui travaille dans le domaine agricole, et moins de la moitié sont issues d'une famille agricole. Un quart vient même de familles citadines, et plus d'une sur trois a intégré le monde agricole dans le cadre d'une reconversion professionnelle.
Elles se montrent d'ailleurs très motivées par l'agriculture : « quasiment toutes la décrivent comme un métier 'passion' (93 %) qui leur semble de toute évidence essentiel (96 %) et dans lequel elles s'épanouissent (84 %, 92 % même pour les plus jeunes de moins de 35 ans) », révèle le sondage de la MSA. Malgré les disparités, elles font preuve aussi d'une grande tolérance quant à leurs relations avec les hommes du même milieu : les trois-quarts d'entre elles disent les considérer bonnes.