Grippe aviaire : le Japon suspend ses importations de foie gras français (malgré la vaccination des canards)

Alors que la France a débuté une campagne massive de vaccination de ses canards, désormais obligatoire, certains pays ont suspendu leurs importations. A commencer par le Japon pour qui la mesure française est synonyme d'une mauvaise maîtrise de l'épidémie. Au grand dam des producteurs de l'Hexagone, notamment de foie gras dont l'archipel est un grand importateur. Mais la France n'a pas dit son dernier mot et tente, grâce à une « diplomatie sanitaire », de redorer l'image de ses palmipèdes à l'international.
Coline Vazquez
Les éleveurs de canards ont été durement touchés ces dernières années par les crises successives d'épidémie de grippe aviaire.
Les éleveurs de canards ont été durement touchés ces dernières années par les crises successives d'épidémie de grippe aviaire. (Crédits : Regis Duvignau)

[Article publié le jeudi 05 octobre à 17H05 et mis à jour le vendredi 6 octobre à 09H29] C'est une petite révolution dans le monde des palmipèdes. Lundi 2 octobre débutait la vaccination des canards contre l'influenza aviaire. Plus connue sous le nom de grippe aviaire, elle a décimé bon nombre d'élevages en France de 2015 à 2017 puis quasiment en continu depuis fin 2020. Des dizaines de millions de volailles ont ainsi dû être euthanasiées dont 32 millions depuis l'été 2021, impliquant des pertes économiques colossales pour les éleveurs concernés.

Un véritable fléau contre lequel la France a brandi l'arme de la vaccination, désormais obligatoire dans tous les élevages de plus de 250 canards (hors reproducteurs).

Mais si c'est un véritable soulagement pour bon nombre de professionnels, la mesure n'est pas sans conséquences pour la filière. Car, paradoxalement, la décision française de vacciner a conduit certains pays à suspendre leurs importations de volailles... Pourtant gage d'une lutte menée contre le virus, la campagne de vaccination n'est pas perçue de la sorte, notamment au Japon où le foie gras français (à 99 % issu du canard) s'est pourtant largement imposé auprès des consommateurs. Il y a « une tradition de la cuisine du foie gras apportée, notamment, par les grands chefs français venus s'y installer », rapporte Marie-Pierre Pé, directrice du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog).

En 2021, l'archipel représentait 6% des exportations françaises se plaçant à la deuxième place du classement des pays (hors UE) importateurs, derrière la Suisse (9%). Il a néanmoins suspendu toutes ses importations de volailles vivantes et de viande de volailles le jour même du début de la campagne de vaccination.

Lire aussiLe poulet ukrainien inonde le marché français : les volaillers tricolores tirent la sonnette d'alarme

Crainte d'une diffusion du virus

« Le fondement de la décision japonaise est de maîtriser 100% du risque d'importation du virus via des animaux ou des produits qui pourraient ensuite contaminer leurs propres élevages. On sait bien que d'un point de vue technique et scientifique ce risque est extrêmement faible, voire nul, mais c'est une possibilité laissée dans le droit des échanges internationaux de pouvoir suspendre ses importations afin de se préserver de cela », explique Jocelyn Marguerie, président de la commission aviaire de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV).

En outre, « l'argument du Japon, qui est particulièrement attentif sur ce point-là, est de dire qu'un pays qui vaccine ne maîtrise pas la circulation du virus sur son territoire », résume-t-il. La France a pourtant recouvré en août son statut de pays « indemne » qui notifie à l'ensemble des pays partenaires au niveau mondial que le virus est officiellement absent de tous les élevages de volailles et que ceux qui ont été confrontés à la grippe aviaire ont été entièrement nettoyés, désinfectés et contrôlés. Le Japon importait d'ailleurs encore du foie gras français cet été...

La filière de la volaille réticente au vaccin

Il n'est toutefois pas le seul à avoir suspendu ses importations. La vaccination « peut masquer une infection par le virus de la grippe aviaire (...) et ainsi permettre l'exportation d'animaux vivants infectés ou de produits contaminés par le virus vers les États-Unis », a également expliqué le ministère américain de l'Agriculture (USDA) dans un message à l'AFP. Le pays a donc interdit les importations en provenance de France de volailles vivantes, d'oeufs à couver - destinés à faire de futurs poussins ou canetons mais qui, selon les douanes françaises, ne représentaient par exemple que 1% des exportations totales de la France -  ainsi que des viandes de volailles non transformées. Les produits issus de volailles cuits ou cuisinés de façon à ce que le virus soit détruit peuvent toujours être importés avec la documentation adéquate, a précisé l'USDA. Ne pouvant garantir que des canards vaccinés - et donc potentiellement porteurs sains de la maladie - ne circulent pas librement au sein des pays européens membres du marché commun, les Etats-Unis ont aussi restreint les importations de canards vivants et de produits crus issus du volatile en provenance de cette zone.

De son côté, le Canada a  suspendu « temporairement » l'importation des volailles vivantes, des oeufs à couver, et des produits de volaille frais, congelés ou crus en provenance de France tout en continuant à autoriser les produits « traités thermiquement, cuits ou mis en conserve », a indiqué l'agence canadienne d'inspection des aliments dans un communiqué.

« On ne sait pas si la viande provenant de canards vaccinés pourra être exportée vers d'autres pays, ni comment la France identifiera, tracera et contrôlera les animaux reproducteurs vaccinés », y est-il justifié.

« Près de la moitié des pays avec qui la France commerce ont plutôt une position attentiste et ne sont pas fermés à la discussion. Mais le fait que les Etats-Unis aient bloqué leurs importations peut pousser d'autres pays à faire de même », alerte Yann Nédélec, directeur de l'interprofession de la volaille de chair, Anvol. Celle-ci ne tient d'ailleurs pas à voir l'obligation de vaccination étendue à toutes les volailles. Elle est, pour l'heure, limitée aux canards, espèce au sein de laquelle le virus se répand plus facilement.

« Cela ne veut pas dire que la question ne se posera pas dans les années à venir en fonction de l'évolution du virus, mais la vaccination a des incidences sur les exportations », explique-t-il à La Tribune.

Sans compter que la France n'est pas la seule à produire du foie gras et exporter des volailles. « Du fait que l'on vaccine les canards, ce qui freine les exportations dans certains Etats, il peut y avoir des pays eux aussi producteurs, comme la Hongrie, la Bulgarie ou encore la Pologne, qui tirent leur épingle du jeu », explique Yann Nédélec qui craint de voir des parts de marché perdues par les éleveurs français au profit de leurs homologues européens. « Ces pays ont, eux aussi, été victimes de l'influenza aviaire », indique néanmoins Marie-Pierre Pé qui assure que « la France devrait retrouver sa place dès lors qu'il sera possible d'exporter de nouveau ».

Pour autant, la crainte de voir les ventes à l'étranger s'effondrer a pu expliquer le temps pris pour rendre la vaccination obligatoire, estime Jocelyn Marguerie. « Cela fait plusieurs années qu'on réfléchit à la vaccination en France et qu'on recule au moment de la mettre en oeuvre. Et la crainte que cela pèse sur les exportations est certainement rentrée en ligne de compte », rapporte-t-il.

D'autant que les exportations françaises ont déjà été durement éprouvées par les différentes vagues d'influenza aviaire. À titre d'exemple, les deux épisodes en 2016 et 2017, qui ont entraîné la fermeture des marchés à l'export la France ayant perdu son statut de pays « indemne », ont représenté des pertes respectives de 33,1 et de 31,1 millions d'euros, selon Itavi, un organisme de recherche indépendant spécialisé dans les filières avicole, cunicole et piscicole.

Lire aussiPourquoi Label Rouge veut exporter ses volailles en Europe du Nord

« Diplomatie sanitaire »

Or, « il y a des entreprises dont une grosse partie du chiffre d'affaires repose sur ces exportations », rappelle Yann Nédélec. Pour éviter qu'elles se voient fermer la porte de tous les pays traditionnellement importateurs, le ministère de l'Agriculture s'est employé, en amont du déploiement de la vaccination, à rassurer les clients étrangers. Un travail de « diplomatie sanitaire » a ainsi été mené d'abord au sein de l'Union européenne notamment lors de la conférence régionale de l'Europe de l'Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) puis à l'échelle mondiale. Le sujet de la vaccination a été « beaucoup discuté » lors de la session générale de l'OMSA en mai dernier, indique le ministère qui précise que, « dans un second temps, des courriers ont été envoyés à une liste de 70 pays ciblés selon les enjeux des marchés exports et de l'acceptabilité de la vaccination », autrement dit ceux susceptibles de suspendre leurs importations, « afin d'ouvrir un dialogue centré sur les pays en question, de répondre à leurs interrogations et de in fine de les convaincre d'accepter la campagne de vaccination française », explique-t-on.

Car si d'autres pays la pratiquent, comme la Chine, « la France le fait non pas pour réduire l'étendue du virus et vivre avec, mais bien pour l'éradiquer à terme des élevages. C'est en cela que c'est une première mondiale », souligne Jocelyn Marguerie qui admet toutefois que l'objectif de zéro cas cette année « est assez peu probable ». « Mais on espère qu'avec la vaccination, nous allons pouvoir éviter des contagions à très large échelle comme on en a connu par deux fois en 2022 et ainsi gérer plus sereinement les quelques cas qui ne manqueront pas d'arriver », explique-t-il.

« La France est, en effet, le seul pays à déployer la vaccination de façon aussi transparente et à y associer un plan de surveillance aussi draconien », abonde Marie-Pierre Pé.

De l'avis général, ce travail de pédagogie a ainsi permis d'éviter que davantage de pays ne ferment leurs portes aux canards et au foie gras français. Mais surtout, « les efforts ne doivent pas faiblir », signale Yann Nédélec. Le ministère assure d'ailleurs que « des échanges intenses sont en cours avec tous les pays qui ont des interrogations, notamment le Japon ». Et d'insister en précisant que « ce sujet est abordé régulièrement à haut niveau avec les autorités japonaises », notamment lors de la réunion du G7 des chefs des services vétérinaires en septembre par exemple. « Les partenaires commerciaux comme le Japon vont mettre à l'épreuve les réponses qu'on va pouvoir leur apporter avant de rouvrir leurs frontières », résume, de son côté, le responsable au SNGTV. De quoi priver les Japonais de foie gras pour les fêtes de Noël ?

Coline Vazquez

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 06/10/2023 à 10:42
Signaler
Ma famille et moi on ne mange plus de foie gras depuis les différentes épidémies. En plus avec leur vaccination le Japon a raison d'appliquer le droit de précaution et d'autres pays suivrons. Et au prix ou est vendu le fois gras avec l'inflation; peu...

le 06/10/2023 à 10:58
Signaler
@Dégueu: Avez-vous essayé le foie gras d'Alsace?

le 06/10/2023 à 11:48
Signaler
@ henry: Il n'en a rien à faire.

à écrit le 06/10/2023 à 8:18
Signaler
"Les éleveurs de canards ont été durement touchés ces dernières années par les crises successives d'épidémie de grippe aviaire" Pas vraiment non, ils ont été massacrés depuis Maastricht en fait, par l'UE afin de générer des gros et d'éradiquer les pe...

le 06/10/2023 à 9:42
Signaler
J'ai connu l'époque ou les gens faisaient du canard dans leurs cuisines pour le vendre, alors certes parfois, rarement, vraiment très rarement, il pouvait y avori des cas de digestion difficile mais cela ne m'est jamais arrivé d'une part et d'autre p...

à écrit le 06/10/2023 à 0:12
Signaler
Normal qui est la grippe aviaire dans des élevages de plus de 100 canards ou oies . Ne croyez tout de même pas qu ils sont en’ train de gambader dehors.. et nourris à l herbe …ils sont enfermés dans des hangars entassés les uns sur les autres comme ...

à écrit le 05/10/2023 à 19:28
Signaler
Le canard vacciné est-il sans risque? Les japonais mangent tout cru ce qui sort d'une mer quasi-pure (au pire une pincée de tritium selon les pisse vinaigre). Ce sont des experts dont l'avis m'importe beaucoup!

à écrit le 05/10/2023 à 19:18
Signaler
Ça en fera plus pour nous "à pas cher"😃👍

le 05/10/2023 à 20:04
Signaler
Pas sûr, il y a toute la nourriture qui leur est donné à payer, mais les excédents invendus de foie gras iront aux restos du cœur. :-) On risquerait de se 'gaver' c'est pas recommandé. :-) Nutriscore E = pas trop souvent et avec modération. Y a un ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.