Prix alimentaires : les marges des industriels et des distributeurs de nouveau sur la sellette

Quatre associations de consommateurs appellent à une « transparence totale » et à « des mesures concrètes pour rendre impossibles les marges excessives sur les produits alimentaires essentiels, sains et durables ». Une proposition de loi doit être examinée jeudi par l'Assemblée nationale. Mais du côté du gouvernement, la mise en œuvre de la promesse d'Emmanuel Macron d'un « accord sur la modération des marges » reste en suspens.
Giulietta Gamberini
« En 2021, c'est notamment grâce aux bénéfices du rayon fruits et légumes ( + 247 millions d'euros après impôts) que la grande distribution a couvert les pertes de son rayon boulangerie / pâtisserie (- 65 millions d'euros)  », dénonce Familles Rurales.
« En 2021, c'est notamment grâce aux bénéfices du rayon fruits et légumes ( + 247 millions d'euros après impôts) que la grande distribution a couvert les pertes de son rayon boulangerie / pâtisserie (- 65 millions d'euros)  », dénonce Familles Rurales. (Crédits : Reuters)

Moins de deux semaines après la promulgation de la loi d'urgence du gouvernement anticipant les prochaines négociations commerciales dans l'espoir de contenir l'inflation, quatre importantes associations de consommateurs remettent en haut de la pile le sujet le plus sensible dans les relations entre distributeurs et industriels de l'agroalimentaire : celui de leurs marges. Dans une lettre ouverte adressée au Président de la République, foodwatch, Familles Rurales, UFC-Que Choisir et la CLCV (Consommation Logement Cadre de Vie) dénoncent la responsabilité de l'industrie agroalimentaire et des enseignes de la grande distribution dans l'inflation alimentaire record des deux dernières années.

En lançant en parallèle une pétition, elles exigent l'instauration d'une « obligation de transparence totale et immédiate sur les marges nettes par produits » réalisées par ces acteurs, « des mesures concrètes pour rendre impossibles les marges excessives sur les produits alimentaires essentiels, sains et durables » ainsi que « la suppression de la marge minimale garantie de 10 % pour la grande distribution (seuil de revente à perte : SRP +10) ».

La marge brute de l'industrie agroalimentaire à 48%

En deux ans, l'inflation alimentaire a grimpé de plus de 20%, en aggravant la situation de la précarité alimentaire en France, rappellent les associations. Or, alors que « industriels et enseignes de la grande distribution n'ont cessé de se renvoyer la responsabilité des additions salées des caddies alimentaires ces derniers mois », plusieurs études semblent montrer que « les deux profitent de la crise ».

Dans ses Comptes nationaux trimestriels au premier trimestre 2023, publiés le 31 mai, l'Insee fait notamment état d'une augmentation de la marge brute de l'industrie agroalimentaire de 28 à 48% entre fin 2021 et le 2e trimestre de 2023 : « un niveau historique qui laisse penser qu'il ne s'agit pas d'un simple rattrapage des années précédentes ».

Quant à la grande distribution, les chiffres, bien qu'imprécis, de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) « révèlent que la grande distribution a augmenté ses marges en 2022 sur des produits de première nécessité tels que les produits laitiers (lait, certains fromages), les pâtes, les fruits et les légumes », en gagnant en même temps des parts de marché sur les produits de marque de distributeurs (MDD), moins chers. « En 2021, c'est notamment grâce aux bénéfices du rayon fruits et légumes ( + 247 millions d'euros après impôts) que la grande distribution a couvert les pertes de son rayon boulangerie / pâtisserie (- 65 millions d'euros)  », dénonce Familles Rurales.

La grande distribution applique aussi depuis 2019 un seuil de revente à perte (SRP) de +10%. Instauré par la loi Egalim afin de garantir une juste rémunération aux producteurs, il a fait grimper le budget alimentaire des ménages de 1,6 milliard d'euros en deux ans, en profitant essentiellement aux distributeurs, selon l'UFC-Que Choisir. 

Des chiffres contestés par les  industriels

Interviewé sur TF1 et France 2  le 24 septembre 2023, Emmanuel Macron lui-même  avait promis la mise en place d'« un accord sur la modération des marges » alimentaires, à laquelle il avait assuré qu'il veillerait personnellement. Mais le chantier avait rapidement été mis en suspens par le gouvernement. Lors d'entrevues avec les industriels, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avait notamment exprimé le souhait d'obtenir d'abord des données plus précises sur leurs marges.

Ces derniers contestent en effet les chiffres de l'Insee. L'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (Ilec) calcule plutôt qu'entre le 1er janvier 2022 et le 30 juin 2023, pour un échantillon comptant plus de la moitié des adhérents de l'association, les coûts ont augmenté de 2 milliards, alors que les revenus générés n'ont crû que de 1,4 milliard.

« Les industriels ont couvert les deux tiers de leurs surcoûts », a affirmé son directeur général, Richard Panquiault, devant la commission Affaires économiques de l'Assemblée nationale le 20 septembre  : « Leur marge ne s'améliore pas, leur marge se détériore ».

Encore cette année d'ailleurs, la plupart des entreprises de l'agroalimentaire vont démarrer leurs négociations commerciales avec la grande distribution avec des tarifs en hausse car leurs coûts (matières premières agricoles, emballages, transport, salaires, énergie...) « continuent à augmenter », même si « moins vite que l'an dernier, fort heureusement », prévenait encore le 28 novembre Jean-Philippe André, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania).

Malgré cette nécessité d'un éclaircissements pourtant, le 6 octobre, au Sommet de l'élevage, le ministre de l'Economie, Bruno Lemaire, s'est limité à promettre la préservation des marges des producteurs agricoles « conformément aux lois Egalim », via deux missions confiées à l'Inspection générale des Finances et à l'Observatoire des prix et des marges. Et selon les intentions initiales du gouvernement, les marges des industriels et des distributeurs ne devraient pas non plus être à l'ordre du jour de la mission gouvernementale qui sera lancée prochainement sur une réforme en profondeur des négociations commerciales.

« Bruno Le Maire ainsi qu'Olivia Grégoire travaillent avec l'OFPM pour apporter aux Français davantage de transparence sur les marges des différents acteurs » de l'agroalimentaire, a précisé le 29 novembre le ministère de l'Economie à un groupe de journalistes, sans toutefois préciser encore les modalités.

Lire: Prix alimentaires : faut-il réformer de fond en comble les négociations commerciales ?

Une proposition de loi devant les députés

La question sera dans tous les cas à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 30 novembre. Les parlementaires doivent en effet examiner une proposition de loi « visant à lutter contre l'inflation par l'encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d'achat plancher des matières premières agricoles »,déposée le 17 octobre par les membres du groupe LFI-Nupes. Vidée de la quasi-totalité de son contenu par la commission des Affaires économiques, la proposition de loi ne contient désormais qu'un seul article, permettant à l'OFPM d'effectuer « des contrôles réguliers des marges réalisées par (...) les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs », et à « publier des rapports périodiques sur les résultats de ses contrôles, en veillant à protéger les informations confidentielles des parties prenantes  ».

Les parlementaires à l'origine de la proposition espèrent toutefois réintroduire par amendements les dispositions initiales, affirme la députée Aurélie Trouvé. Ils souhaitent notamment l'instauration d'un mécanisme d'encadrement des marges des industries agroalimentaires et de la grande distribution qui deviendrait opérationnel seulement lorsque les prix payés par les consommateurs s'écartent trop de ceux reversés aux producteurs agricoles, explique-t-elle. Ils proposent aussi la suppression du SRP+10.

Afin de protéger les producteurs, ils suggèrent également la fixation annuelle, par les interprofessions de chaque filière, d'un niveau plancher de prix d'achat des matières premières agricoles aux producteurs. Cette dernière est, selon Aurélie Trouvé, la disposition qui aurait le plus de chances d'être retenue. Si elle ne profiterait pas aux consommateurs, elle représenterait au moins « une grande victoire pour le monde agricole, car la bataille contre l'inflation a jusqu'à présent été menée à leur détriment », estime la députée.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 9
à écrit le 30/11/2023 à 12:22
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La seule solution à ces calendriers qu'ils faut modifier au gré de la météo politique est la soviétisation du commerce. Vous dites? Les étals seront vides? Ah! Si vous préférez le Dirigisme-PseudoLibéral....

à écrit le 29/11/2023 à 20:32
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Un seul remède pour combattre l'inflation des produits alimentaires ; cuisiner des produits frais et de saison en lieu et place des plats préparés, pizza emballée , surgelé , crèmes dessert etc... pour une famille de deux adultes et deux enfants le ...

à écrit le 29/11/2023 à 19:45
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c'est comme a l'ecole francaise, le petit qui sait lire et ecrire est puni, car ses trop bonnes notes stigmatisent au facies celui qui n'a pas eu la chance d'avoir envie d'apprendre ses poesies et ses tables de multiplication, donc, tout est ok, c'es...

à écrit le 29/11/2023 à 19:22
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y a pas que les canards qui se gavent .

à écrit le 29/11/2023 à 18:54
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et que fait l'état? 5.5% sur les aliments, voire 10 ou même 20%, vous trouvez cela normal??? Mais il est vrai que quand un pays taxe les carburants à 65% minimum, cela parait dérisoire.....au fait, il parait que les carburants ont baissé? Vraiment? I...

à écrit le 29/11/2023 à 18:46
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Loin des jérémiades des agro- industriels et des distributeurs ils suffit de regarder et comparer les compte de résultat et les bilan Comptable entre 2021-2022-2023 et o surprise les bénéfices augmentent de 27-43% à périmètre constant et quand on dé...

à écrit le 29/11/2023 à 18:46
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Loin des jérémiades des agro- industriels et des distributeurs ils suffit de regarder et comparer les compte de résultat et les bilan Comptable entre 2021-2022-2023 et o surprise les bénéfices augmentent de 27-43% à périmètre constant et quand on dé...

à écrit le 29/11/2023 à 18:42
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Bonjour, dernièrement la hausse sur le prix des pomme de terre est un scandale... Rien ne justifie de telle hausse... Si l'agriculture française n'est pas capable de nourrie la population à un prix acceptable, ils faut arrêter la PAC et toute les al...

à écrit le 29/11/2023 à 18:00
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"pour rendre impossibles les marges excessives sur les produits alimentaires essentiels" Et c'est pas la mer à boire qu'on leur demande quand même !

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