L’hommage d’Esther Duflo à Daniel Cohen

La Prix Nobel salue l’œuvre de son ancien professeur, et lui succède à la tête de l’École d’économie de Paris.
À gauche, Daniel Cohen en 2018. À droite, son ancienne élève, Esther Duflo, Nobel d’économie en 2019.
À gauche, Daniel Cohen en 2018. À droite, son ancienne élève, Esther Duflo, Nobel d’économie en 2019. (Crédits : GÉRALDINE ARESTEANU ; FRANCOIS BOUCHON)

En quelques jours, les hommages à Daniel Cohen se sont enchaînés. Le 29 janvier, à l'École normale supérieure (ENS) dont il était issu. Puis, avec la parution le 1er février d'un ouvrage collectif, Daniel Cohen, l'économiste qui voulait changer le monde (Albin Michel), ainsi que celle de son dernier livre, Une brève histoire de l'économie (Albin Michel).

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Préfacé par son ancienne élève et amie Esther Duflo, professeure au MIT et couronnée aux côtés de son époux Abhijit Banerjee par le prix de la Banque de Suède en sciences économiques (le Nobel de la discipline) en 2019, ce texte retrace l'épopée économique du monde, de l'apparition des chasseurs-cueilleurs à celle de l'« Homo numericus » (son avant-dernier livre, paru en 2022). « La croissance est la religion du monde moderne », écrit en incipit cet auteur dont l'éclectisme se manifestait tant dans ses amitiés que dans sa culture.

Un humaniste

La disparition de ce grand économiste français, mort en août 2023 à l'âge de 70 ans, laisse, outre ses proches, de nombreux orphelins. Ce maître d'élèves devenus maîtres à leur tour s'était tourné vers les sciences économiques après son entrée en 1973 à l'ENS et son agrégation de mathématiques. « Mon frère est un matheux qui a fait de l'économie », sourit Michel Cohen, lui-même X-Mines. Normalien, professeur invité à Harvard, président de l'École d'économie de Paris, senior advisor de la banque Lazard pendant deux décennies, cet humaniste naviguait avec enthousiasme de Spinoza à Proust, en passant par Leonard Cohen ou Roger Federer.

« Dès mon arrivée à l'ENS, Daniel Cohen m'a convaincue de m'intéresser à l'économie, alors que je souhaitais m'orienter vers des études d'histoire »

« Dès mon arrivée à l'ENS, Daniel Cohen m'a convaincue de m'intéresser à l'économie, alors que je souhaitais m'orienter vers des études d'histoire », raconte Esther Duflo. « Vous n'aurez aucun problème avec les maths », lui dit-il alors pour mieux la persuader de bifurquer. La future lauréate du prix Nobel suit son conseil, tout en « détestant » son cursus en licence d'économie : « J'ai été "sauvée" deux fois par Daniel. Il m'a démontré qu'en passer par là était l'équivalent de faire ses gammes en musique. » Partie à Moscou, Esther Duflo retrouve le goût de cette discipline en étudiant l'histoire économique de la Russie et en « dévorant » le livre de son professeur, Les Infortunes de la prospérité (Julliard, 1994) : « La transmission suppose aussi de s'adresser à un public plus large, en abordant des idées nouvelles. »

Bruno Le Maire, auteur d'un discours très personnel lors des obsèques de Daniel Cohen, note son « talent exceptionnel pour la pédagogie, ainsi que sa disponibilité et son esprit créatif ». Estimant qu'il ne faut pas « distinguer la réflexion de l'action », Daniel Cohen avait répondu à l'appel du ministre de l'Économie et des Finances pendant la pandémie pour analyser les mesures à prendre face à la crise sanitaire. « Daniel mettait sa pensée à l'épreuve du réel en permanence sur d'innombrables sujets, du rachat de la dette de l'Équateur au prélèvement à la source pour l'impôt sur le revenu », ajoute son éditeur et ami Alexandre Wickham.

Passionné de tennis

Passionné de tennis, cet expert des théories complexes démontrait, mathématiques à l'appui, pourquoi Roger Federer ne pouvait pas résister au gaucher Rafael Nadal... « Il s'est un jour extirpé pendant deux heures d'une réunion en présence d'un chef d'État pour aller regarder un match de Roland-Garros », s'amuse Matthieu Pigasse, aujourd'hui à la tête de la filiale française de la banque d'affaires Centerview. Les deux hommes ont parcouru la planète ensemble pour conseiller des gouvernements en difficulté avec leurs dettes, en Grèce, mais aussi au Pérou, ou au Venezuela. « C'était l'une des rares personnes capables de mêler l'ensemble des disciplines », confie le banquier, qui se souvient que Daniel Cohen partait en mission avec deux valises, l'une remplie de livres.

« Ma décision d'accepter de prendre la présidence du conseil d'administration de l'École d'économie de Paris me permet de continuer à construire ce que Daniel avait commencé », confie Esther Duflo. Parmi ses projets, le lancement du prix Daniel-Cohen, qui récompensera en juin la meilleure thèse de l'année, en lien avec les politiques économiques. « Ainsi que la levée de fonds pour la création d'une chaire pérenne, avec un professeur de haut niveau qui incarne les valeurs de Daniel », ajoute-t-elle. La professeure au MIT et au Collège de France retrouve « sa voix » dans Une brève histoire de l'économie : « C'est une excellente introduction pour ceux qui ne l'ont pas encore lu. Pour les autres, c'est l'occasion de retrouver un vieil ami. » Cette spécialiste des politiques de lutte contre la pauvreté souligne son rôle de « passeur » : « Il trouvait le meilleur dans chacune des personnes à qui il s'adressait. Sa passion a été de former des générations d'étudiants, ce qui a transformé l'enseignement de l'économie en France. »

Commentaire 1
à écrit le 04/02/2024 à 9:30
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"Tiens je te passe la balle et tu me la repasses ensuite."

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