L'impossible unité syndicale (pour l'instant) face aux réformes sociales de Macron

Face aux ordonnances réformant le droit du travail, les syndicats affichent une totale désunion. La CGT veut lutter dans la rue, la CFDT dans les entreprises. Mais le prochain chantier de la réforme de l'assurance chômage pourrait ressouder l'unité.
Jean-Christophe Chanut
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, veut lutter contre les ordonnances Macron dans les entreprises... pas dans la rue, à la différence de la CGT. En revanche, la CFDT est très claire, elle est prête à se mobiliser si l’Exécutif remet en cause le fonctionnement de l'assurance chômage.

Emmanuel Macron va-t-il gagner la bataille sociale, faute d'unité syndicale pour contester ses réformes menées au pas de charge ? Il est un peu tôt pour répondre à cette question mais, force est de constater que, pour l'instant, la « mayonnaise » ne prend pas : les actions des diverses fédérations de routiers n'ont pas bloqué le pays ; les journées de manifestations organisées par la CGT les 12 et 21 septembre n'ont pas permis, à ce stade, d'enclencher un rassemblement plus large, même si au sein de la CFDT et de Force Ouvrière de fortes minorités appellent aussi à descendre dans la rue.

Unité... dans la seule fonction publique

Il n'y a que dans la fonction publique que l'unité se retrouve avec l'organisation d'une journée de protestation le 10 octobre à laquelle se rallient l'ensemble des organisations. Il faut dire que les fonctionnaires constituent les gros bataillons des organisations syndicales. Or, les élections professionnelles dans la fonction publique se profilent - elles auront lieu en décembre 2018 - aussi, malheur à l'organisation syndicale qui « négligerait » les fonctionnaires. C'est ce qu'a bien compris la CFDT qui ambitionne de devenir la première organisation dans la fonction publique - après avoir déjà ravi la première place dans le privé, aux dépens de la CGT - qui a appelé à descendre dans la rue le 10 octobre, alors qu'elle ne l'a pas fait pour les ordonnances réformant le droit du travail. D'ailleurs, la direction de la CFDT, Laurent Berger en tête, s'est fait invectiver par de nombreux adhérents, lors du grand rassemblement parisien de la CFDT du 10 octobre qui a réuni 10.000 militants.

« Qu'est-ce qu'on attend pour descendre dans la rue ? », a ainsi lancé un délégué du personnel. « Soit vous ne comprenez pas, soit vous faites semblant de ne pas comprendre que derrière toutes ces réformes, il y a un projet patronal » a relevé un autre, évoquant les lois Rebsamen de 2015 et El Khomri de 2016. Lui aussi réclame des « actions beaucoup plus fortes et vigoureuses pour contrer les ordonnances ».

Très serein, le secrétaire général de la CFDT leur a répondu dans son discours :

"Je comprends l'envie légitime de certains d'entre nous d'enfiler les baskets pour exprimer notre colère. Mais avec quels résultats possibles ? Avec quel soutien des salariés ? Ne donnons pas au gouvernement les arguments pour nous ranger sur l'étagère du vieux monde, au rayon des râleurs impuissants".

CGT, CFDT, FO des conceptions différentes du syndicalisme

La CFDT a donc décidé de combattre les ordonnances dans les entreprises plutôt que dans la rue. C'est sa conception du syndicalisme. Laurent Berger a prévenu que les délégués syndicaux CFDT ne signeront pas des accords remettant en cause les droits des salariés. Or, et c'est tout le pari des ordonnances : sans accord d'entreprise, il sera difficile de faire bouger les lignes. Sur ce dossier précis, FO est grosso modo dans le même registre : le syndicat de Jean-Claude Mailly préfère se battre sur le contenu des décrets d'application ou lors des négociations en entreprises plutôt que de descendre dans la rue. Sauf que les instances de Force Ouvrière ont quelque peu désavoué l'attitude « modérée » de Jean-Claude Mailly. Résultat, celui-ci a lâché un peu de lest. Il assure maintenant que d'ici le 20 novembre - quand le projet de loi ratifiant les ordonnances pour leur donner force de lois sera examiné par le Parlement - FO va manifester. Mais, d'ici là, Jean-Claude Mailly va rencontrer les autres patrons de confédérations pour se concerter.

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT n'attend que ça. Il a parfaitement conscience des limites des deux journées organisées par sa confédération les 12 et 21 septembre. Certes, les rassemblements étaient honorables, les défilés étaient loin d'être clairsemés. De nombreuses fédérations FO et CFDT étaient même présentes. Mais rien ne vaut une « vraie » journée d'actions appelée par les cinq centrales représentatives. Aussi, à plusieurs reprises, Philippe Martinez a appelé à « l'unité syndicale ». Pour autant, il semble peu probable de voir dans les semaines à venir les cinq leaders syndicaux défiler main dans la main. Car CFDT et CGT ne sont pas sur la même longueur d'onde... Pour le plus grand soulagement d'Emmanuel Macron.

La CGT veut rallier à elle les opposants et les déçus du macronisme pour se refaire une santé. De fait, en 2017, la CGT a perdu sa place historique de première confédération syndicale dans le privé, on l'a dit, au profit de la CFDT. Certes, elle reste la première centrale si l'on tient compte du public. Mais en tout état de cause, la CGT perd du terrain. Elle pense donc qu'en musclant son discours et en se posant en principale force de contestation à Emmanuel Macron et sa majorité cela lui fera gagner des points.

La CFDT, elle, ne croit plus aux manifestations systématiques dans la rue. Elle pense que les vrais combats se mènent dans les entreprises. Surtout, Laurent Berger veut tenir compte du calendrier politique :

« Nous ne sommes pas à l'époque du contrat première embauche (CPE), quand nous avons pu faire reculer Chirac, alors en fin de quinquennat. Là, avec Macron, nous en sommes au tout début. Et Macron a annoncé tout ce qu'il ferait durant la campagne; il a une forme de légitimité politique dont nous sommes obligés de tenir compte », expliquait-il devant la presse lors du rassemblement parisien de la CFDT le 3 octobre.

Mais tout le monde dans le camp syndical ne partage pas ce point de vue. A la CGT, mais aussi dans les rangs de la CFDT et de FO, nombreux sont ceux qui rappellent que la largesse de l'élection d'Emmanuel Macron au second tour face à Marine Le Pen n'avait pas valeur d'adhésion mais exprimait surtout un rejet du Front National.

L'assurance chômage au secours de l'unité syndicale

La divergence d'analyse empêche donc le front syndical. Mais, ce scénario idéal pour le gouvernement peut être remis en cause dans les semaines à venir, quand les dossiers de l'assurance chômage ou de la formation professionnelle vont être abordés. Emmanuel Macron en a tellement conscience qu'il va de nouveau rencontrer en entretiens bilatéraux l'ensemble des leaders syndicaux et patronaux les 12 et 13 octobre, afin de connaître les lignes rouges à ne pas franchir. Soit exactement la même méthode que celle employée pour les ordonnances.

De fait, Laurent Berger a déjà été très clair. Si, pour lui, les ordonnances constituaient le volet « flexibilité » de la réforme, il exige maintenant un volet « sécurité » pour les salariés, via notamment de vraies meilleures garanties en matière de formation. Il refuse également une remise en cause du principe même de l'assurance chômage. Il s'inquiète à cet égard de la disparition en 2018 de la cotisation salariale d'assurance chômage : « il n'est pas question de renoncer au caractère assurantiel de l'assurance chômage au profit d'une allocation universelle identique pour tous .Or, la disparition de la cotisation assurance chômage est un mauvais signal. »

Les autres organisations syndicales sont exactement sur la même longueur d'onde : pas question de toucher au caractère assurantiel de l'assurance chômage. Or, On sait qu'Emmanuel Macron veut ouvrir l'indemnisation aux indépendants et aux commerçants notamment. Soit des non-salariés. Ce qui, logiquement, signifierait que le financement des indemnités ne serait plus assuré par les seules cotisations salariale et patronales d'assurance chômage comme c'est le cas aujourd'hui. Or, si à l'avenir, les allocations chômage sont financées par la CSG ou une autre ressource universelle, il y a en effet un risque pour un salarié perdant son emploi de ne plus être indemnisé en fonction de son ancien salaire. On ne serait plus en effet dans la logique du salaire différé.

Les syndicats avertissent l'Exécutif

Très inquiets sur ce possible glissement, l'ensemble des responsables syndicaux (et patronaux) ont d'ailleurs écrit le 5 septembre à l'Exécutif pour l'alerter sur le sujet :

L'assurance chômage est aujourd'hui, de fait, un régime assurantiel versant au demandeur d'emploi une indemnisation, calculée en fonction des cotisations versées, au regard de la survenance d'un risque - en l'occurrence la perte involontaire de son emploi. Le financement du régime est en conséquence aujourd'hui basé sur des contributions sociales. Si les débats à venir doivent permettre de discuter de l'ensemble des sujets relatifs à une évolution du régime, il convient pour cela de n'en préempter aucune conclusion, en particulier sur les modalités de financement de l'assurance chômage. »

Emmanuel Macron doit donc faire attention. L'assurance chômage est le « bébé » des organisations syndicales et patronales. Ce sont elles qui l'on instituée en 1958... pas l'Etat. Et même la CFDT est prête à se mobiliser pour défendre le régime. Un front syndical est donc tout à fait envisageable sur ce dossier. Et il sera aisé pour les organisations syndicales de rassembler du monde, si les allocations chômage venaient à diminuer du fait de la réforme. Le match est donc loin d'être terminé entre le gouvernement et les organisations syndicales, même si le premier mène actuellement par « un à zéro ».

Jean-Christophe Chanut
Commentaires 27
à écrit le 06/10/2017 à 10:21
Signaler
Souvenir : Venu au secours de sa ministre du Travail Myriam El Khomri, Manuel Valls a avancé un nouvel argument dans un entretien accordé le 6 mars au Journal du Dimanche : "Nous devons réformer le droit du travail comme nos voisins l'ont fait", a...

à écrit le 05/10/2017 à 23:25
Signaler
"Elles comportent des baisses des salaires et des retraites, des hausses fiscales, des coupes dans les dépenses publiques et sociales, des privatisations ou, encore, des réformes du marché du travail. Avec un prétexte : améliorer la compétitivité et ...

à écrit le 05/10/2017 à 19:02
Signaler
pourquoi faire peur d'une bataille qui n'aura jamais lieu ! alors qu' en connaissance de cause, il a été appelé à voter pour lui

à écrit le 05/10/2017 à 18:32
Signaler
les propos d un dignitaire (.) n arrange rien la grogne est bien la.. voir latente . la jeunesse peut réagir rien n est prévisible dans ce mauvais climat

à écrit le 05/10/2017 à 16:27
Signaler
Macron devrait se méfier les français aiment bien les commémorations et 2018 ce sont les cinquante ans de mai 68!

le 05/10/2017 à 17:17
Signaler
"ce sont les cinquante ans de mai 68! " On peut rappeler quand même que cette génération de 64 et + vient de donner 5 points de + à Macron ( 56% favorable). Comme quoi avec l'âge et les médocs l'intensité des conviction s’émousse et ce sont pas le...

à écrit le 05/10/2017 à 14:54
Signaler
A défaut d'avoir un programme autre que celui de veiller aux seuls intérêts mercantiles de ses petits copains de l'industrie et de la finance, à défaut d'avoir une vision socio-économique d'avenir, l'illuminé élyséen fait la seule chose qu'il parvien...

le 05/10/2017 à 21:26
Signaler
Vous pouvez voir les choses comme ça si vous voulez. Il y a plein de discours brillants comme le vôtre en France. Pour que surtout rien en bouge. Mais c'est trop tard : ça change. Que vous le vouliez ou non.

le 06/10/2017 à 7:18
Signaler
vous êtes bien comme nombre de français qui croient que faire du vent, c'est s'exprimer et qui imaginent que gesticuler fait avancer les choses. Il n'est pas question de ne pas bouger du tout, il est plutôt question de bouger... avec intelligence, av...

à écrit le 05/10/2017 à 12:37
Signaler
Il y a un syndicalisme qui a que des visées politique et de toute façon défilera toujours car ils crient et veulent le grand soir ou on mettra les chefs d'entreprises aux champ, les hommes politiques libéraux ou socio démocrates en prison et on ferme...

le 05/10/2017 à 16:47
Signaler
"Il y a un syndicalisme qui a que des visées politique " Je suppose que tu évoques la CPME et le Medef.

à écrit le 05/10/2017 à 12:09
Signaler
Malheureusement toutes ces organisations patronales ou syndicales ne sont plus en phase avec leur siècle , la digitalisation de monde , les enjeux environnementaux etc... elles ne cherchent qu'à conserver leur pouvoir de nuisance sans chercher à s'ad...

à écrit le 05/10/2017 à 11:38
Signaler
Je leur souhaite bien du courage, de mobiliser sur le financement du mode de financement de l'indemnisation du chômage...ça va passionner les foules... Par contre, ce qui est certain c'est que les syndicats vont être chauds car formation et chômag...

à écrit le 05/10/2017 à 11:01
Signaler
L'unité syndicale n'existe pas et ne peut pas exister, car les syndicats sont la branche ouvrière des partis politiques. Mélanchon a la CGT, Macron a la CFDT et LR a FO, le syndicat qu'il leur faut :-)

à écrit le 05/10/2017 à 9:24
Signaler
les syndicats manifestent....... pour montrer qu'ils existent et qu'il ne faut pas toucher a leur grisbi des 30 milliards de la formation, du 1% CE, la retraite a 30 ans pour tous a la sncf, etc etc etc...... pour le reste, les syndicats francais, ...

le 06/10/2017 à 11:28
Signaler
" ils ont coulé l'industrie " ...sont forts les syndicats, avec l'un des taux de syndicalisation les + faibles d'Europe ! Ils n'ont pas trop gêné l'industrie qui coule toute seule !

à écrit le 05/10/2017 à 9:07
Signaler
Les réformes Macron partent du principe qu'il n'est pas normal qu'on mette autant de temps à retrouver du travail en France. Ce qui, malheureusement, est la réalité. Et coûte très cher à beaucoup de gens : ceux qui ont perdu leur boulot. Les syndic...

le 05/10/2017 à 11:28
Signaler
@Asimon-plus les contribuables parce que se sont eux qui cotissent plus que les employees et les employeurs et curiosement c'est l'Unedic qui decide comment a depenser l'argent publique.

le 05/10/2017 à 11:31
Signaler
@Asimon-plus les contribuables parce que se sont eux qui cotissent plus que les employees et les employeurs et curiosement c'est l'Unedic qui decide comment a depenser l'argent public.

le 05/10/2017 à 17:06
Signaler
"Les syndicats devraient plutôt être pour : il y aura plus de syndiqués après". En tête la Finlande, plus de 72%, les pays nordiques (Suède, Norvège, Danemark), la Belgique, 50%. Précisons que dans ces pays, si vous n'êtes pas adhérent d'un syndi...

à écrit le 05/10/2017 à 8:00
Signaler
Entre européistes et opportunistes, on ne peut se faire la guerre!

à écrit le 04/10/2017 à 22:22
Signaler
Les syndicats ne sont pas là pour contrer Macron mais pour l' aider sauf à ce que la base déborde la tête. Car les syndicats sont pro Ue puisque financés par la CES comme le ..président Macron assujetti à l' UE via les GOPE .. ...

à écrit le 04/10/2017 à 18:58
Signaler
APL, retraites, CSG, ISF , code du travail, les syndicats peuvent-ils rester inertes? Pour les salariés , retraités, chômeurs, ça serait dommage. Macron gouverne seul , les députés En Marche semblant hors jeu.

le 04/10/2017 à 22:39
Signaler
Ils vont attendre d'ètre débordés par la base pour bouger ensemble mais pas seulement dans la rue, sinon c'est la mort lente de la France..Désolant !!!!

le 04/10/2017 à 23:38
Signaler
Dans un document publié à la fin du mois de mai 2013, le géant des banques d’investissement américain JPMorgan Chase ne réclamait-t'- il pas l’abrogation des constitutions démocratiques bourgeoises établies après la Seconde Guerre mondiale dans une s...

le 05/10/2017 à 10:21
Signaler
c'est pas fini : Un article du projet de loi de finances rectificative (PLFSS) prévoit de soumettre les revenus des placements à des prélèvements sociaux de 17,2 % quelle que soit la date de réalisation des gains.

à écrit le 04/10/2017 à 17:59
Signaler
"La CGT veut rallier à elle les opposants et les déçus du macronisme pour se refaire une santé. De fait, en 2017, la CGT a perdu sa place historique de première confédération syndicale dans le privé". Étonnant d'écrire cela puisque ce résultat est...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.