« La première urgence, c'est le pouvoir d'achat. Les lois d'urgence pour le pouvoir d'achat seront les premiers textes de ce quinquennat ». Avant le premier tour des élections législatives, la Première ministre, Elisabeth Borne, se voulait rassurante auprès des Français. Après les deux longues années de pandémie et la guerre en Ukraine, le gouvernement veut montrer qu'il répond à la première préoccupation de la population frappée de plein fouet par la hausse des prix. Depuis plusieurs jours, Matignon ne cesse de distiller des propositions dans les médias et les réseaux sociaux en tentant de montrer sa générosité sauf que l'exécutif pourrait se heurter à de nombreux obstacles.
Un mois après des résultats fracassants pour Emmanuel Macron, le paysage politique tricolore a déjà beaucoup changé. L'exécutif va devoir composer avec une Assemblée nationale plus fragmentée et des oppositions bien plus fortes que lors de la précédente législature.
La poussée du Rassemblement national (RN) au Palais bourbon et la montée en puissance de la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) vont obliger le nouveau gouvernement fraîchement nommé à négocier des majorités ou des compromis en fonction des projets de loi qu'il veut faire passer.
Après une réunion de travail avec le chef de l'Etat sur le pouvoir d'achat, l'énergie et les finances publiques mardi dernier, la cheffe du gouvernement s'apprête à présenter un paquet législatif particulièrement brûlant au conseil des ministres prévu jeudi 7 juillet. Pour l'exécutif, il s'agit d'un premier test particulièrement sensible dans l'arène de l'Assemblée nationale.
Un épais catalogue de mesures à 25 milliards d'euros
Chèque alimentaire de 100 euros et 50 euros supplémentaires par enfant, remise carburant de 18 centimes et bouclier tarifaire sur l'énergie prolongés, revalorisation des retraites, des minimas sociaux et de la rémunération des fonctionnaires, prime Macron, suppression de la redevance audiovisuelle...la liste des mesures ne cesse de s'allonger pour faire face à l'inflation toujours galopante. Au total, le coût de ces propositions devrait avoisiner les 25 milliards d'euros auxquels il faut ajouter les 25 milliards d'euros déjà dépensés depuis septembre 2021.
Concrètement, deux textes seront présentés jeudi en conseil des ministres : un projet de budget rectificatif pour 2022 afin de financer les aides promises, et une loi pouvoir d'achat incluant notamment les revalorisations de 4% des retraites et minimas sociaux, qui nécessitent un texte dédié. Le projet de loi rectificatif devrait également intégrer les nouvelles prévisions macroéconomiques du gouvernement alors que tous les instituts de conjoncture ont noirci leurs chiffres de croissance pour 2022 autour de 2,5% et que les craintes d'une récession deviennent de plus en plus pressantes chez les économistes et les banquiers centraux.
La nouvelle équipe ministérielle de Bercy à l'épreuve du feu
À peine arrivée à Bercy, l'équipe ministérielle rassemblée autour de Bruno Le Maire doit donc s'attaquer à des dossiers brûlants. Même si le ministre de l'Economie était déjà en première ligne pour gérer les conséquences économiques et budgétaires de la crise sanitaire, ce n'est pas forcément le cas de tous les nouveaux ministres de Bercy. Gabriel Attal, ancien porte-parole du gouvernement et désormais en charge des comptes publics ou Roland Lescure, ancien député LREM et placé aux manettes de l'industrie tricolore vont devoir affronter de nombreuses tempêtes dans les semaines à venir.
-
-
Jean-Noël Barrot (Numérique), Gabriel Attal (Budget), Bruno Le Maire (Economie), Olivia Grégoire (PME) et Roland Lescure (industrie) après le conseil des ministres lundi dernier. Crédits : Reuters.
Du côté du budget, Gabriel Attal va devoir préparer le budget rectificatif de 2021 et mettre au point le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 dans la foulée. Le texte budgétaire devrait être présenté au début de l'automne. Quant à Roland Lescure, il va devoir piloter la réindustrialisation de la France en plein ralentissement économique après des décennies de fermetures d'usines et de délocalisations.
Les oppositions en embuscade
Dans le contexte d'une conjoncture morose, les différentes oppositions affutent leurs armes. Mardi dernier, les députés membres de la Nupes ont déjà présenté leurs propres catalogues de mesures. Le texte du gouvernement est « très, très loin d'être à la hauteur de ce qu'attendent les Français », a déclaré devant l'Agence France Presse (AFP) la cheffe de file des Insoumis Mathilde Panot, lors d'un point presse commun, avant de céder la parole aux députés LFI (la France insoumise), PS (Parti socialiste), PCF (Parti Communiste français) et écologistes pour présenter leur texte de 18 articles.
Le premier de ces articles prévoit une hausse du Smic à 1.500 euros nets « dès le 1er août 2022 ». Un autre entend opérer un « vrai dégel » du point d'indice avec une augmentation de 10%, là où le gouvernement a annoncé une hausse de 3,5%.
S'y ajoute une disposition pour « augmenter la capacité d'action du gouvernement » en matière de blocages des prix pour les produits de première nécessité, les carburants et l'énergie, ont détaillé les députés. Pour financer ces mesures, les élus de gauche proposent de taxer les surprofits des multinationales. comme Total, Engie ou CMA-CGM, une mesure qu'ils ont présentée comme « pas nouvelle ». Elle est d'ailleurs pratiquée par des pays voisins tels l'Italie et la Grande-Bretagne et a été proposée par la Commission européenne ou encore l'OCDE. En outre, la Commission des finances désormais aux manettes du député Eric Coquerel (LFI) pourrait venir mettre des bâtons dans les rouages de l'exécutif.
À droite, les députés plaident pour un prix du carburant à 1,5 euro. Ils devraient être aussi particulièrement attentifs aux questions de finances publiques. « Il faudra évidemment que le gouvernement accepte d'envisager la question du financement de ces mesures » alors que « la situation de la dette française, aujourd'hui, est très grave », a averti en début de semaine Olivier Marleix, patron des députés LR à l'Assemblée nationale.
Les économistes préconisent des mesures ciblées
Face à la poussée de fièvre des prix de l'énergie et de l'alimentaire, les économistes préconisent des mesures plus ciblées, surtout dans un contexte de grogne sociale et de montée des périls climatiques. « Si la prolongation temporaire de certaines aides d'urgence s'impose dans le contexte d'urgence sociale dans lequel se trouvent les Français, il faut mieux les cibler sur les ménages modestes et se préparer dès maintenant à en sortir en programmant la montée en puissance de mesures plus structurelles et plus efficaces à moyen terme », juge l'économiste Benoît Légué, directeur de l'Institut de l'économie du climat (I4CE).
En effet, beaucoup d'économistes estiment depuis l'automne que les mesures proposées s'apparentent à du « saupoudrage" et qu'elles ne vont pas permettre de résoudre la dépendance de l'économie française aux énergies fossiles. « A défaut, le gouvernement se retrouverait condamné à remplir un puits sans fond alors que les dépenses consacrées à ces aides d'urgence dépasseront bientôt les 50 milliards d'euros promis par Emmanuel Macron pour financer la transition sur le quinquennat », poursuit le spécialiste.
Un pouvoir d'achat en berne
L'inflation qui a atteint 5,8% au mois de juin dernier a pesé brutalement sur le porte-monnaie des Français. Les récentes enquêtes de conjoncture de l'Insee montrent que le pouvoir d'achat a reculé au premier semestre et devrait s'infléchir de 1% sur l'ensemble de l'année 2022. Cette baisse du pouvoir d'achat a évidemment eu des répercussions sur la consommation, traditionnel moteur de l'économie tricolore.
Il est possible que les nouvelles mesures présentées jeudi en conseil des ministres ne suffisent pas à compenser les pertes de pouvoir d'achat des Français. « Marquée par le choc inflationniste, la consommation ne retrouverait son niveau de fin 2021 que mi-2023 », explique l'économiste de BNP-Paribas, Stéphane Colliac dans une récente note. Le bout du tunnel n'est pas encore pour demain.