"La période entre la fin des aides et le remboursement des PGE va être cruciale"

ENTRETIEN - Ce premier octobre, le fonds de solidarité prend fin pour laisser la place à un dispositif de prise en charge des frais fixes. Cette transformation des aides pourrait provoquer une hausse des défaillances dans les mois à venir. La présidente du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce Sophie Jonval (CNGTC), rappelle néanmoins que "l'objectif du plan de relance, est d'être dans l'accompagnement de la fin des aides, avec une sortie de crise progressive."
Grégoire Normand
Sophie Jonval est greffière associée du tribunal de commerce de Caen.
Sophie Jonval est greffière associée du tribunal de commerce de Caen. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Dans le dernier baromètre réalisé par Xerfi pour le compte du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, on assiste à une hausse des radiations d'entreprises au cours du premier semestre 2021. Comment expliquez-vous ce fort rebond ?

SOPHIE JONVAL - Ces radiations interviennent en majorité à la suite de décisions de chefs d'entreprise au moment de la sortie des mesures de confinement. L'année 2020 a été ponctuée dans certains secteurs d'activité par des périodes d'arrêt et de reprise. Malgré les aides gouvernementales qui ont permis d'éviter une vague de défaillances d'entreprises longtemps redoutée, le manque de perspectives et les bouleversements engendrés par la pandémie ont sans doute poussé nombre de chefs d'entreprise à changer de vie.

Durant l'année 2021, les dirigeants ont repris la main sur les décisions de leur entreprise. Notons enfin que parmi ces radiations enregistrées cette année, il y a aussi des cessions, qui avaient été mises en sommeil durant l'année 2020, et permettent de relativiser l'impact de ce pic de radiations sur le tissu entrepreneurial.

Plus globalement, comment l'activité des tribunaux de commerce a-t-elle évolué depuis le début de la pandémie ?

Nous avons assisté à un très net recul sur les ouvertures de procédures de liquidation, de redressement et de sauvegarde sur l'année 2020. La baisse est d'environ 40% par rapport à  2019. Sur le premier semestre 2021, les tendances sont comparables au début de l'année 2020. Il y a une baisse par rapport à une année dite "normale". Beaucoup de procédures sont en sommeil. Il n'y a pas de poursuite des organismes fiscaux et sociaux. Les aides gouvernementales continuent de produire leurs effets, notamment pour les secteurs restés touchés par la crise

Beaucoup d'économistes redoutaient une hausse du nombre d'entreprises "zombies". Or ce phénomène n'a pas eu lieu. Comment expliquez-vous cela ?

Il faut ici distinguer les entreprises "zombies", résultant d'activités qui auraient été artificiellement maintenues du fait des aides gouvernementales, des entreprises fantômes. S'agissant de ces dernières, nous opérons un contrôle assez important en amont sur le registre du commerce et des sociétés. Le droit français prévoit un contrôle assez fin et poussé avant l'entrée des entreprises dans le monde économique, permettant de confirmer leur existence juridique effective.

Contrairement à d'autres États européens membres de l'UE, la France a fait le choix des contrôles a priori avec des pièces justificatives et des actes de société à déposer au registre du commerce et des sociétés, qui permettent d'éviter l'enregistrement d'entreprises fantômes.

Pour ce qui est des entreprises "zombies", la crise sanitaire a paralysé notre monde économique pendant plusieurs mois. Toutefois, la hausse récente du nombre de radiations, qui est à mettre au regard d'un entrepreneuriat par ailleurs très dynamique, montre que le renouvellement de notre tissu entrepreneurial a bien repris.

Quelles pourraient être les conséquences de la pandémie sur le tissu productif français ?

Pendant la pandémie, de nouveaux besoins sont apparus. De nombreuses initiatives ont été prises dans certains secteurs d'activité. Il y a un tout un pan de l'économie qui a connu un essor comme les transports, l'entreposage, l'e-commerce, le travail à distance, les outils numériques.

A l'inverse, d'autres activités plus traditionnelles ont été touchées de plein fouet par la crise. Certains secteurs ne sont pas encore sortis de cette période de turbulences. Certains chefs d'entreprises ont préféré radier leur société plutôt que d'être confrontés à des mesures d'insolvabilité.

Jusqu'à maintenant, les défaillances-faillites d'entreprises ont été relativement limitées alors que l'économie française a traversé une grave crise sanitaire. Au-delà des aides, comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Les mesures gouvernementales ont joué leur rôle de soutien aux entreprises. A cela s'ajoute l'absence des poursuites des organismes fiscaux et sociaux. Ils ont octroyé des délais et des moratoires. Certaines dettes ont même parfois été annulées dans certains secteurs d'activité plus durement touchés. Les recouvrements des créances fiscales et sociales ont été assouplis. En temps normal, une partie des faillites d'entreprises s'explique par les poursuites des organismes fiscaux et sociaux, comme l'Urssaf par exemple. Tous ces facteurs ont entraîné un très fort recul du nombre de défaillances.

La transformation des aides annoncées par le gouvernement à partir du premier octobre pourrait-elle avoir un impact sur les défaillances-faillites d'entreprises dans les mois à venir ?

L'objectif est de limiter au maximum le nombre de défaillances d'entreprises. Les effets conjugués du plan de relance et de l'arrêt progressif des aides devraient permettre d'éviter le "mur des faillites" tant redouté. L'année dernière, beaucoup d'experts avaient prévenu qu'il fallait arrêter les aides de manière progressive et le faire au moment d'une reprise de l'activité. Or, on constate que la consommation repart et que l'activité reprend dans des secteurs restés à l'arrêt du fait de la pandémie.

Au moment du rebond économique, les entreprises peuvent ainsi bénéficier des aides tout en profitant d'une reprise progressive de leur activité et de la reconstitution de leur chiffre d'affaires. S'il est donc possible d'enlever petit à petit ces béquilles, l'objectif du plan de relance, élaboré par le gouvernement et dont les greffiers sont partenaires, est d'être dans l'accompagnement de la fin des aides, avec une sortie de crise progressive.

Faut-il craindre une hausse des défaillances faillites avec le remboursement des PGE à venir ?

Cette période de transition entre la fin des aides et le remboursement des PGE va être cruciale. Il va falloir que l'activité se maintienne pour permettre aux entreprises de dégager assez de chiffre d'affaires pour reconstituer une trésorerie propice aux remboursements. L'étape suivante va être déterminante. Grâce à la conjonction de plusieurs facteurs, la menace d'une envolée des défaillances d'entreprises devrait pouvoir être évitée.

Grégoire Normand
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