«La relocalisation ne doit pas être juste un discours», Anais Voy-Gillis

Société post-industrielle, industrie du futur, mondialisation, environnement...dans son dernier essai co-écrit avec Olivier Lluansi et intitulé "Vers la renaissance industrielle", la géographe Anaïs Voy-Gillis revient sur les derniers bouleversements traversés par l'industrie, secteur longtemps délaissé par les pouvoirs publics. Avec la crise actuelle, de nombreuses usines subissent de plein fouet les effets de la récession à moins que les industriels s'approprient les problématiques liées aux changements technologiques et climatiques pour tenter de rebondir.
Grégoire Normand
Anaïs Voy-Gillis, est docteure en géographie de l'Institut Français de Géopolitique et consultante chez June Partners. Ses travaux portent sur les enjeux et les déterminants de la réindustrialisation de la France.
Anaïs Voy-Gillis, est docteure en géographie de l'Institut Français de Géopolitique et consultante chez June Partners. Ses travaux portent sur les enjeux et les déterminants de la réindustrialisation de la France. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Avec la crise, le débat sur la relocalisation de certaines activités en France fait rage alors que l'économie française s'enfonce dans la récession. Cette crise ne risque-t-elle pas plutôt d'accélérer la désindustrialisation du pays ?

ANAIS VOY-GILLIS - Les entreprises avant d'entrer en crise étaient globalement fragiles, même si l'industrie française commençait à se remettre avec des créations nettes d'emplois depuis 2017. Cette crise est un moment charnière, un accélérateur de tendances et dans certains cas un point de rupture. On met beaucoup de choses derrière l'idée de relocalisation, mais le premier enjeu va être de rapatrier des volumes en France. Pour cela, il est impératif que chacun s'engage à faire évoluer ses comportements d'achats et de consommation pour soutenir le tissu industriel national. Relocaliser sans demande pour les produits Made in France ne serait qu'un coup d'épée dans l'eau.

D'autres sujets sont à aborder comme la répartition de la valeur ou encore une stratégie à développer sur l'export. La relocalisation ne doit pas être juste un discours. Le désir de consommer français s'oppose souvent à la notion de pouvoir d'achat. Est-ce que les gens sont prêts à faire revenir ces activités en France et à les soutenir ?

Que pensez des aides publiques attribuées sans contrepartie ?

Les aides publiques lorsqu'elles profitent à tout un écosystème ne sont pas problématiques. Néanmoins, mettre en œuvre des conditions et des contreparties peut être une bonne chose surtout pour éviter les comportements de chasseurs de prime et opportunités. Tout dépend de la nature des aides et des destinataires de celles-ci.

Comment réconcilier l'industrie et les problèmes environnementaux ?

Il faut rappeler que l'industrie est une partie de la solution. Il va être compliqué de se passer de l'industrie pour trouver des solutions contre le changement climatique. Il faut réfléchir sur le rôle des industriels dans la lutte contre le réchauffement climatique. Comment sortir d'une ère de surconsommation ? Il existe également une forme d'hypocrisie en France sur le fait d'avoir exporté nos risques à l'étranger. Toutes les activités de services ont besoin des infrastructures lourdes et industrielles. Cessons d'opposer industrie et environnement, ce n'est pas ainsi que nous réussirons le pari de la transformation de notre économie.

La baisse des impôts de production va-t-elle dans le bon sens pour relancer l'industrie ?

La baisse des impôts de production est un levier symbolique, mais il faut aller plus loin sur les sujets de fiscalité à la fois à l'échelle nationale, mais également en pensant une fiscalité européenne harmonisée pour rompre avec la logique de dumping fiscal en Europe. Le système actuel est illisible et a provoqué une situation de rejet de l'impôt.  En outre, la baisse des impôts de production ne produira pas ses effets immédiatement. Il s'agit d'une mesure de moyen terme, quand la relance exige des mesures de très courts termes avec un effet de leviers massif.

Au-delà d'une politique de l'offre, il faut que le gouvernement envisage une politique de la demande, ainsi qu'un soutien aux entreprises en difficulté, qui doit aller au-delà des 3 milliards d'euros affectés au renforcement des fonds propres. Le plan de relance vise à transformer l'économie sur le long terme, or, notre enjeu est de sauver notre tissu productif afin de pouvoir le transformer. De ce point de vue, le pari pris par le gouvernement est très risqué.

Quel regard portez-vous sur le Haut-commissariat au Plan annoncé par le Président de la République ?

Le Haut-commissariat au plan dans son format actuel n'est pas un outil adapté à son époque et l'évolution de l'économie. En l'état, il est difficile de croire à un retour de l'État stratège. La prospective et penser le temps long sont une nécessité, mais dotons-nous des outils à la hauteur des enjeux de notre époque.

Comment avez-vous eu l'idée d'écrire cet (*) ouvrage ?

J'ai été sollicitée par la maison d'édition Marie-B. Par la suite, j'ai travaillé avec, Olivier Lluansi qui était délégué interministériel aux territoires d'industrie, à l'écriture de cet ouvrage. C'est en quelque sorte un prolongement de mon travail de thèse. L'ambition était notamment de comprendre pourquoi la France a une industrie qui pèse seulement 12% de son produit intérieur brut (PIB) et d'écrire un récit collectif de la désindustrialisation en préalable à la renaissance industrielle.

Comment expliquez-vous le décrochage industriel de la France ?

Ce décrochage s'explique par plusieurs facteurs. Ainsi, certaines nations ont fait le choix de l'industrie comme l'Allemagne qui se définit comme un « pays site de production », d'autres, comme le Royaume-Uni, ont fait le choix de l'économie de services. La France est dans une situation d'entre-deux, une sorte de non-choix plus ou moins conscient opéré dans la fin des années 1970. Elle a maintenu des politiques industrielles, plutôt de sauvetage, mais a perdu de vue la nécessité impérieuse d'avoir une stratégie et une vision industrielle. Il y a également eu un sous-investissement chronique dans l'outil productif qui est donc vieillissant, et une fiscalité parfois moins avantageuse. La fiscalité fait souvent débat sur son efficacité et est génératrice actuellement d'un sentiment d'injustice. Il faut également noter qu'il y a eu un discours de dénigrement de l'industrie pendant plusieurs décennies, n'encourageant pas les jeunes à se tourner vers ces métiers, induisant un déficit de culture industrielle. Dernier point à noter, nombreuses entreprises industrielles françaises ont faiblement investi dans la formation.

En quoi l'industrie du futur peut-elle être un levier pour relancer l'industrie tricolore ?

L'industrie du futur est intéressante à plusieurs égards. Elle est constituée de briques technologiques comme l'Internet des objets, la cobotique (robot collaboratif) ou la réalité augmentée, lorsqu'elles sont utilisées à bon escient permettent de réaliser des gains de productivité, d'améliorer la qualité ou encore la réactivité. Dit plus simplement, l'industrie du futur permet d'aller plus loin que le lean management.

L'industrie du futur est également intéressante du point de vue du modèle économique. Elle peut proposer des services innovants associés aux produits, notamment autour des données d'usage. Michelin a par exemple commercialisé de nouveaux services avec ses pneus connectés. Certaines entreprises proposent également des machines en leasing avec un service de maintenance ou encore des applications qui permettent d'optimiser l'usage des produits et augmenter leur durée de vie, tout en limitant l'impact de leur usage.

La personnalisation est également intéressante et renouvelle complètement la notion de production en série. Les cuisines Schmidt ou l'Oréal ont développé des processus de production capables de répondre à une demande individuelle. Il y a aujourd'hui de plus en plus de moyens d'optimiser les processus de production, de réduire la taille des séries, voire de fabriquer des produits uniques dans des coûts maîtrisés.

La formation et les compétences sont des sujets essentiels. Les besoins de compétences évoluent. Par exemple, plus nous allons automatiser les lignes de production, plus les besoins en maintenance vont évoluer vers des postes de plus en plus techniques. Les entreprises ont donc intérêt à se doter de la capacité de faire évoluer leurs collaborateurs en poste et d'attirer de nouvelles compétences dans les territoires industriels.

(*) Vers la renaissance industrielle, Anaïs Voy-Gillis, Olivier Lluansi, Editions Marie.B, avril 2020.

Grégoire Normand
Commentaires 13
à écrit le 30/09/2020 à 22:58
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Est-ce que les conditions financières et sociales qui ont poussé les entreprises à délocaliser ont changées ? Non. Nous avons toujours les charges les plus élevées, les impôts les plus élevés,le changement permanent des règles fiscales, des lois cont...

à écrit le 30/09/2020 à 18:28
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Ceci est un sujet controversé, un faux- débat en réalité, car depuis 2015 ; nombreuses entreprises occidentales ont des capitaux et des fusions en Chine ( des délocalisations permanentes en Chine ) Le paradoxe de « la mondialisation » continue à...

à écrit le 30/09/2020 à 18:07
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Que les entreprises et les gvts antérieurs assument leurs responsabilités proposons une taxe » aux entreprises « qui ont délocalisé à l’époque .( juste retour de manivelle ) Vu le nombre de suppressions d’emplois , à cause de leur position à l ´...

à écrit le 30/09/2020 à 17:50
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Madame , pendant que vous dissertez , la population est entrain de mourir de précarité.( augmentation de la mendicité, gens à la rue , malades, phénomène amplifier depuis 2005 à aujourd’hui) Délocaliser tous les hommes politiques tous les partie...

à écrit le 30/09/2020 à 17:41
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La relocalisation est un leurre, seul les entreprises n'ayant pas d'avenir reviendront sur notre sol pour être bénéficiaire de subventions! Il ne faut pas oublier que ceux sont des multinationales!

à écrit le 30/09/2020 à 17:24
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Encore une douce rêveuse que cette experte géographe patentée, qui pense que ds le monde d'après, le consommateur français sera plus vertueux et plus enclin à acheter du "made in F". Ne nous leurrons pas. L'affaire Bridgestone nous rappelle à une tr...

à écrit le 30/09/2020 à 14:50
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On peut se demander ci ceux qui réclament à corps et à cris des relocalisations en particulier de Chine (mais aussi d'autres) sont conscients de leur bévue ? voire de leur innocence/naïveté jusqu'à la niaiserie. Ils croient que ces autorités vont la...

à écrit le 30/09/2020 à 12:14
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J'ai pu voir la délocalisation, faite par ceux qui aujourd'hui doivent relocaliser? Pourquoi pas, ils aurons les financements publics alors qu'ils ont été impotent dans la vision, donc je ne vois pas comment cela ne se produirait pas de nouveau! ...

à écrit le 30/09/2020 à 11:29
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La "relocalisation" est un leurre, seul les entreprises n'ayant pas d'avenir reviendront sur notre sol pour être bénéficiaire de subventions! Il ne faut pas oublier que ceux sont des multinationales!

à écrit le 30/09/2020 à 11:18
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la relocalisation nécessaire n'est pas la bonne; celle qui doit être mise en oeuvre consiste à transformer un à deux millions d'emplois de fonctionnaires en emplois privés productifs . cela permettrait de supprimer le déficit public actuel tout en di...

à écrit le 30/09/2020 à 11:09
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Relocaliser, oui. Mais quoi ? Investir dans des technologies nouvelles? Certes...Et si au lieu de ce qui ressemble à une fuite en avant, où plus grand chose n'a de sens on posait les valises, on levait le nez du guidon pour réfléchir à ce qui est vr...

à écrit le 30/09/2020 à 9:13
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Ben oui mais la prise en compte de la demande de la part de nos néolibéraux n'existe pas. Poir eux la demande ce sont les gens les gueux, ils sont sales et bêtes et réfractaires tenir compte de leurs comportements cest leur donner une importance que ...

à écrit le 30/09/2020 à 8:54
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La relocalisation est un leurre, seul les entreprises n'ayant pas d'avenir reviendront sur notre sol pour être bénéficiaire de subventions! Il ne faut pas oublier que ceux sont des multinationales!

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