La pandémie a mis au grand jour les failles du système productif français. Les pénuries de masques et de gel hydroalcoolique au printemps ont affolé la population quand les professionnels de santé ont tiré la sonnette d'alarme sur l'effondrement des réserves de médicaments et de traitements. En outre, l'extrême dépendance de l'économie française aux pays étrangers et la fragmentation à outrance des chaînes de production ont révélé les limites d'une hypermondialisation dans le contexte d'une crise sanitaire planétaire.
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Face à cette avalanche de déconvenues et de risques, le pouvoir exécutif avait dû passer en urgence des commandes de masques de protection par millions. Quelques mois après ces déboires, le gouvernement de Jean Castex a décidé de muscler ses dispositifs pour favoriser la (re)localisation d'activités industrielles. Lors d'un déplacement en Essonne ce jeudi après-midi pour inaugurer le nouveau site de production de l'entreprise Senior Aerospace Calorstat, le ministre de l'Economie et de la Relance, Bruno Le Maire et la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher ont annoncé un bilan des dispositifs mis en oeuvre pour soutenir et moderniser l'appareil industriel et un prolongement de certaines aides.
31 projets financés
Depuis le mois de septembre, 31 projets ont été retenus par l'exécutif pour bénéficier du soutien public. Ils représentent d'après un communiqué de Bercy environ 680 millions d'euros d'investissements productifs, dont environ 140 millions d'euros de l'Etat. Le ministère de l'Economie estime qu'environ 4.000 emplois industriels sont préservés et environ 1.800 emplois devraient être crées avec ces investissements. Ces dispositifs visent en particulier les secteurs jugés critiques comme celui du médicament, en première ligne dans cette crise sanitaire mondiale. En parallèle, Bruno Le Maire veut mettre l'accent sur quelques secteurs stratégiques importants pour l'avenir. Il s'agit de "la santé, l'agroalimentaire, l'électronique, les intrants essentiels de l'industrie (chimie, matériaux, matières premières, etc.) et les applications industrielles de la 5G".
Parmi ces premiers lauréats, figure par exemple la société Seqens, spécialiste de la chimie pharmaceutique, qui prévoit d'installer un atelier de production de principes hautement actifs sur son site d'Aramon en Occitanie, et de relocaliser la production d'intermédiaires de synthèse et de principes actifs clés pour 12 médicaments sous tension durant la crise sanitaire. Le groupe Lesaffre (agro-alimentaire), basé à Denain dans les Hauts-de-France, va lui notamment installer une unité de production d'un supplément nutritionnel aux effets bénéfiques sur les articulations.
Des aides suffisantes après une désindustrialisation massive ?
Ces mesures annoncées en grande pompe par les ministres de Bercy sont-elles suffisantes pour répondre à la crise et la désindustrialisation tricolore entamée depuis des décennies ? A ce stade, il est compliqué de répondre par l'affirmative. Dans un épais rapport de près de 600 pages présenté devant l'Assemblée nationale ce jeudi matin, France Stratégie, le centre d'évaluation des politiques publiques rattaché à Matignon, a brossé le portrait d'une industrie tricolore en pleine déroute. "La France connaît une désindustrialisation particulièrement marquée. Il n'y a que le Royaume-Uni qui ait connu un phénomène aussi profond. La France est devenue remarquablement désindustrialisée [...] Les décennies 90 et 2000 ont été marquées par un accroissement des échanges et un libéralisme triomphant, les tensions entre les grands blocs commerciaux n'étaient pas aussi fortes que maintenant. La politique industrielle était un peu tabou" a expliqué le commissaire général, Gilles de Margerie, lors d'une réunion téléphonique avec des journalistes.
Et la pandémie actuelle ne risque pas d'arranger la situation. Depuis le printemps, des grands groupes industriels ont annoncé des fermetures de sites de production et la liste des plans sociaux ne cesse de s'allonger. Les saignées dans l'industrie automobile ou l'aéronautique sont particulièrement vives dans des régions très spécialisées comme l'Occitanie par exemple.
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(Re)localisations ou réindustrialisation ?
L'onde de choc provoquée par la pandémie a ravivé le débat entre les partisans de la relocalisation et ceux qui prônent une réindustrialisation. "L'idée des relocalisations est réapparue au moment de la crise sanitaire. La France a réussi en assez peu de temps à produire des masques. Le concept de réindustrialisation est très différent. Dans les années 2018-2019, on a assisté à un frémissement des emplois industriels encore difficile à interpréter. La crise bouleverse et gèle beaucoup de projets. Il est difficile à ce stade de dire si cette crise va accentuer la désindustrialisation " explique le commissaire de Margerie.
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Dans son plan de relance, le gouvernement a mis l'accent notamment sur la politique de l'offre en baissant les impôts de production et en poursuivant la baisse de l'impôt sur les sociétés entamée depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron. Si la plupart des mesures d'urgence mises en oeuvre depuis le printemps sont plutôt jugées positivement par la plupart des économistes, certains choix interrogent de nombreux chercheurs. Dans de récents travaux de recherches, les économistes de l'institut des politiques publiques (IPP) et du Cepremap ont montré que la baisse des impôts de production allait principalement bénéficier aux entreprises dont l'activité avait été relativement peu affectée par l'épidémie. "Il n'y a pas de lien entre la baisse du chiffre d'affaires et le ciblage du plan de relance. Les mesures d'urgence sont très ciblées vers les entreprises qui ont le plus subi. Le plan de relance cible d'abord les grandes entreprises à forte intensité capitalistique, dans le secteur manufacturier, qui ne sont pas les plus touchées" expliquait récemment l'économiste de l'IPP Clément Malgouyres lors d'un point presse.
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En outre, cette baisse des coûts ne signifie pas que les industriels vont pouvoir faire face à la baisse de la demande ou monter en gamme dans leurs produits. Dans une étude éclairante de la Banque de France publiée en 2017, les auteurs montraient que la consommation des biens manufacturés chez les Français avait considérablement diminué ces dernières décennies au profit des services. Cette baisse s'explique en partie par le progrès technique et les gains de productivité dans l'industrie qui ont également contribué à faire baisser les prix de certains produits. A cela s'ajoutent les répercussions de la récession sur la consommation. Même si les annonces concernant les vaccins peuvent contribuer à redonner de la confiance aux consommateurs, la montée du chômage et de la pauvreté risquent de plomber les espoirs d'une reprise rapide et durable de la demande, moteur de la croissance et de l'investissement en France. Cette crise provoque "un choc sur l'offre de travail qui touche une grande partie de la population active. Il y a un effet de diffusion qui aboutit à une chute de la consommation des ménages, des pertes de débouchés qui ont des conséquences sur les décisions d'investissement des entreprises" rappelait récemment l'économiste du Cepremap Thomas Brand.