La mondialisation économique, malade du Covid-19

L’expansion du virus hors de Chine freine les échanges internationaux et plombe la demande mondiale. Une crise sanitaire qui alimente les critiques d’un modèle contesté.
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters/China Daily CDIC)

Transports à l'arrêt, usines fermées, population confinée, panique sur les places boursières... Cette vaste crise sanitaire a plongé l'activité de la Chine, deuxième puissance économique mondiale, dans la torpeur, alors qu'elle est déjà freinée par le ralentissement des échanges. L'OCDE a sérieusement assombri ses prévisions de croissance pour 2020 avec un PIB mondial à 2,4 % contre 2,9 % en novembre dernier. Pour Laurence Boone, la cheffe économiste de l'institution, l'économie mondiale se trouve dans la position la plus périlleuse qu'elle ait connue depuis la crise financière de 2008. Lors d'un récent sommet du G20 organisé à Riyad, ­Kristalina Georgieva, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), a déclaré que le coronavirus mettait « en péril » la reprise de l'économie planétaire. Avec plus de 90 000 cas et 3 000 décès sur l'ensemble de la planète, la multiplication des malades en dehors de la Chine alimente le spectre d'une récession.

En outre, cette épidémie a relancé le débat sur la mondialisation des chaînes de production. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire a récemment déclaré que « l'épidémie du coronavirus est un game changer dans la mondialisation », un événement qui change la donne. Face aux difficultés d'approvisionnement et aux enjeux de souveraineté, quelques entreprises ont déjà annoncé qu'elles allaient revoir leur stratégie. C'est le cas par exemple de Sanofi qui veut regrouper au sein d'une nouvelle entreprise autonome certaines de ses activités européennes dans les principes actifs pharmaceutiques, dans le contexte de dépendance croissante des laboratoires mondiaux vis-à-vis de la production asiatique. À cela s'ajoutent, le Brexit, la remise en cause du multi­latéralisme par les États-Unis, les tensions commerciales, ou encore le réchauffement climatique. Tous ces facteurs pourraient rebattre les cartes d'une mondialisation contestée.

Malgré ces réflexions, le rôle de la Chine dans l'économie mondiale a pris une ampleur considérable. Au moment de son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, l'empire du Milieu représentait 4 % du PIB mondial contre 16 % en 2019. Cette multiplication par quatre en moins de deux décennies montre l'accélération des échanges entre la Chine et ses partenaires par des transferts de technologies ou la volonté de certains pays développés de travailler avec un pays en pleine expansion. Cette interdépendance pourrait accroître les difficultés pour relocaliser des usines, déjà bien implantées dans cet écosystème.

Un choc d'offre dans le moteur industriel chinois

Au regard des dernières données, la situation sanitaire s'améliore légèrement en Chine. L'épidémie apparue au mois de décembre semble y avoir atteint un pic. Malgré cette relative accalmie, les économistes de l'OCDE ont sérieusement revu à la baisse leurs perspectives de croissance pour l'activité chinoise au début du mois de mars avec un PIB à 4,9 % en 2020, alors qu'ils anticipaient un PIB à 5,7 % en novembre dernier. Dans une récente note, l'économiste d'Oddo Securities, Bruno Cavalier, expliquait que cette maladie infectieuse a provoqué avant tout « un choc d'offre » dans le moteur industriel chinois avec des freins à la production. Les interdictions de déplacement, l'absentéisme dans les entreprises, la perturbation des chaînes d'approvisionnement vont nécessairement faire diminuer les niveaux de production dans un grand nombre de secteurs.À ce stade, il reste difficile de mesurer l'ampleur de ce choc. Les économistes de chez Oddo estiment que la croissance trimestrielle pourrait reculer de deux points au premier trimestre et s'établir à 4 % contre 5,5 % au deuxième trimestre. Mais cette estimation reste très provisoire.

Pour Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) interrogé par La Tribune, « les conséquences découlent des mesures prises pour endiguer la maladie plus que de la maladie elle-même, parce qu'elles paralysent partiellement l'activité. Fait assez rare, cela affecte à assez grande échelle aussi bien la production que la consommation. Les gens restent chez eux ou ont une mobilité limitée même dans les grandes villes. Au-delà des transports eux-mêmes, cela provoque une chute drastique de la demande dans l'hôtellerie-­restauration et le tourisme, mais aussi une baisse marquée de la consommation, réduite aux produits de première nécessité dans les zones affectées et souvent très au-delà. »Pour l'économiste Christine Peltier chargée du suivi de la Chine chez BNP Paribas, « il y a eu un effondrement de la consommation dans des secteurs comme les transports, le commerce de détail, les ventes automobiles. Le trafic de passagers en Chine a chuté de l'ordre de 85 % en février. [...] Les usines ont commencé à rouvrir, mais il reste beaucoup d'incertitudes sur la durée de l'épidémie et sur la vitesse à laquelle la main-d'œuvre va pouvoir retourner dans les usines. »

Pour les entreprises, les conséquences pourraient être désastreuses. Beaucoup de firmes chinoises pourraient se retrouver avec d'immenses difficultés de trésorerie. « À l'heure actuelle, il y a peu de données pour mesurer l'ampleur du ralentissement dans le pays. Sur les grandes entreprises, il y a un retour des capacités de production qui vont augmenter au mois de mars. La situation des PME est plus problématique. Elles représentent environ 60 % du PIB chinois », affirme ­Christopher Dembik, responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank. « Si cette paralysie soudaine de l'activité perdure, elle peut être très dangereuse pour les entreprises qui ne sont pas suffisamment bien préparées, notamment parce qu'elles n'ont pas assez de liquidités. Une récente enquête sur les PME chinoises montre que 85 % d'entre elles ne peuvent pas tenir plus de trois mois dans une situation de gel d'activité. Il y a un risque de faillite pour les petites et moyennes entreprises », ajoute Sébastien Jean.Les effets du coronavirus font craindre une chute de l'activité mondiale. Dorénavant, tous les continents sont touchés par l'épidémie. L'accélération de la contagion en Europe a précipité les places boursières dans le rouge, réveillant les craintes d'une récession. Pour Sébastien Jean, le coup de frein concerne avant tout l'économie chinoise. « À ce stade, l'épidémie a essentiellement frappé la Chine. 95 % des cas mondiaux sont en Chine. Le premier scénario est que les autorités arrivent à contenir ou limiter la contagion et l'impact économique hors de Chine. »

La multiplication des mesures de soutien

Comment ce choc se répercute-t-il à l'extérieur ? Pour la France, il reste encore beaucoup d'incertitudes, mais Bruno Le Maire a tiré la sonnette d'alarme en début de semaine. Le ministre de l'Économie a reconnu s'attendre à un impact « beaucoup plus significatif » que ce qui était attendu. Selon les récentes prévisions de l'OCDE, la croissance hexagonale devrait tomber à 0,9 % en 2020. C'est 0,3 point de moins que lors des dernières estimations en novembre.« La moindre consommation des Chinois va avoir des répercussions principalement sur l'industrie du luxe, l'agroalimentaire et le tourisme. Dans les autres secteurs, il devrait y avoir une baisse de la demande, mais elle sera moins significative qu'en Allemagne, parce que nos exportations vers la Chine sont moins importantes. La première économie de la zone euro est fragilisée par son plus grand succès à l'exportation. Et les premiers pays frappés se trouvent principalement en Asie en raison des liens commerciaux »,  détaille Sébastien Jean. En France, dans certains secteurs, les craintes se multiplient. Les stocks de produits agroalimentaires ne cessent de gonfler.

Récemment, Didier Guillaume, le ministre de l'Agriculture, a reconnu qu'il y avait un vrai blocage des chaînes d'approvisionnement. « Avec la fermeture de la Chine, on a beaucoup de containers de viandes qui sont bloqués. [...] C'est un drame. La Chine va avoir un problème de début de pénurie alimentaire avec cette maladie. » Lors du Salon de l'agriculture, le directeur de l'organisation inter­professionnelle Inaporc, Didier ­Delzescaux, a indiqué que les exportations de viandes françaises avaient chuté de 22 000 tonnes en novembre, avant l'arrivée du coronavirus, à 7 000 tonnes en janvier. Depuis la crise porcine, le géant asiatique avait accru sa demande auprès des fournisseurs français. La montée en puissance de cette maladie infectieuse en dehors des frontières de la Chine a incité les institutions et les autorités à multiplier les mesures de soutien. Les ministres des Finances du G7 et la BCE se sont ainsi dits prêts à prendre des décisions budgétaires, et la banque centrale des États-Unis (Fed) a baissé ses taux afin d'atténuer l'impact économique du coronavirus. « Pour sa part, la banque centrale de Chine a multiplié les mesures d'assouplissement des conditions monétaires et de crédit. Les autorités ont injecté des liquidités dans le système financier et abaissé les taux d'intérêt », indique Christine Peltier. L'objectif de cet assouplissement est d'aider les entreprises confrontées à des difficultés de trésorerie. « Cet assouplissement monétaire a été ­complété par l'annonce de prêts spéciaux pour les entreprises qui sont affectées par les conséquences du coronavirus, notamment les PME. »En outre, plusieurs mesures de soutien budgétaire sont déjà activées. Pour l'instant, « Pékin a encouragé les collectivités locales à accroître leurs dépenses, y compris dans les infrastructures mais aussi dans l'aide et le soutien aux entreprises locales », ajoute Christine Peltier. « On s'attend à ce que Pékin prenne des mesures plus larges d'incitations fiscales pour l'ensemble du pays, par exemple au moment où il faut soutenir l'activité. » En dépit de ces mesures, les craintes d'une grande crise similaire à celle de 2008 ressurgissent. 

ZOOM

Face à l'épidémie, Bercy monte au front

Dans les milieux économiques et financiers, les dirigeants s'interrogent sur les mesures à prendre et les comportements à adopter pour limiter les risques de propagation de l'épidémie de Covid-19 et faire face aux difficultés économiques. Récemment, le gouvernement a annoncé qu'il voulait maintenir toutes les mesures d'étalement des charges, d'activité partielle ou de dérogations sur les heures supplémentaires, mises en place lors du mouvement des « gilets jaunes » et des grèves contre la réforme des retraites.

À la suite d'une réunion avec les partenaires sociaux et les fédérations professionnelles, Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, a expliqué que le coronavirus sera  « considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises ». Ainsi, « pour tous les marchés publics de l'État, si jamais il y a un retard de livraison de la part des PME ou des entreprises, nous n'appliquerons pas de pénalités », a précisé le ministre, qui a également annoncé des « possibilités de recours à ­l'activité partielle » et « l'étalement des charges sociales et fiscales pour les entreprises qui en auront besoin ». « Nous répondrons aux attentes et aux besoins de tous les chefs d'entreprise français sans exception confrontés à cette crise », a-t-il assuré, indiquant qu'une cellule de crise avait été mise en place au ministère, pour faire remonter notamment les problèmes de chaînes d'approvisionnement.Le réseau des Urssaf a également indiqué que les entreprises touchées par le coronavirus pourront demander des délais de paiement ou des remises de pénalités. En outre, il est possible pour les travailleurs indépendants de demander une « anticipation de la régularisation annuelle afin d'obtenir un recalcul des cotisations cohérent avec la santé de l'entreprise », de « solliciter l'intervention de l'action sociale pour la prise en charge partielle ou totale des cotisations au titre de l'aide aux cotisants en difficulté », ou encore pour l'attribution d'une aide financière exceptionnelle. n

Grégoire Normand
Commentaires 14
à écrit le 05/03/2020 à 15:43
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Ttes les chaînes d'approvisionnement sont perturbées, sauf celles qui privilégient les circuits courts ds l'alimentaire principalement. Profitons de l'excellence technologique industrielle de l'UE pour relocaliser tt ce qui peut l'être et recréer de...

à écrit le 05/03/2020 à 14:14
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Coronavirus, épidémie, pandémie? Mais de quoi parle t-on? Une épidémie se définit comme l'apparition d'un grand nombre de cas d'une maladie infectieuse transmissible ou accroissement considérable d'un nombre de cas dans une région donnée ou au sein d...

à écrit le 05/03/2020 à 14:10
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Photon, non seulement, la gestion tardive voir non gestion de la France est une bombe à retardement, mais en plus on importe massivement, via les ''charters'', depuis la Chine, des milliers ''de touristes'' Réponse de lumières ++

le 05/03/2020 à 20:38
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Et les touristes d'Erdogan c'est bon pour le virus ? Mais nous avons des chercheurs que nous pourrions exporter tellement le monde entier nous les envie .

à écrit le 05/03/2020 à 14:01
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Est-il besoin de rappeler qu' on voit là encore sur ce sujet les bienfaits de la mondialisation débridée, chère, si ..chère à nos néolibéraux mondialistes, Macron en tête, "gopéistes", pro UE, profondément anticipateurs qui se se sont succédé à l...

à écrit le 05/03/2020 à 13:01
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N.B.: Faites attention quand même à cette image cela pourrait être perçu par les distraits comme un sujet sur l'accident de Strasbourg ! ^^ Et si c'est volontaire c'est bien vu.

à écrit le 05/03/2020 à 12:32
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La mondialisation est malade d'elle même et de ses excès, le virus n'est qu'un révélateur partiel. Et je n'ai aucun espoir que cette crise soit salutaire et induise une prise de conscience. En 2009, les responsables ont tous juré qu'il y avait u...

à écrit le 05/03/2020 à 10:59
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C'est un mal pour un bien.. qui permet de nous faire réaliser que seul une diversité des points de production et de localisation auprès du "consommateur" pérennise notre survis! L'homogénéité, que nous impose la mondialisation, a ses revers! Que l'on...

à écrit le 05/03/2020 à 10:47
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Une bonne nouvelle, on va peut-être arrêter de faire voyager sur plusieurs milliers de Km des produits que l'on pourrait fabriquer sur place.

à écrit le 05/03/2020 à 10:34
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La "cheffe économiste" est une économiste (sic!) et comme nombre d'économistes ordoliberaux, elle passe à côté des problèmes. Elle ne veut pas voir (ou fait semblant) de ne pas voir que la crise en gestation est la somme des errements depuis 2008 et ...

à écrit le 05/03/2020 à 10:13
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Que l'on aime ou que l'on n'aime pas la Chine, force est de constater qu'ils ont su voir clair rapidement et qu'ils ont mis en oeuvre rapidement des mesures drastiques qui, aujourd'hui permettent d'observer une nette diminution des contaminations sur...

le 05/03/2020 à 12:16
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J'ai déjà lu ce texte de troll prochinois il y a quelques jours. Faudrait voir à changer un peu. Si par remède de cheval vous pensez aux restrictions des libertés, à l'omerta sur les informations réelles, à l'emprisonnement de ceux qui disent diffé...

le 05/03/2020 à 22:34
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Mais c'est du délire votre commentaire !! une vraie fake news !! Comme avec l'épidémie du SRAS de 2002, les autorités chinoises ont minimisé voire nié dès le début, l'apparition des 1ers cas, fin nov / début dec 2019 qui ont été diagnostiqués par de...

à écrit le 05/03/2020 à 8:45
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Deux effets positifs donc contre un négatif à savoir une réduction de la pollution généralisée imposée du fait d'une baisse des échanges internationaux et un questionnement qu'il serait temps de se faire ou bout de décennies de pratiques aberrantes, ...

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