La fracture a été révélée au grand jour sous les dorures du palais de l'Elysée le 22 mai 2018. Ce jour-là, l'ancien ministre de la Ville de Jacques Chirac, Jean-Louis Borloo, remet officiellement au président de la République son rapport intitulé « Vivre ensemble, vivre en grand », composé de dix-neuf programmes thématiques.
Sauf que tout ne passe pas comme prévu. Après avoir laissé parler son invité, Emmanuel Macron refuse d'annoncer un plan ville ou un plan banlieue, considérant que « cette stratégie est aussi âgée que [lui] ».
« Le premier plan a été présenté par Raymond Barre à peu près au moment où je suis né. Je n'y crois pas ! », lance alors le chef de l'Etat à l'assistance composée d'associations, d'élus locaux, d'entreprises engagées et de parlementaires.
Le rapport Borloo « jeté à la poubelle »
Présent au Château il y a cinq ans, le maire (PCF) d'Allonnes (Sarthe), Gilles Proust se souvient d' « un vrai travail avec les acteurs de terrain [qui a été] jeté à la poubelle ». « Depuis 2017, nous avons eu beaucoup de rendez-vous manqués. Il faut désormais que le gouvernement prenne conscience de la réalité de la situation. Ce qui a été fait n'est pas à la hauteur », ajoute le maire devenu depuis président de l'association Ville & Banlieue.
Un message que tente aussi de transmettre le maire (LR) de Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), à l'époque sénateur: « Nous attendons toujours une analyse de la situation et une compréhension des enjeux (...) Le gouvernement est aux abonnés absents. Cela fait six ans qu'ils ont disparu sur ces sujets. Est-ce que quelqu'un comprend ce qui se passe ? » s'interroge encore Philippe Dallier.
Une ancienne ministre de la Ville « en désaccord profond »
Deux discours qui agacent prodigieusement la députée (Renaissance) de la 7ème circonscription des Yvelines: « Je suis en désaccord profond avec ces maires. Il s'est passé des choses, avec des dispositifs nouveaux comme les cités éducatives, les cités de l'emploi ou encore les quartiers productifs ».
« Quand j'étais ministre de la Ville de 2020 à 2022, nous réunissions tous les mois les préfets à l'égalité des chances pour voir l'atterrissage des mesures, mais aussi les élus et les associations de proximité pour construire avec eux des réponses adaptées », enchaîne Nadia Hai.
Une méthode de travail poursuivie par la Première ministre. Au lendemain du déplacement du chef de l'Etat à Marseille et malgré la mort du jeune Nahel, Elisabeth Borne a maintenu, vendredi 30 juin, la réunion du Comité interministériel des villes (CIV), composé d'associations et d'élus de terrain.
Construire un projet dans la durée
Il n'a pas été question d'un plan « d'ampleur » en faveur des quartiers de la politique de la ville et des territoires ruraux censé « assurer une réelle justice territoriale » et annoncé mi-mai par la locataire de Matignon, mais d'un simple échange sur la crise sociale. « Nous allons travailler cet été avant de nous revoir à la rentrée. Ce que chacun peut comprendre. Notre vrai travail consistera à mettre de l'humain dans l'urbain », veut rassurer Catherine Vautrin, présidente de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Cet établissement, qui a fêté ses 20 ans la semaine dernière, a déjà bénéficié de 12 milliards d'euros d'argent public depuis 2003 et profitera même de 12 milliards supplémentaires d'ici à 2030 grâce à un abondement récent de 14 milliards.
« Il faut construire un projet dans la durée, proposer des vraies mesures autour de la discrimination et des relations entre la police et les jeunes et, pourquoi pas, donner des opportunités d'emploi dans ces corps de métier », déclare Moussa Camara, président de l'association Les Déterminés.
Le ministre Béchu a déjà donné le ton
Demain, le président Macron recevra plus de 220 maires ciblés par les émeutes, l'Elysée faisant déjà savoir qu'il souhaite « débuter un travail minutieux et de plus long terme pour comprendre en profondeur les raisons qui ont conduit à ces événements ».
D'autant que 200 autres maires ont déjà été conviés dans la matinée du 3 juillet par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires à l'occasion d'une remise de chèques du « Fonds vert ».
« Qu'on n'aille pas nous expliquer que la solution passerait uniquement par des chèques ou d'aller revisiter la politique de la ville ! » a d'ores déjà prévenu Christophe Béchu.
Ambiance...