Tout change pour que rien ne change. Dans les couloirs du ministère des Finances, c'est un soulagement pour les cabinets en place. Après un long mois d'attente, le gouvernement a enfin dévoilé les noms des ministres du paquebot Bercy jeudi soir. Sans surprise, Thomas Cazenave (Comptes publics), Olivia Grégoire (Entreprises, artisanat, tourisme), et Roland Lescure (Industrie et énergie) ont été confirmés à leurs postes. Sur le numérique, la discrète Marina Ferrari venant du MoDem vient prendre la place de Jean-Noël Barrot parti pour s'occuper des Affaires européennes.
Lors de ses voeux aux acteurs de l'économie début janvier, Bruno Le Maire avait défendu la stabilité à l'œuvre à son ministère en s'affichant sur scène avec son équipe dans une salle bondée. L'Elysée avait autorisé à maintenir cette cérémonie juste avant la nomination de Gabriel Attal à Matignon le 9 janvier. Confirmé à son poste depuis 2017, Bruno Le Maire a vu ses attributions élargies depuis le début de l'année en récupérant le portefeuille de l'énergie. Ce qui a suscité de vives inquiétudes dans les milieux écologiques.
10 milliards en 2024 et 12 milliards d'euros à trouver en 2025
Sur le front budgétaire, le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave aura la lourde tâche de trouver 10 milliards d'euros d'économies en 2024 et 12 milliards d'euros en 2025. « Je reprends le fil de mon action au service de la maîtrise de nos dépenses publiques, du soutien au travail et aux classes moyennes, du financement de notre transition écologique et de la lutte contre toutes les fraudes et tous les trafics », a réagi sur X ce spécialiste des collectivités locales et élu député à Bordeaux en juin 2022.
Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a répété le mantra du gouvernement de rétablir la trajectoire des finances publiques. « Nous tiendrons le même cap : repasser sous les 3% de déficit public d'ici 2027, grâce à plus de croissance, plus d'activité et à la maîtrise de nos dépenses; pas grâce à trop d'impôts », a affirmé le trentenaire. Pour rappel, l'exécutif compte revenir à un déficit de 4,4% du PIB en 2024 contre 4,9% en 2023. Du côté des recettes, « il y a un vrai ralentissement. On le voit sur la taxe sur la valeur ajoutée », confie une source à Bercy.
Une croissance en berne
Confronté à une dette vertigineuse, le gouvernement compte sur la croissance et l'emploi pour tenir ses promesses. Mais les dernières prévisions macroéconomiques ne laissent pas présager de rebond dans les mois à venir. Jeudi, la Banque de France a estimé que la croissance du PIB augmenterait entre 0,1% et 0,2% au premier trimestre. L'Insee est également sur le même ordre de grandeur pour le premier semestre.
Quant à l'OCDE, elle a révisé sa projection pour l'Hexagone à 0,6% contre 0,8% auparavant pour la croissance du PIB 2024. Le gouvernement projette toujours une croissance à 1,4% cette année, mais il devrait réviser prochainement ce chiffre peu crédible aux yeux d'un grand nombre d'économistes.
Les élections européennes compliquent l'équation budgétaire
Dans ce ralentissement généralisé, le pari du gouvernement de parvenir à faire baisser le déficit et stabiliser la dette d'ici 2027 pourrait virer au casse-tête. La récente crise agricole a poussé l'exécutif à mettre 400 millions d'euros sur la table pour faire redescendre la gronde des agriculteurs confrontés à une hausse des taxes sur le gazole non routier (GNR) et des revenus en berne. À quelques mois des élections européennes, le gouvernement est sous pression. Le Rassemblement national (RN) espère bien profiter de la campagne aux européennes pour engranger des voix au Parlement européen.
Après cette échéance électorale cruciale, Bercy va devoir plancher sur une trajectoire budgétaire particulièrement délicate pour le budget 2025. « Dans les prochains jours, je travaillerai à une nouvelle méthode pour construire avec les parlementaires le budget 2025 et de nouveaux moyens de lutte contre la fraude, je réunirai prochainement le Conseil d'évaluation des fraudes et j'irai à la rencontre des agents des douanes et des finances publiques », a indiqué Thomas Cazenave.
Des pistes encore floues
Déjà en novembre dernier, le gouvernement s'était attaqué à une revue de dépenses. À l'époque, Matignon avait mis sur la table les aides aux entreprises, le crédit d'impôt recherche (CIR), les dispositifs médicaux ou la taxation sur les plus grandes successions.
Ces pistes pourraient « sans doute changer » selon une source parlementaire spécialisée sur les questions budgétaires. L'arrivée de Gabriel Attal rue de Varenne pourrait changer la donne. De son côté, Bercy pourrait mettre la pression sur plusieurs ministères pour obtenir des économies. « Le plus dur est devant nous », avait prévenu Bruno Le Maire sur un ton martial début janvier. « Nous serons intraitables sur les annonces ministérielles non financées. Toute annonce doit respecter rigoureusement et strictement les crédits qui ont été approuvés par le Parlement ». Ces économies seront d'autant plus importantes que le gouvernement compte poursuivre sa baisse d'impôt sur les classes moyennes de deux milliards d'euros.
Une loi Macron 2 et une loi industrie verte
Le programme est donc chargé pour les ministres de Bercy. D'autant que, lors de sa conférence de presse en janvier, Emmanuel Macron a annoncé une loi pour « la croissance, l'activité et les opportunités économiques ». Elle aura pour objectif de « mettre fin aux normes inutiles, réduire les délais, faciliter les embauches, augmenter les seuils de déclenchement d'obligation». À ce stade, beaucoup de flous persistent sur ce dossier. Mais le projet de loi pourrait bien ressembler à la loi pour la croissance votée sous François Hollande lorsque Emmanuel Macron était ministre de l'Economie.
À cela s'ajoute, une seconde loi industrie verte annoncée par le Premier ministre lors de son discours de politique générale la semaine dernière. «Il proposera notamment de concentrer les travaux de la Commission nationale du débat public, uniquement sur les projets d'envergure nationale. C'est 6 mois de gagnés dans les procédures sur les autres projets », a annoncé Gabriel Attal. Les équipes de Bercy sont prévenues.