Remaniement : pourquoi Bercy a récupéré l'énergie dans son portefeuille

Le ministère de la Transition écologique n’est-il pas à la hauteur des enjeux de la relance du nucléaire voulue par Emmanuel Macron ? En plaçant ce sujet stratégique sous la houlette de Bercy, le nouveau gouvernement de Gabriel Attal envoie un message clair : au-delà des questions environnementales, il en va désormais de la souveraineté industrielle et économique du pays. Si les partisans de l’atome s’en réjouissent, certains y voient un inquiétant retour en arrière… Décryptage.
Pour son premier déplacement au sein du gouvernement Attal, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, se rendra lundi à Grande-Synthe et à la centrale de Gravelines. Au menu : « la décarbonation et la relance du nucléaire », a annoncé vendredi son cabinet.
Pour son premier déplacement au sein du gouvernement Attal, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, se rendra lundi à Grande-Synthe et à la centrale de Gravelines. Au menu : « la décarbonation et la relance du nucléaire », a annoncé vendredi son cabinet. (Crédits : Reuters)

Feu le ministère de la Transition énergétique. Alors même qu'Emmanuel Macron a ramené ce sujet au centre de sa politique, en actant début 2022 la relance du nucléaire en France, ce portefeuille stratégique ne figure pas dans le nouveau gouvernement de Gabriel Attal annoncé jeudi en début de soirée. Un choix paradoxal au vu des enjeux ?

Celui-ci semble, en réalité, dans la droite ligne de la stratégie du président de la République depuis deux ans. Car l'ancien ministère de plein exercice, jusqu'ici piloté par Agnès Pannier-Runacher, quittera l'Hôtel de Roquelaure afin de passer sous la tutelle de Bercy. Et, par là même, du climat à l'économie, dont Bruno Le Maire restera à la tête. De quoi signer la concrétisation du retour en force de l'atome, pour des raisons de souveraineté et de réindustrialisation du pays ?

« Le gouvernement choisit un narratif où l'on aborde l'énergie sous le prisme de la souveraineté industrielle plutôt que sous le seul prisme de la lutte contre le réchauffement climatique », estime Phuc Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques de l'énergie européenne et française au sein du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors.

« Cela acte un renversement : Macron passe de « champion du climat » autoproclamé à champion de la souveraineté », abonde l'avocat spécialiste du droit de l'environnement Arnaud Gossement.

« Avoir la responsabilité de l'énergie, c'est se donner les meilleures chances d'accélérer la réindustrialisation du pays et la réalisation du programme nucléaire français », s'est d'ailleurs félicité hier, dans Le Figaro, Bruno Le Maire.

Les acteurs du nucléaire, en tout cas, se montrent ravis.

« Il s'agit d'une étape très importante dans la prise de conscience que l'énergie, c'est le sang de l'économie ! Ce sujet n'aurait jamais dû se retrouver sous la coupe de responsabilités environnementales, dont les dirigeants ont très longtemps été anti-industrie et anti-nucléaire », se réjouit Hervé Machenaud, ancien membre du Comex d'EDF et administrateur du Cercle d'étude réalités écologiques et mix énergétique (Cérémé), une association de défense de l'atome.

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Serpent de mer

Sans pour autant dire qu'il ne s'agit pas d'une surprise, les signaux s'enchaînaient depuis quelques mois. Avec la hausse des prix de l'électricité et du gaz, ainsi que le déroulement de la stratégie énergétique sur le long terme, l'attribution des rôles semblait parfois floue entre Agnès Pannier-Runacher et Bruno Le Maire.

De fait, le second a pris la main sur plusieurs dossiers cruciaux, de la question de la régulation du parc nucléaire à la critique du marché européen de l'énergie, en passant par l'accompagnement des ménages à l'achat d'un véhicule électrique - un sujet d'achoppement entre les deux ministres. En soufflant à la presse dès le 22 décembre que l'on s'orientait vers une baisse du bonus écologique destiné à l'achat de véhicules électriques, une « source gouvernementale » avait en effet annoncé le resserrement budgétaire à venir, coupant l'herbe sous le pied d'Agnès Pannier-Runacher, qui souhaitait une hausse de cette subvention. Par ailleurs, Bruno Le Maire a - logiquement - pris une place importante pour décider des mesures d'aide à mettre en place pendant la crise, mais aussi pour travailler au système de financement des futurs réacteurs atomiques d'EDF.

« C'est un vieux serpent de mer : les questions de souveraineté énergétique et de souveraineté industrielle vont de pair. On voit bien la porosité qu'il peut y avoir entre les deux et les enjeux communs, notamment autour de l'emploi et des compétences », souligne une source informée ayant requis l'anonymat.

Incarner la relance de l'atome

La loi relative à la souveraineté énergétique, pourtant portée par Agnès Pannier-Runacher elle-même, a parachevé le retour de l'énergie comme sujet de politique industrielle. « Un coup de grâce », diront certains. Outre son changement d'intitulé (il était initialement question d'une loi de programmation sur l'énergie et le climat), le texte en préparation, et présenté dans les colonnes de La Tribune Dimanche le week-end dernier, donne la priorité à l'atome civil dans la production électrique.

De fait, il assigne plusieurs objectifs chiffrés relatifs au renouvellement du parc nucléaire et acte la volonté d'engager huit réacteurs EPR en plus des six premiers, tout en mettant en sourdine les objectifs liés au déploiement des énergies renouvelables. Lesquels ne seront finalement détaillés que par voie réglementaire à travers la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), dont la publication est envisagée à l'été, au risque d'avoir une portée fragilisée. Les énergies renouvelables sont réduites « au dernier kilomètre », déplore Arnaud Gossement, reprenant l'expression malheureuse employée dernièrement par l'entourage de la ministre.

Pourtant, depuis sa nomination, Agnès Pannier-Runacher a bel et bien défendu le rôle complémentaire des énergies renouvelables aux côtés du nucléaire en faisant notamment voter une loi d'accélération au printemps dernier. Reste que son bilan demeurera marqué par son incarnation de la relance de l'atome civile. Très rapidement, la presque cinquantenaire a entrepris de bâtir un club du nucléaire à l'échelle européenne, regroupant désormais 14 pays, pour défendre la place de l'atome civil dans les textes communautaires et bâtir les bases d'une coopération industrielle.

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Retour à la situation d'avant 2007

Il n'empêche : l'exécutif a préféré revenir à la configuration qui prévalait avant 2007 et l'instauration par Nicolas Sarkozy, à l'issue du Grenelle de l'environnement, d'un super ministère de l'écologie rassemblant énergie, logements, transports ou encore biodiversité. « A l'époque, l'idée était de dire qu'il fallait aussi penser l'énergie à travers le prisme de l'écologie, puisque c'est l'une des principales causes d'émissions de gaz à effet de serre », précise Arnaud Gossement, alors porte-parole de France Nature Environnement. Après un bref passage d'Alain Juppé, Jean-Louis Borloo était donc devenu « superministre » de l'écologie.

« La filière nucléaire ne l'avait pas bien pris. Elle se plaignait d'un manque de vision industrielle, affirmait qu'on perdait en expertise », poursuit Arnaud Gossement. De fait, Hervé Machenaud ne mâche pas ses mots : « Pendant trente ans, le ministère de l'Environnement a détruit l'industrie énergétique au nom de son idéologie », lâche l'ancien directeur exécutif chargé de la production et de l'ingénierie d'EDF.

Inquiétudes

Si la bascule de l'Energie sous le giron de Bercy peut paraître cohérente à plusieurs égards, il n'en reste pas moins que ce mouvement suscite des inquiétudes, alors même que le bilan de celle qui est désormais pressentie à la Santé est loué. « Le risque avec ce transfert c'est que les enjeux environnementaux liés à l'énergie soient moins pris en compte alors que tout moyen de production énergétique a un impact », redoute Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau action climat (RAC).

« L'autre risque c'est que les économies d'énergies soient moins bien traitées alors qu'Agnès Pannier-Runacher a mis en avant les sujets de sobriété avec des groupes de travail dédiés. Plus largement, nous redoutons que l'accent soit focalisé sur la dimension production, avec une vision très centralisée et technique, qui colle bien au lancement d'un programme nucléaire, mais pas au déploiement des énergies renouvelables pourtant essentiel d'ici à 2035 », poursuit-elle, tandis que le ministère de la Transition énergétique pouvait s'appuyer sur son ministère jumeau, celui de la Transition écologique et de la cohésion des territoires. D'autres encore redoutent de futures pressions budgétaires.

Au-delà de ces inquiétudes, de nombreuses incertitudes demeurent sur l'organisation qui découlera de ce transfert. Qui représentera la France à la prochaine conférence internationale sur le climat ? Qui mènera les négociations relatives à l'objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2040 à l'échelle européenne ? Qui, encore, pilotera la prochaine stratégie nationale bas carbone ? Autant de questions qui restent en suspens dans l'attente de la nomination d'un éventuel secrétaire d'Etat dans les prochains jours...

Bruno Le Maire, en tout cas, ne compte pas perdre une minute : pour son premier déplacement au sein du gouvernement Attal, le ministre de l'Economie se rendra lundi à Grande-Synthe et à la centrale de Gravelines. Au menu : « la décarbonation et la relance du nucléaire », a annoncé vendredi son cabinet. D'autres espéraient, comme première annonce, un report de la réintroduction des taxes sur l'électricité, alors que celles-ci devraient venir gonfler la facture des Français dès le mois de février...

Lire aussiÉlectricité : les prix baissent, mais les factures vont augmenter !

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Commentaires 11
à écrit le 15/01/2024 à 14:12
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"Un inquiétant retour en arrière" : dans quel état était le système électrique français lorsque le ministère de l'industrie en avait la charge et dans quel état est-il aujourd'hui après être passé sous la coupe de ministres de l'environnement écologi...

à écrit le 14/01/2024 à 9:48
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Les propos de l'ONG écolo "RAC" (réseau action climat) sont illogiques : pourquoi le ministère de l'économie et de l'énergie laisserait il tomber la sobriété énergétique, c'est à dire les économies d'énergie ? C'est au contraire dans ses gènes que ...

à écrit le 14/01/2024 à 9:44
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Quoi de plus logique ? La production d'électricité est essentiellement réalisée avec du nucléaire (65-70 %) , puis d'hydraulique (12 %) enfin un soupçon de solaire et d'éolien (10 %, intermittents cependant). Il n'y a plus de dégagement de CO2. Alo...

à écrit le 14/01/2024 à 9:42
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Quoi de plus logique ? La production d'électricité est essentiellement réalisée avec du nucléaire (65-70 %) , puis d'hydraulique (12 %) enfin un soupçon de solaire et d'éolien (10 %, intermittents cependant). Il n'y a plus de dégagement de CO2. Alo...

à écrit le 13/01/2024 à 17:36
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Parce que c'est Bruno qui perçoit les taxes sur l'électricité et les carburants.

à écrit le 13/01/2024 à 13:01
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Je n'avais pas l'impression que Panier Runacher avait démérité. Elle a mené de manière efficace à Bruxelles la défense des interêts français notamment sur le nucléaire et a réussi à féderer une alliance sur le sujet me semble-t-il. Je comprends pas t...

le 13/01/2024 à 15:59
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C'est pourtant pas compliqué a comprendre... Macron a décidé c'est tout. Ce gouvernement comme les précédents de Macron ne sert a rien sauf a executé ce que Macron décidera !!! Que voulez vous dans une dictature déguisé y a pas de mot et de décision...

à écrit le 13/01/2024 à 8:11
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Parce que ça faisait trop à gérer pour Rachida ? LOL !

à écrit le 13/01/2024 à 7:17
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Une à l'endroit, l'autre à l'envers, quelle (dé)tricotage de première classe, c'est pire que la mode des vêtements et des marchands de tapis. Le souk est mieux organisé que la gouvernance de France. Heureusement Nicola Hulot et Arnaud de Montebourg ...

le 13/01/2024 à 10:34
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@jkn. Admirable, merci pour ce délicieux moment de vérité.

à écrit le 12/01/2024 à 21:01
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Pourquoi? Parce que Bercy ne réduit pas assez énergiquement le déficit et la dette. Ce n'est pas ça? Je donne ma langue au chat.

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