"Washington a organisé un pillage des données des entreprises françaises" Raphaël Gauvain (3/11)

Selon le député LREM de Saône-et-Loire Raphaël Gauvain, auteur du rapport sur les lois extraterritoriales américaines, les États-Unis empêchent les entreprises européennes de commercer librement. Il nous livre ses pistes pour en sortir.
Les Etats-Unis empêchent l'Europe et les entreprises européennes de commercer librement. C'est une atteinte très, très grave à notre souveraineté (Raphaël Gauvain, député LREM).
"Les Etats-Unis empêchent l'Europe et les entreprises européennes de commercer librement. C'est une atteinte très, très grave à notre souveraineté" (Raphaël Gauvain, député LREM). (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Votre rapport sur les lois extraterritoriales américaines, publié à l'été 2019, est-il un coup de poing tapé sur la table contre ces procédures extrajudiciaires ?
RAPHAËL GAUVAIN - Je n'ai pas été le premier à le dire. Il y a eu, avant moi, le rapport Lellouche-Berger, qui était le premier cri d'alarme. À l'issue de plus de 250 auditions, il y a eu vraiment un constat partagé : une instrumentalisation de ces procédures extrajudiciaires par les pouvoirs publics américains. Sur les 24 plus grosses condamnations du DoJ, le ministère de la Justice américain, dans des affaires de corruption, 14 concernent des entreprises européennes. En revanche, les entreprises américaines sont la plupart du temps épargnées et il n'y a aucune poursuite engagée contre des entreprises russes et chinoises. Ce qui montre bien qu'il y a une véritable instrumentalisation de cette procédure au service de l'économie et des entreprises américaines. L'objectif du rapport était également d'apporter des solutions très concrètes pour rétablir notre souveraineté judiciaire et mieux protéger nos entreprises dans le cadre de ces procédures.

Mais ce type de dossier se résout au niveau politique, surtout avec les États-Unis, non?
Le rapport n'a pas vocation, ni ambition d'apporter une solution à la totalité de la problématique de l'extraterritorialité américaine. C'est sûrement une réponse qui doit être engagée au niveau politique français et sans doute au niveau européen. Cela va être le défi des prochains mois, des prochaines années. Le général de Gaulle disait qu'il faut regarder les Américains « droit dans les yeux ».

Que pouvez-vous apporter aux entreprises françaises prises dans ces procédures?
Nous proposons des instruments pour que nos entreprises puissent se défendre dans ces procédures. Car elles sont vulnérables. Nous préconisons trois pistes d'action, dont la modernisation de la loi de 1968, qui n'est pas une loi de blocage, mais une loi d'aiguillage. Cette modernisation doit imposer aux autorités publiques américaines de passer par les voies de la coopération judiciaire internationale. L'objectif est de remettre l'État entre les entreprises et les pouvoirs publics américains afin de faire respecter un certain nombre de garanties inscrites dans des traités. Il faut absolument les imposer pour que nos entreprises ne se retrouvent pas seules face aux autorités publiques américaines, qui ont organisé un système de pillage de données des entreprises françaises. Il y a aussi des risques de fuite d'informations stratégiques des entreprises françaises vers les États-Unis.

Pourtant cette loi n'était même pas respectée par les Américains...
...On s'est effectivement posé la question s'il fallait conserver cette loi de 1968 qui était tombée en désuétude. En 2007, les Américains avaient même réussi à la contourner.  Mais nous avons voulu la rendre effective pour que les Américains la respectent. Cela passe par l'augmentation de l'amende encourue, qui doit passer de 18.500 euros à près de 3 millions d'euros pour les entreprises qui ne respectent pas cette loi. Celle-ci interdit à toute entreprise française de communiquer directement des documents aux pouvoirs publics étrangers sans passer par les voies de la coopération. Si une entreprise y porte atteinte, elle est condamnée pénalement.

Mais les entreprises françaises ne sont-elles pas placées entre le marteau et
l'enclume ?
C'est un instrument qui reste à manier avec délicatesse et intelligence parce que l'on place effectivement nos entreprises entre le marteau et l'enclume. Elles ont des demandes des autorités publiques américaines avec des sanctions à la clé et, nous, on leur impose de passer par les voies de la coopération judiciaire internationale.

Vous préconisez de protéger les avis juridiques des entreprises. Pourquoi et pour quels objectifs ?
Nous nous sommes rendu compte en faisant du droit comparé que la France était le seul pays au monde qui ne protégeait pas les avis juridiques de ses entreprises. Dans plusieurs négociations entre le ministère de la Justice américain et les entreprises françaises, on s'est rendu compte que le DoJ avait entre ses mains ces avis juridiques. Ils servent de conseils ou d'alertes sur des affaires en cours pour que les dirigeants puissent prendre leur décision de manière éclairée. À partir du moment où ces conseils ne sont pas protégés, le DoJ s'en sert pour accuser les entreprises de leur connaissance sur les risques encourus.

Pourquoi ne pas faire évoluer le droit de l'avocat en entreprise ?
En France, il y a des blocages. Des services d'enquêteurs considèrent que cela pourrait porter atteinte à l'efficacité des enquêtes. Il faut donc mettre en place un système qui permette une protection sans porter atteinte à celle-ci. Ce qui n'est pas du tout le cas dans les autres pays, notamment aux États-Unis où ces avis sont protégés. Cela n'empêche pas les enquêtes d'aboutir. Mais nous devons rassurer en France.

Cela dit, la protection des avis juridiques n'a pas sauvé les entreprises allemandes, par exemple, d'énormes amendes du DoJ...
Bien sûr. Ce n'est en aucun cas une règle qui permettra d'arrêter les enquêtes, ni les condamnations. C'est juste donner à nos entreprises une arme supplémentaire pour se défendre dans ce type de procédure. Le DoJ a utilisé ces avis contre des entreprises françaises. Si l'avis n'avait pas été communiqué, cela n'aurait pas empêché la condamnation, mais réduit l'ampleur de la condamnation.

Comment peut-on lutter contre le Cloud Act ?
Le Cloud Act donne la possibilité aux autorités publiques américaines de recueillir dans le cadre d'investigations les pièces, en s'adressant non pas directement aux entreprises françaises, mais en passant par des services de cloud, donc par les Gafa. Tout cela sans prévenir, bien sûr, les entreprises françaises, et quand bien même les serveurs seraient situés sur le territoire français. On voit bien que c'est un pas de plus vers l'extraterritorialité et un contournement complet de la coopération judiciaire internationale.

Que proposez-vous ?
Nous proposons de créer un conflit de loi, qui va peser sur les Gafa. D'un côté, ils sont tenus par les autorités américaines de leur communiquer les pièces sur les entreprises françaises et, de notre côté, on leur interdit de les communiquer. On leur conseille de passer par les voies de la coopération judiciaire internationale. Et si les Gafa n'obtempèrent pas, on les sanctionnera et on les sanctionnera très durement. Dans ce cadre, on propose d'étendre la sanction prévue par le RGPD, qui est à hauteur de 4 % du montant du chiffre d'affaires mondial, aux personnes morales. On les met entre le marteau et l'enclume.

Des pays comme l'Inde ou encore la Russie envisagent d'imiter les États-Unis en mettant en place des lois extraterritoriales. Faut-il le craindre ?
S'il y a une multiplication de ces procédures, cela va tuer le commerce international. C'est, bien sûr, une menace. Les États-Unis ont trouvé cette arme juridique, qui a commencé à se développer après les attentats du 11 septembre 2001. Une arme qui a pris de l'ampleur après la crise financière. Pour les États-Unis, les lois extraterritoriales sont plus qu'une arme dans la guerre économique : ils ont trouvé une arme pour se projeter dans le monde entier, réguler le commerce mondial à leur propre profit, sans envoyer un seul GI. Car cela va désormais au-delà des affaires de corruption, avec le régime de sanctions qu'ils imposent au monde entier. Cela a été le cas avec l'Iran où, là, le combat éthique est complètement mis de côté.

C'est-à-dire ?
Dans la lutte contre la corruption, les Américains ont mis en avant le combat éthique de la lutte contre la corruption en disant : « On fait le ménage parce que vous ne le faites pas ». La France y a répondu en mettant en place la loi Sapin 2. Cet argument ne marche absolument plus avec les sanctions unilatérales : ils empêchent l'Europe et les entreprises européennes de commercer librement. C'est une atteinte très, très grave à notre souveraineté. Il faut donc une réponse politique.

Commentaires 16
à écrit le 12/05/2020 à 16:45
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Depuis Thatcher et Reagan milieu des années 80, le néolibéralisme anglo-saxon s'est affranchi des règles et surtout s'est perdu dans une cupidité prédatrice. Les 1% ont permis à la Chine, état totalitaire de devenir une super-puissance économique. Le...

à écrit le 14/01/2020 à 9:25
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Monsieur Raphaël Gauvain devrait se pencher plus sérieusement sur la lutte contre la corruption plutôt que de se lancer des satisfécits (dixit loi sapin 2) : la France n'est pas un exemple de transparence dans les affaires, les lobbyistes et les cerc...

à écrit le 14/01/2020 à 9:14
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Seule la CE avec des lois fortes comme le RGPD peut nous aider à renforcer nos lois et notre protection....Une France seule et isolée sera balayée en quelques années !

à écrit le 13/01/2020 à 23:51
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"....les États-Unis empêchent les entreprises européennes de commercer librement..." Tout a fait. Ils l'ont fait contre moi depuis 20 ans. Par Excommunication - dans la territoire nationale. Blocage et detournement de toute mes communications. Exc...

à écrit le 13/01/2020 à 18:19
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La sécurité, la souveraineté, cela à un coût. l'Europe, seule entité capable de faire contrepoids aux US doit commencer par se doter d'un système de défense puissant ET indépendant de l'OTAN. Une fois atteint cet objectif, l'UE sera respectée, l'Euro...

à écrit le 13/01/2020 à 16:13
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L'Union Européenne était sensée protéger la France et les Français contre les abus des empires que sont les USA, la Chine, la Russie et l'Inde. Il n'en est rien. Une fois de plus, constatons que les hommes politiques nous ont mentis. Ils nous ont fic...

à écrit le 13/01/2020 à 13:01
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Dans les technologies, les amateurs sont ceux qui font des constats !

à écrit le 13/01/2020 à 12:33
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Les USA aurait eu tord de ne pas en profiter, l'Amérique profonde "Démocrate" avait besoin de ces données dans sa mondialisation, a base de chaos sur les territoires qu'elles ne pouvait dominer!

à écrit le 13/01/2020 à 11:05
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Un grand respect à ce député qui rappelle en lisant entre les lignes que la vassalité n'est pas une fatalité. Toutes personnes au fait des institutions comprendront la nécessité de reprendre la main sur notre souveraineté, y compris en sortant de l'U...

à écrit le 13/01/2020 à 10:16
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"Le rapport n'a pas vocation, ni ambition d'apporter une solution à la totalité de la problématique de l'extraterritorialité américaine. C'est sûrement une réponse qui doit être engagée au niveau politique français et sans doute au niveau européen." ...

le 13/01/2020 à 13:15
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Demander un Frexit alors que c'est exactement ce qui arrangera la Chine et les Etats-Unis dans leur guerre économique, c'est à douter de votre réelle intention pour la France. Car si l'Europe est un nain militaire, ça reste un géant économique, qu...

le 13/01/2020 à 13:46
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@ multipseudos: "Demander un Frexit alors que c'est exactement ce qui arrangera la Chine et les Etats-Unis dans leur guerre économique." HEu tu peux nous expliquer l'incroyable cheminement de ta pensée qui t'a conduit à ce raisonnement stp ?! ...

le 13/01/2020 à 14:03
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Il voulait surement insister sur l'idée que la France n'étant qu'un maillon de l'Europe, elle perdrait en influence vs les US et la Chine.

le 13/01/2020 à 14:17
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" Il voulait surement insister sur l'idée que la France n'étant qu'un maillon de l'Europe, elle perdrait en influence vs les US et la Chine. " Pour perdre de l'influence encore faudrait il en avoir or nous voyons bien que chinois et américains n'...

le 13/01/2020 à 17:27
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Oui ! vivement le retour à l'autarcie, comme au beau temps du Maréchal. La Marine fera ça très bien. Ce qui lui évitera de bosser pour comprendre ce qui se passe. Comme d'hab.

le 14/01/2020 à 10:41
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@ multipseudos: "vivement le retour à l'autarcie, comme au beau temps du Maréchal." Tu délires encore... signalé et si je peux pas répondre au troll ou faire supprimer ce trollage c'est 100 balles ou rien

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