L'épidémie de Covid avait déjà jeté un coup de projecteur grinçant sur la vie de nos aînés dans les Ehpad. Le livre du journaliste indépendant Victor Castanet enfonce le clou avec sévérité. Dans une enquête menée pendant plus de trois ans, il relate les maltraitances subies par les plus âgés dans des maisons de retraite de groupes privés lucratifs, et notamment le leader mondial en la matière, Orpea. Violemment mise en cause, la firme dénonce une enquête à charge. Reste que le titre en Bourse n'a eu de cesse de chuter depuis la publication de l'ouvrage. Le gouvernement a demandé des comptes à l'entreprise, qui pour tenter de sortir de cette crise, vient de limoger son directeur général, Yves Le Masne. Un nouveau PDG doit être bientôt nommé.
La dépendance, un sujet trop souvent évité
A quelques mois de l'élection présidentielle, ce brûlot vient toutefois nourrir le débat public autour de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Jusqu'alors les candidats à l'Elysée se sont peu exprimés sur ce sujet pourtant très concernant. C'est l'un des angles morts des politiques.
Quant aux différents présidents de la République, ils ont, eux aussi, eu bien dû mal à statuer sur le grand âge. Nicolas Sarkozy, comme François Hollande, ou même Emmanuel Macron ont tous promis pourtant de s'en saisir, s'engageant à faire le nécessaire en matière de dépendance. Mais derrière les bonnes intentions, la réalité les a vite rattrapés. Les sommes considérables qu'il faut mobiliser pour accompagner le vieillissement des Français les ont souvent découragés.
Près de 5 millions de Français auront plus de 85 ans en 2050
Et pour cause, les besoins augmentent rapidement : selon l'Insee, à la fin de cette décennie, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans. Une première en France.
Et en 2050, les plus de 85 ans représenteront 5 millions de seniors, dont une importante proportion sera en perte d'autonomie, soit trois fois plus qu'aujourd'hui. Et malgré des dépenses en protection sociale, parmi les plus importantes d'Europe, il faudrait mettre 10 milliards d'euros supplémentaires tous les ans pour prendre correctement en charge la dépendance. Aujourd'hui, le secteur a dû mal à répondre aux demandes croissantes, il peine à recruter et les taux d'encadrement sont souvent insuffisants. D'où les maltraitantes rapportées dans ce livre.
Un cinquième risque de la Sécurité sociale inefficace
Certes, Emmanuel Macron a créé par la loi, en 2020, un cinquième risque de la Sécurité Sociale. Mais ce texte reste une coquille vide, sans moyens suffisants. Très loin du défi à surmonter.
Aussi, la philosophie commence-t elle à changer. Une des solutions avancées serait désormais de maintenir aussi longtemps que possible les personnes chez elles. Ainsi, en juillet 2021, Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l'autonomie, expliquait-elle "Vieillir chez soi doit devenir la norme, et l'Ehpad, l'exception". Pour éviter que plus de 20 % des plus de 85 ans, comme aujourd'hui, partent en Ehpad.
Dans un rapport publié mi-janvier, la Cour des comptes estimait cependant que l'offre de soins à domicile restait en France encore très insuffisante et très inférieure à celle proposée par les Ehpad. En 2016, elle pointait déjà la nécessité d'améliorer le maintien à domicile de nos aînés.
En attendant, le livre "les Fossoyeurs" connaît un tel succès, que tous les candidats vont être amenés à se positionner sans tarder sur ce sujet et à avancer des propositions concrètes. Où trouveront-ils l'argent ? Par des impôts supplémentaires ? De nouvelles cotisations comme pour la maladie et la retraite ? En mettant en place une deuxième journée de solidarité ? Il y a fort à parier que les milieux économiques seront sollicités pour participer au financement, d'une manière ou d'une autre ...
De fait, les entreprises seront mises à contribution
Par ailleurs, si rien n'est fait, ce sont les proches, donc les actifs qui devront s'occuper de leurs aînés. Certes, un statut d'aidant familial a bien été créé, mais il peine à s'imposer. Pourtant, 11 millions de personnes seraient déjà concernées, dont 62% encore en activité. La moyenne d'âge d'un aidant est estimée à 49 ans. Près d'un sur deux a déjà aménagé ses horaires pour aider ses proches, 40 % a déjà demandé un temps partiel.
De fait, par le temps libre qu'elles devront laisser à leurs salariés pour prendre en charge leurs parents ou grands -parents dépendants, les entreprises seront, de fait, mises à contribution. A un moment où les difficultés de recrutement s'accentuent, il y a un risque de perte accru de compétences et de talents.
Les entreprises auraient donc tout intérêt à accompagner les réflexions des politiques en la matière. Pourtant, aujourd'hui ce sujet reste en dessous de leurs préoccupations. Dans les désidérata qu'elles vient d'adresser aux futurs candidats à l'Elysée - que ce soit le Medef ou l'UIMM- pas un mot ou presque ne concerne cette question.
Enfin, cyniquement, les politiques ont tout intérêt à s'y intéresser. Les plus de 65 ans - c'est à dire souvent les personnes dépendantes de demain- représentent un électorat important, un des plus prompt à se rendre aux urnes