Climat : gare à la dictature du prix du carbone

Jeune chercheur en économie à l'École des Mines ParisTech, Antonin Pottier fustige dans ses travaux le poids à ses yeux excessif accordé par la plupart de ses confrères au prix unique du carbone et regrette les conséquences de cette quête sur l'efficacité des politiques climatiques.
Dominique Pialot
La recherche d'un prix unique du dioxyde de carbone affaiblit les politiques climatiques
La recherche d'un prix unique du dioxyde de carbone affaiblit les politiques climatiques (Crédits : YVES HERMAN)

La plupart des acteurs économiques et des observateurs avertis plaident de longue date pour une tarification du carbone, qui plus est à un prix unique. Si l'on voit se multiplier ces dernières années les initiatives locales, parfois à grande échelle comme dans le cas de la Chine qui doit étendre son marché d'échange de quotas à l'échelle nationale dans les prochaines années, ce Graal du prix unique apparaît de plus en plus clairement hors de portée. Pour Antonin Pottier, ancien élève de l'École normale supérieure et chercheur au Cerna à l'École des Mines de Paris, , auteur de « Comment les économistes réchauffent la planète » au Seuil, l'hégémonie du prix unique du CO2 dans les théories économiques est très dommageable.

Un débat pollué

« La littérature économique donne l'impression que la seule action envisageable pour réduire au moindre coût les émissions de gaz à effet de serre est d'envoyer un signal-prix, de mettre un prix sur le CO2, et que ce doit impérativement être un prix unique partout et pour tous les secteurs », assène d'emblée le chercheur.

« C'est quasiment un dogme, une proposition obligée qui pollue le débat », regrette-t-il.

Pourtant, le prix du CO2 n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique climatique. D'autres signaux seraient envisageables en matière d'information, de mobilisation des citoyens, de normes, de financement des investissements.

« Mais ils sont passés sous silence ou marginalisés », regrette-t-il.

« Dans l'efficacité énergétique, des investissements qui seraient rentables dès aujourd'hui ne sont pas faits », observe-t-il.

Ce qui prouve s'il en était besoin que ce n'est pas qu'une question de prix, mais aussi des politiques de formation, de constitution de filières artisanales et industrielles, des mécanismes de financement.

Un accord de Paris polycentrique

Pourtant, certaines choses évoluent dans le bon sens. Ainsi, la prise en compte de co-bénéfices, par exemple en matière de santé, de morts évitées, émerge peu à peu dans le débat et la lutte globale contre le changement climatique a aussi des conséquences locales positives, par exemple sur la qualité de l'air.

Les négociations onusiennes elles-mêmes ont changé de nature avec l'accord de Paris. Le protocole de Kyoto (1997) était fondé sur une approche centralisée. Par des échanges de quotas, il cherchait à répartir les efforts dans les pays où la baisse des émissions était la moins coûteuse. Mais il ne concernait que les pays développés (encore que les États-Unis ne l'aient jamais ratifié), et les pays en développement n'ont pas accepté d'étendre cette contrainte à leurs émissions.

« L'accord de Paris repose plutôt sur une approche polycentrique, souligne Antonin Pottier. Tout le monde participe avec le niveau d'effort qu'il est prêt à faire. L'enjeu est de bâtir une dynamique où le niveau d'effort s'élève progressivement pour atteindre les objectifs. »

Des alternatives au prix unique

Tout n'est pas parfait pour autant.

« Si la participation est universelle, on observe un écart entre les objectifs et les actions menées, à un double niveau », regrette-t-il.

D'une part entre les contributions annoncées par les États et ce qui serait nécessaire pour rester sous la barre des 2°C, mais aussi entre les contributions et les actions mises en œuvre.

« Les trajectoires d'émissions ne suivent pas les réductions prévues », conclut-il.

Quant au prix unique du CO2 préconisé par les économistes, il se heurte à des obstacles, notamment politiques. « Faut-il continuer à répéter cette proposition qui a peu de chance d'être mise en œuvre ou tenter de faire différemment ? », s'interroge le chercheur.

Le marché européen des quotas (ETS) a montré ses limites, notamment pour gérer les imprévus tels que la crise économique de 2008, qui a généré une surabondance de quotas sur le marché et donc un effondrement du cours de la tonne.

« Quant à l'éventualité d'une taxe, le niveau nécessaire à moyen terme pour rester sous la barre des 2°C est très élevé, souligne Antonin Pottier. Cela sera politiquement d'autant plus difficile à faire accepter que cela génère des transferts de revenus importants qui ont un fort impact distributif. En théorie, on sait comment le compenser, mais en pratique c'est compliqué », met-il en garde.

Il soulève une question d'une autre nature : « sur un plan légal comment garantir l'évolution d'un prix sur « à ou 40 ans ? »

Cohabitation de facto de divers mécanismes

Pour autant, la conjonction de certains mécanismes aboutit de facto à des prix différenciés.

« Avoir une pluralité de dispositifs, des mélanges de normes, de taxes et de dispositifs incitatifs conduit à des différences entre le surcoût dû à la tonne de CO2 évitée, détaille Antonin Pottier. Mais ce n'est pas forcément un problème. On peut même imaginer des prix différenciés selon les secteurs, en fonction de leur vitesse de réaction », affirme-t-il.

En revanche, la question qui se pose est de savoir comment coordonner ces différents dispositifs à l'échelle nationale et à l'échelle internationale pour suivre les trajectoires d'émissions promises.

Les États poursuivent déjà plusieurs objectifs de concert, comme l'illustre parfaitement l'objectif européen 3X20 qui vise à la fois une baisse des émissions de gaz à effet de serre, une part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et une diminution de la consommation.

« D'une certaine manière, les États européens complètent le signal prix (faible) envoyé par le marché EU-ETS par d'autres politiques, » commente l'économiste.

Attention au ras-le-bol fiscal

Les acteurs infranationaux, notamment les territoires, sont moins sensibles au dogme du prix unique que le gouvernement national.

« Puisqu'ils ne détiennent aucun instrument prix, ils doivent trouver d'autres outils pour mobiliser leurs administrés », explique Antonin Pottier.

Les initiatives locales sont d'autant plus importantes qu'elles donnent de la fierté aux habitants.

« Cela leur donne envie de continuer, d'aller plus loin, c'est pourquoi l'enjeu est de parvenir à convaincre les parties prenantes de la valeur intrinsèque de la transition énergétique », insiste-t-il.

« Il faut que cela vienne des gens, et pas que ce soit seulement une réaction à un signal prix, d'autant plus qu'on observe que certaines motivations extrinsèques, notamment financières, peuvent venir affaiblir les motivations intrinsèques. »

À ce sujet, l'économiste met en garde :

« Sans motivations intrinsèques, l'imposition d'un signal prix élevé se traduira par "ras-le-bol fiscal" ».

Dominique Pialot
Commentaires 38
à écrit le 09/02/2018 à 12:48
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L’utopie d’une valeur mondiale unique des émissions de gaz carbonique, repose sur deux erreurs conceptuelles principales. La première est que nous ne savons pas de façon précises quels sont les moteurs du changement climatique. La sous évaluation mas...

à écrit le 06/02/2018 à 10:10
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C'est d'ailleurs la base de toute cette fable du rechauffement du à l'activité humaine. Cette escroquerie qui consiste à taxer le carbone émis est l'aboutissement d'un plan conçu des 1987 lorsque le World Wilderness Commitee s'est transformé en banqu...

le 08/02/2018 à 11:15
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et? La planète ne se réchauffe pas et le lobby pétrolier, du charbon et des gaz, si faibles, sont enchantés de la future réduction de leurs revenus! C'est vrai que Total, BP, Texaco sont des entreprises fort peu influentes! Ah non, le dérèglemen...

à écrit le 06/02/2018 à 9:28
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L'auteur a tout à fait raison de mettre en garde sur la dictature du prix du carbone.Pourquoi un prix carbone? C'est la résultante d'une politique inéfficace de lutte contre l'effet de serre et le changement climatique. Cette politique ne consiste à ...

à écrit le 06/02/2018 à 1:42
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"Jeune chercheur en économie à l'École des Mines ParisTech", l'économie n'étant pas une science, un "chercheur en économie" ne peut exister dans le sens scientifique du terme. Autant parler de "chercheurs en astrologie". Les conclusions du "chercheur...

à écrit le 05/02/2018 à 23:09
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L'escroquerie du siecle: il ya quelques jours j'ai contacte ECOCERT pour des infos sur un audit "BIlan Carbone".Je suis viticulteur. J'ai ete mis en relation avec une societe qui se propose - moyennat finance bien sur - de m'auditer. Ma premiere qu...

le 08/02/2018 à 11:22
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la vigne stocke zéro carbone en comparaison d'une prairie sauvage ou d'une forêt. Débroussailler pour planter une vigne, c'est un bilan carbone négatif. Sans parler du gasoil ou des désherbants, des fongicides. Sauf si vous évitez des imports d'Afri...

à écrit le 05/02/2018 à 18:07
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Tout à fait d’accord avec cette analyse. Les vrais problèmes environnementaux que sont, la pollution des mers et des rivières, la déforestation des grandes forêts sud-américaines, le trafic, toujours plus dense des marchandises lié au principe du flu...

à écrit le 05/02/2018 à 17:19
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tout le monde applaudit à l'air pur , l'eau transparente , le jardin d' Eden . Hic , la croissance démographique va démentir toutes ces élucubrations et ce d'autant plus que les nouveaux entrants souhaitent consommer ... les termites sapent tout et n...

à écrit le 05/02/2018 à 16:53
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Septembre 2017 : L’affaire a été baptisée l'« escroquerie du siècle ». Des peines allant jusqu’à neuf ans de prison et un million d’euros d’amende ont été prononcées ce mercredi à Paris dans le procès « Crépuscule », une gigantesque fraude à la TV...

à écrit le 05/02/2018 à 14:52
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Total vient de trouver de nouveaux gisements de pétrole, ....les Russes chez eux idem en plus du gaz....les bagnoles hybrides sont hors de prix et on nous bassine avec le carbone et la pollution....de la tartufferie mais au passage le quidam passe à ...

à écrit le 05/02/2018 à 13:47
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Pour notre pays une question essentielle se pose la taxe carbone est elle une ligne budgétaire face à l'impossibilité de réduire notre dépense publique. Le budget 2018 en est une preuve l'augmentation la taxe sur le diesel nommée avec beaucoup d'hyp...

à écrit le 05/02/2018 à 13:23
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Le modele incitatif existe deja, ce sont les CEE. Si vous avez un projet d'investissement residentiel qui vous fait economiser de l'energie, vous y avez droit. C'est encore peu, mais ca existe et ca va sans doute accelerer.

à écrit le 05/02/2018 à 12:28
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Article intéressant, même si cela parait quasiment insoluble, voir désespérant. Cela renvoie aux constats et aux propositions de la commission Stern-Stiglitz (https://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/videos/view/645). Voir aussi document de présentation ...

le 05/02/2018 à 20:56
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Commentaire judicieux. :-) Ce que je constate néanmoins c'est que la réalité est tellement différente d'un pays à l'autre. Les diverses hausses du prix du pétrole à la pompe qui ont eu lieu aux USA ces dernières décennies n'ont affectées la c...

à écrit le 05/02/2018 à 11:37
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les scientifiques affirment. le trou dans la couche d ozone diminue au dessus de l Antarctique de 20% et cella depuis 2005 ! ! et nos flibustiers de la politique continuent de tromper les gens... ne sont plus crédible

à écrit le 05/02/2018 à 11:37
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les scientifiques affirment. le trou dans la couche d ozone diminue au dessus de l Antarctique de 20% et cella depuis 2005 ! ! et nos flibustiers de la politique continuent de tromper les gens... ne sont plus crédible

le 05/02/2018 à 13:09
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Mais quel rapport entre le trou de la couche d’ozone (dû à l’utilisation de certains fluides frigorifiques, interdits depuis 20-30ans) et le réchauffement climatique (dû entre autres à l’usage des énergies fossiles) ?

le 05/02/2018 à 20:22
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Euh... vous êtes juste en retard d'une guerre. La destruction de la couche d'ozone était la bataille environnementale des années 1980-1990, dont la cause n'était pas le CO2 mais les CFC. Et pour le coup, c'est plutôt un contre-ex pour vous, car l'eng...

à écrit le 05/02/2018 à 11:17
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Pour etre dans les clous,il faudrait augmenter la taxe carbone de 8% dans les six mois qui viennent.Le gouvernement,lié par la cop21 sera obligé de le faire.Il n'y a que par la fiscalité qu'on pourra changer les mentalités

le 05/02/2018 à 12:04
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Changer les mentalités ? il faudrait que ceux qui gouvernent montrent l'exemple et ce n'est malheureusement pas pour demain. D'accord roulons moins vite et nous consommerons moins, mais pas comme notre premier ministre, adepte du 80 mais qui s'était ...

le 06/02/2018 à 10:08
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On changera notre monde avec de la recherche fondamentale : stockage de l'électricité, moteurs zéro gravité ou du carburant à base de lisier de porc (rêvons). L'arrêt des guerres, de la corruption, de la pollution de notre planète et de sa sur-exploi...

à écrit le 05/02/2018 à 10:07
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Avec ce marché du carbone qui enrichit certains nous ne traitons que des conséquences. Une solution consisterait à accroitre les prix au niveau mondial du charbon, du pétrole et du gaz, solution qui donnerait des marges pour des études fondamentales ...

le 05/02/2018 à 10:29
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"excepté peut être le solaire thermique assez peut utilisé" C'est en effet une bonne pratique peu utilisée maintenant il y a bien mieux à savoir les éolienne marée motrice et off shore, elles ne génèrent que très peu de pollution à la fabrication...

à écrit le 05/02/2018 à 10:00
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le raz le bol fiscal est déjà là !! La dictature écolo nous contrarie ( pour rester poli et politiquement correct!!!!!)

à écrit le 05/02/2018 à 9:45
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En tant que béotien moyen, je cherche à savoir à qui la taxe carbone est versée. Et pour quel usage? Et comment contrôle t-on, son usage? Je me souviens d'une vignette automobile sensée aider les vieux et dont le rôle avait été détourné par l'état. C...

le 05/02/2018 à 11:59
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exat voila la question , a quoi vas servir cette taxe, qu il vont taxe aussi le kerosene qui pollue le ciel de plus en plus ,est qui vas gerais cette argent collecte, moi j aimerais les entendre dire qu il replante des forets d arbres qui fabrique d...

le 05/02/2018 à 18:21
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@ en chemin Suivez ce lien et vous comprendrez mieux l’imposture. Ces quelques extraits sont une tres bon résumé à la question que vous posez "Non seulement inefficace pour réduire la production de GES, le marché du carbone est aussi nuisible de ...

à écrit le 05/02/2018 à 9:35
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L’auteur n’apporte pas d’argument précis contre la taxe carbone qu’il critique, et pas de solution alternative. Quel est le but de cet article ?

à écrit le 05/02/2018 à 9:34
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Ils ni a pas d énergie propre ils y a des impots la seule énergie propre c est de riant consommé leS bâches de gâcher du carbone qu and je Pete c est du carbone alors ??

à écrit le 05/02/2018 à 9:25
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Merci pour cette excellente analyse qui sort des messes habituelles néolibérales. "En théorie, on sait comment le compenser, mais en pratique c'est compliqué" Traduction: Parce que en théorie les riches doivent des payer des impôts mais en pra...

le 05/02/2018 à 13:13
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La taxe carbone n’est pas un impôt pour les riches ou les pauvres mais pour tout le monde (enfin surtout les pauvres, en proportion). Et le risque de fuite n’est pas vers les paradis fiscaux mais vers les pays à la réglementation environnementale pl...

le 05/02/2018 à 14:31
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"La taxe carbone n’est pas un impôt pour les riches ou les pauvres mais pour tout le monde (enfin surtout les pauvres, en proportion)." Surtout pour les propriétaires de capitaux gros producteurs de carbone, un milliardaire ayant des actions dans...

à écrit le 05/02/2018 à 8:06
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Suite. Cette augmentation du prix de l'énergie serait favorable au climat (l'écologie), mais serait aussi favorable à l'économie avec la réduction du chomage et du taux de croissance de l'économie.

le 05/02/2018 à 10:55
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C’est bien d’employer le conditionnel, car à ce stade, selon ce à quoi l’on croit, l’on est finalement sûr de rien !!!

à écrit le 05/02/2018 à 7:52
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Le problème n'est pas de taxer l'énergie, mais de répartir les charges sociales sur le travail et sur l'énergie, à NIVEAU CONSTANT. Voir la note n°6 du CAE. Qui arrivera à le comprendre! Cela implique d'utiliser la notion de "double dividende". Les F...

le 05/02/2018 à 10:02
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Et vous, seriez vous capable de traduire pour les non initiés ???

le 05/02/2018 à 17:20
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A man x. Merci de votre attention. Je pense que vous évoquez la notion de double dividende. Il faut lire Mireille Chiroleux Assouline pour cela. Mais je pense que cette notion de double dividende correspond à des synapses du cerveau situées dans des ...

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