Guerre en Ukraine : cet « ouragan de famines » et ces émeutes de la faim dans le monde que redoute l'ONU

En raison du blocage de productions agricoles en Ukraine et Russie, la guerre pourrait provoquer un effondrement du système alimentaire mondial" et frapper "le plus durement les plus pauvres et semer les germes de l'instabilité politique et de troubles dans le monde entier", a mis en garde lundi le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. Quarante-cinq pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie et 18 de ces pays en importent au moins 50%. "Les prix des céréales ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim de 2007-2008", fait valoir l'ONU.
Giulietta Gamberini
Face à cette menace, en France, les appels à produire plus se multiplient. Mais les ONG craignent un affaiblissement de la protection de l'environnement et de la résilience de l'agriculture française.
Face à cette menace, en France, les appels à produire plus se multiplient. Mais les ONG craignent un affaiblissement de la protection de l'environnement et de la résilience de l'agriculture française. (Crédits : Reuters)

Les mots utilisés par le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, sont sans doute les plus forts.

"L'Ukraine est en feu" et "le pays est en train d'être décimé sous les yeux du monde (...). Nous devons faire tout notre possible pour éviter un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial", a-t-il déclaré à New York, lundi 14 mars en fin de journée.

Mais depuis le début du conflit, la crainte que la guerre engagée par la Russie en Ukraine affecte profondément la sécurité alimentaire mondiale est soulignée par de nombreux responsables politiques et institutionnels.

"La guerre en Ukraine signifie la faim en Afrique", a déploré dimanche la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, sur CBS News.

"L'Europe et l'Afrique seront très profondément déstabilisées sur le plan alimentaire, il nous faut donc là aussi nous préparer", avait pour sa part déclaré vendredi 11 mars Emmanuel Macron à l'issue d'un G7 à Versailles.

Si les chamboulements liés à la guerre devaient durer, en 2022/2023, "le nombre global de personnes sous-alimentées pourrait augmenter de 8 à 13 millions", a calculé dimanche l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO). Elles viendraient s'ajouter aux quelque 800 millions de personnes souffrant déjà de la faim en 2020.

Lire: Guerre en Ukraine: 13 millions de personnes de plus menacées de sous-nutrition

 Des prix qui flambent

"Greniers du monde", la Russie et l'Ukraine représentent en effet à elles deux un tiers des échanges de blé mondiaux, et sont aussi d'importants exportateurs d'autres céréales telles que le maïs, des oléagineux et autres intrants essentiels pour l'agriculture intensive, comme les engrais. Or, le conflit, non seulement perturbe le transport de ces marchandises, mais met aussi en danger les productions à venir. Au niveau international, le contexte est donc particulièrement propice pour une double crise d'accès à ces denrées : une crise physique, à cause de la raréfaction des échanges, mais aussi financière puisque la rareté est source d'inflation.

Leurs prix commencent d'ailleurs déjà à flamber, sous l'effet d'une réaction spéculative des marchés boursiers qui anticipent des pénuries, et risquent de se répercuter sur ceux d'autres produits : de la viande notamment puisqu'une partie des produits ukrainiens et russes étant destinés à l'alimentation animale, mais aussi d'autres aliments, à cause de l'inflation des intrants agricoles.

"L'indice mondial des prix des denrées alimentaires de la FAO est à son plus haut niveau jamais enregistré", a noté Antonio Guterres.

Avec le risque associé de désordres politiques et sociaux aux répercussions mondiales:

"Les prix des céréales ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim de 2007-2008", a encore souligné le secrétaire général de l'Onu.

Les pays plus fragiles davantage touchés

Les régions les plus concernées seraient l'Asie-Pacifique, l'Afrique subsaharienne, le Proche-Orient et l'Afrique du Nord, selon la Fao, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Et les pays les plus touchés seront à l'évidence les plus fragiles, historiquement importateurs nets de céréales pour des raisons climatiques, et souvent très endettés.

Au total, "45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie - 18 de ces pays en importent au moins 50%. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l'Egypte, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen", a précisé le chef de l'ONU.

Mais les effets se feront sentir aussi dans l'Union européenne, laquelle, grâce à ses stocks, est exportatrice nette de céréales et de viandes. Car, si l'UE n'est pas exposée au risque de pénuries, l'inflation pèsera sur les prix alimentaires, en renforçant la précarité des ménages déjà en difficulté.

"La guerre en Ukraine va avoir un très gros impact", a estimé lundi sur Cnews le président du comité stratégique E.Leclerc, Michel-Edouard Leclerc.

Lire: Après l'énergie, l'inflation frappe les produits de grande consommation

Les appels à produire plus

Face à cette menace, en France, les appels à produire plus se multiplient, portés notamment par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea), mais repris aussi par le gouvernement. Il s'agit d'une part d'assurer "la mission nourricière" de l'Europe, d'autre part de gagner une guerre géostratégique autour du blé avec la Russie, a encore une fois plaidé le ministère de l'Agriculture français lundi.

"Vous avez une stratégie d'influence menée par la Russie depuis plus de vingt ans pour mettre plus d'emprise sur ces pays - le Liban, l'Égypte, le Maroc - vis-à-vis du blé", a déclaré Julien Denormandie sur France Inter. "Il faut absolument que l'Europe se remette dans une démarche de se repositionner sur ces pays-là. Ça veut dire accroître nos productions (...) et regagner ces relations avec ces pays sur un sujet fondamental qui est le sujet alimentaire", a expliqué le ministre.

Lire: « Avec l'arme militaire, la Russie détient l'arme alimentaire » Henri Biès Peré, FNSEA

Une approche qui impliquerait toutefois un assouplissement des normes environnementales européennes qui contraignent la production agricole, et que l'Union européenne, dans sa stratégie Farm to Fork, veut renforcer à l'horizon 2030, s'inquiètent les organisations environnementales. Julien Denormandie s'est d'ailleurs dit favorable à la mise en culture "pendant une période donnée" de terres aujourd'hui laissées en jachère au nom de la préservation des sols et de la biodiversité, afin de produire davantage de protéines végétales (soja, pois, féveroles...). Un discours qu'il défend à Bruxelles.

Selon les défenseurs de l'environnement, à moyen-long terme, le danger est ainsi de continuer de polluer l'environnement, émettre des gaz à effet de serre et mettre la biodiversité en danger sans pour autant corriger, mais plutôt en aggravant, les principales causes de la faim dans le monde : l'industrialisation de l'agriculture et la mondialisation des marchés. Ils craignent également que la résilience du système agricole français en sorte affaiblie plutôt que renforcée, la recherche de productivité étant associée à la dépendance des importations.

Lire: Pour ou contre : avec la guerre en Ukraine, l'agriculture française doit-elle produire plus ? Henri Biès-Péré (FNSEA) face à Claudine Foucherot (I4CE)

Garder le sang froid

L'espoir pour le moment est aussi que les divers pays conservent leur sang froid.

"Si tout le monde pense à soi dans cette situation, cela va encore aggraver la crise et conduire à une nouvelle flambée des prix", a noté le 11 mars le Ministre fédéral allemand de l'Alimentation et de l'Agriculture, Cem Ozdemir, à l'issue de la réunion du G7.

Les pays membres (États-Unis, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Japon, Canada) ont d'ailleurs promis que, malgré la tentation de certains pays exportateurs de garder pour eux leur production, ils éviteront toute mesure restrictive des exportations. Ils ont demandé à la communauté internationale de faire de même.

Tout le monde ne les suivra pas. L'Argentine a d'ailleurs déjà annoncé, dimanche soir, la suspension de ses nouvelles exportations de farine et d'huile de soja, dont elle est première exportatrice mondiale, afin de protéger ses prix alimentaires intérieurs et d'imposer plus facilement par la suite des augmentations des taxes à l'exportation. Et mardi, la Russie, où les prix flambent aussi, a restreint les exportations de céréales vers quatre républiques ex-soviétiques (le Kazakhstan, le Bélarus, l'Arménie et le Kirghizstan) et interdit l'exportation de sucre vers des pays tiers.

Lire aussi 6 mnGuerre en Ukraine : « En France, ce sont les éleveurs qui vont surtout souffrir »

Giulietta Gamberini
Commentaires 23
à écrit le 16/03/2022 à 14:08
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Article étonnant, alors qu’au même moment, l’Inde qui est l’un des plus gros producteurs mondiaux de blé est en situation de surproduction et cherche à augmenter ses exportations (source: Reuters).

à écrit le 16/03/2022 à 8:49
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En Occident personne n'a pensé que les sanctions anti-russes pourraient agir comme un boomerang? Je suis inquiet sur le niveau intellectuel de nos dirigeants et de leurs conseillers, sûrs d'eux et dominateurs sauf quand ils rencontrent le Réel!

à écrit le 16/03/2022 à 8:32
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La famine est repartie en hausse dans le monde à partir de 2016.

à écrit le 16/03/2022 à 8:18
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il y aura de la bonne inflation, et de la bonne diminution des echanges commerciaux!!! tout ce que la gauche aime et reclame a longueur d'annee..........enfin, sauf quand elle le subit, ou la, ca devient intolerant et intolerable, donc capitaliste......

à écrit le 15/03/2022 à 22:30
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Notre cause est juste car nous sommes la " vérité ". Assistons au nième désastre de l'axe du bien atlantiste. Après avoir tout pourri partout, créer le terrorisme international, un nouveau " bouillon " de culture en gestation.

à écrit le 15/03/2022 à 21:41
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C’est le petit peuple européen qui paie pour tous ces grands donneurs de leçon de démocratie, tous ces grands intellos redresseurs de tort qui ont tribune ouverte en permanence dans les médias, et aussi surtout pour les bureaucrates va-t-en guerre de...

à écrit le 15/03/2022 à 21:26
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Les français seront les réfugiés de qui ?

à écrit le 15/03/2022 à 20:50
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L'ONU, son FMI n'est jamais très loin, celui qui accorde, dans sa magnificence, des prêts aux pays en échange d'une ouverture de leur marché aux importations vivrières. Les exemples ne manquent pas: Haïti, Ethiopie, Egypte (grenier à blé de l'empire...

à écrit le 15/03/2022 à 20:32
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Emmanuel Todd se lâche : « C'est pourquoi je regarde si attentivement vers l'Ukraine. L'Europe est peut-être allée chercher sa mort en Ukraine. Celle-ci va continuer à se désintégrer et ce sera à cause de l'Europe et non de la Russie. La première ...

à écrit le 15/03/2022 à 19:57
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La propagande pour les pays affiliés à l'OTAN est aussi intense que celle que nous avons vécu avec la "Plandémie covido-vaccinale"... Normal car ce sont les mêmes qui sont "aux manettes" ... Je veux parler des "mondialistes" qui veulent nous condui...

à écrit le 15/03/2022 à 19:48
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Le gouvernement vient de brader tous nos céréales à travers le monde et là ils vont vider ce qui reste de nos cultures à l'Ukraine alors qu'on sait que nous allons très prochainement une pénurie d'alimentation sévère (ne pas oublier non plus que les ...

à écrit le 15/03/2022 à 19:37
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François Asselineau, "MON ANALYSE D'IL Y A 8 ANS ½ Je suggère de (re)visionner la conférence "L'EUROPE C'EST LA GUERRE", que j'ai présentée à Valence le 23 novembre 2013. Malgré la qualité médiocre de la captation, elle vaut particulièrement la p...

à écrit le 15/03/2022 à 19:33
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Quand les occidentaux auront compris que l'argent ne se mange pas, ils percuteront sur le fait qu'entre la Russie et l'Ukraine, c'est poutine qui a les cartes en main. Lui le sait, c'est un maître aux échecs.

à écrit le 15/03/2022 à 18:40
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Si des irresponsables n'avaient pas fait miroiter aux ukrainiens qu'ils rentreraient dans l'OTAN et dans l'UE , on n'en serait pas à tous ces drames . Provoquer un dictateur qui possède l'arme nucléaire quand on est à 10 000 km c'est bien fabriquer u...

le 15/03/2022 à 19:32
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Poutine avait l'intention d'envahir l'Ukraine de toute façon. Il rêve de retrouver la grande Russie.

à écrit le 15/03/2022 à 18:34
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Franchement vu la chute du pouvoir d'(achat des français, ils s'en tapent.

à écrit le 15/03/2022 à 18:33
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Malthus va gagner, Malthus va gagner, Malthus va gagner. On a pas fini de rigoler. Heureusement qu'il ne me este plus que 20/25 ans a tirer, je n'aimerais pas avoir 20 ans aujourd'hui. Plus que jamais 20 ans n'est pas le bel âge (surtout pour les p...

à écrit le 15/03/2022 à 18:18
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Les dix familles les plus riches de France (Arnault, Hermès, Bettencourt, Wertheimer, Pinault, Dassault, Mulliez, Omidyar, Castel, Drahi, ont accru leur fortune de 20% pendant le covid ! Pourquoi ne prouvent-elles pas leur patriotisme et leur empathi...

à écrit le 15/03/2022 à 18:05
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Les dix familles les plus riches de France (Arnault, Hermès, Bettencourt, Wertheimer, Pinault, Dassault, Mulliez, Omidyar, Castel, Drahi, ont accru leur fortune de 20% pendant le covid ! Pourquoi ne prouvent-elles pas leur patriotisme et leur empathi...

le 15/03/2022 à 19:34
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Et vous qu'êtes vous prêt à donner pour aider les autres ?

le 17/03/2022 à 10:42
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Ils ont déjà donné, parait il, pour reconstruire à l'identique une cathédrale.

à écrit le 15/03/2022 à 17:47
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Je pense que les pays ont assez de réserves stratégiques et puis de quel blé parle t on? bétail ou humain? arrêtez d’affoler le monde et developer vos arguments.L’homme à des alternatives au blé pour nourrir ses bêtes.

à écrit le 15/03/2022 à 17:44
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L'ONU n'a pas fait grand chose pour limiter la natalité dans le monde. Maintenant, la planète se retrouve en surpopulation : A qui la faute ?

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