Guerre en Ukraine : comment le Kremlin organise la "russification" des régions occupées

La Russie poursuit une stratégie planifiée pour progressivement étendre sa zone d'influence à l'Est et au sud de l'Ukraine. Elle le fait au travers de divers leviers qui traduisent une vision à long terme du plan de Vladimir Poutine. Décryptage.
Vladimir Poutine face aux journalistes lors du Caspian Summit à Ashgabat.
Vladimir Poutine face aux journalistes lors du Caspian Summit à Ashgabat. (Crédits : Reuters)

Plus de cinq mois après le début du conflit en Ukraine, Moscou imprime sa marque pour rendre sa domination économique incontournable. En lançant son offensive le 24 février dernier, Vladimir Poutine affirmait pourtant que son pays n'occuperait pas l'Ukraine. Depuis, le Kremlin se borne à dire que les habitants choisiront leur avenir, laissant entendre ainsi être favorable à un référendum pour organiser une annexion, comme cela avait été le cas en Crimée en 2014.

  • Contrôler les voies commerciales

Au travers de son "opération spéciale", Vladimir Poutine cherche d'abord à construire de nouveaux axes d'échanges commerciaux et, avec eux, de nouvelles zones d'influence. Dès lors, le blocage des ports ukrainiens pour stopper les échanges pratiqués auparavant et en imposer de nouveaux fait sens.

Désormais, les industriels du sud et de la région du Donbass doivent exporter leurs productions principalement vers la Russie et la Bélarussie.

« Le plus facile, le moins cher, ce serait des exportations via le territoire du Bélarus, de là on peut aller vers les ports de la Baltique, puis vers la mer Baltique et ensuite n'importe quel endroit dans le monde », avait indiqué Vladimir Poutine.

Cette nouvelle zone se créé à partir des zones occupées par l'armée pro-russe en Ukraine. Par exemple, le "ministère" de l'Intérieur, autoproclamé, de la région de Kherson, occupée depuis mars par les troupes russes, a indiqué que des bus relieraient désormais les villes de Kherson et Simféropol, la capitale de la Crimée, péninsule ukrainienne annexée par la Russie en 2014.

Un nouveau maillage doit s'organiser pour faciliter les échanges. Des bus relieront aussi à partir du 1er juillet Simféropol aux villes conquises de Mélitopol et Berdiansk, dans la région ukrainienne de Zaporijjia, partiellement occupée par l'armée russe. Et une ligne ferroviaire fonctionnera entre la ville criméenne de Djankoï et celles de Kherson et Mélitopol.

"La sécurité des transports sera assurée par Rosgvardia", la garde nationale russe, a précisé le ministère autoproclamé dans un communiqué.

  • Bâtir une ère d'influences économiques

Alors que tous les pays ne sont pas alignés sur la position occidentale de sanctionner la Russie pour son agression, tels la Chine, l'Inde, la Turquie et certains Etats africains, Vladimir Poutine compte bien accentuer cette nouvelle donne géopolitique.

A l'image d'un premier navire, chargé de 7.000 tonnes de céréales, protégé par la marine russe qui a quitté le port ukrainien de Berdiansk occupé par la Russie, mais se dirigeant vers des "pays amis". Alors que la crise alimentaire sévit dans de nombreux pays sans ressources agricoles, le Kremlin utilise cette manne pour renforcer ses liens.

Réagissant aux accusations des Occidentaux de provoquer de graves blocages, Vladimir Poutine a d'ailleurs opposé d'autres voies d'échanges possibles, tels un transport sur le Danube "via la Roumanie", mais aussi "via la Hongrie" ou "via la Pologne". Des pays qui sont aujourd'hui membres de l'Union européenne, et, prochainement, de la zone euro.

Pour les pays baltes avec une façade maritime importante, l'enjeu semble différent pour Moscou qui accentue sa pression sur la Lituanie, pays membre de l'OTAN.

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  • Implanter un rouble compétitif au quotidien

"Maintenant, on peut tout acheter à la fois en rouble et en hryvnia", la monnaie ukrainienne, se félicite un responsable prorusse. De même, selon l'administration d'occupation, une première banque russe a même ouvert mercredi à Kherson. Il s'agit d'une agence de Promsvyazbank, une banque privée connue pour financer le secteur de la défense et se trouvant sous sanctions occidentales.

Une banque basée en Ossétie du Sud, république séparatiste géorgienne reconnue comme indépendante par Moscou, a toutefois ouvert une succursale où les entrepreneurs peuvent ouvrir un compte en monnaie russe.

En Russie, l'administration s'est dite prête à intervenir sur le marché des changes et affaiblir sa monnaie, le rouble, au plus haut depuis 2015, a déclaré mercredi son ministre des Finances.

Or, un rouble fort mine les exportateurs et les revenus du budget russe. Si Moscou souhaite étendre sa zone d'exportations privilégiée, elle doit maintenir sa devise à des niveaux attractifs pour ses nouveaux partenaires.

Pour y parvenir, il s'agirait d'acheter des devises de pays jugés "amicaux" pour affaiblir le rouble face aux monnaies étrangères, y compris le dollar et l'euro. Le dollar valait plus de 80 roubles avant le début de l'intervention militaire en Ukraine fin février, il n'en vaut désormais plus que 52. Mercredi matin, le billet vert s'est même négocié à moins de 51 roubles, du jamais-vu depuis le printemps 2015.

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  • Transfert de minima sociaux

Moscou veut aussi apparaître comme un pays protecteur auprès des populations slaves conquises. Sur Telegram, l'administration d'occupation de la région de Kherson a elle annoncé l'ouverture mercredi du Fonds de pension de la Fédération de Russie, chargé du versement des retraites.

Selon un responsable pro-russe, la ville de Berdyansk a reçu environ 90 millions de roubles (1,5 million d'euros) d'aide financière de la Russie. En revanche, les employés municipaux sont encore payés en hryvnia et retirer des roubles aux distributeurs automatiques est impossible.

En Russie, Vladimir Poutine mène une politique intense de soutien de l'économie, visant notamment à baisser les taxes et à augmenter les minimas sociaux pour s'assurer l'adhésion de la population.

  • De nouvelles identités

 Un service d'état civil obéissant "aux standards de la Russie" a également ouvert ses portes à Kherson pour enregistrer les naissances, les décès et célébrer les mariages, selon la même source.

"Les services ne s'adressent pas seulement aux ressortissants russes, mais aussi à tous ceux qui n'ont pas encore eu le temps de faire la demande de citoyenneté russe", a indiqué l'administration, qui depuis le 11 juin délivre des passeports russes.

  • Education et contrôle de l'opinion

A Melitopol, le Service fédéral russe de supervision de l'éducation a commencé à remettre aux lycéens leurs certificats de fin de scolarité, selon l'administration d'occupation, citée par l'agence Ria Novosti.

A cela s'ajoutera la contrôle des opinions comme en Russie où les voix critiques du régime sont réprimées. Mais une participation démocratique est bien prévue, celle portant sur l'annexion de ces régions par la Russie. Le chef adjoint de l'administration d'occupation de Kherson, Kirill Stremooussov, a réaffirmé mercredi sur Telegram qu'un tel vote était en préparation, sans donner de calendrier.

Face à l'entreprise de russification, plusieurs attentats ont visé dans la région ces dernières semaines des représentants acquis au Kremlin. Le 24 juin, un responsable prorusse a été tué à Kherson dans l'explosion de sa voiture, un acte qualifié de "terroriste" par Moscou.

(Avec AFP)

Commentaires 5
à écrit le 02/07/2022 à 13:58
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sauf que la Russie a accepté la demande des populations PRO RUSSES de les protéger

à écrit le 30/06/2022 à 20:20
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Bonjour, Occupée un pays hostile n'est pas simple... Ils est peux probable que cela se passe bien.... Même dans le Dombasle....

à écrit le 30/06/2022 à 18:40
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Il est vrai que dans des regions russophones, comme la crimée dont 90% au moins de la population parle le russe comme langue maternelle, cela doit être un exploit de russifier. Pour apprendre des maîtres il faudrait regarder ce qu'a fait la France...

à écrit le 30/06/2022 à 15:35
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,Le problème dans la propagande c'est que nous n'avons qu'un seul "son de cloche" donc comment se faire un avis éclairé?

le 02/07/2022 à 14:04
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tout individu normalement pourvu de réflexion doit être capable de faire le tri entre le vrai et le faux et se faire une opinion différente de ce que l'on veut nous faire avaler

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