La pandémie a anéanti l'héritage économique de Donald Trump

SPECIAL ELECTIONS AMERICAINES. Les "Trumponomics" ont été chamboulés par la pandémie de coronavirus. La politique économique du président républicain sortant, centrée sur le protectionnisme et la baisse de la fiscalité, n'a pas vraiment permis de faire revenir les usines aux Etats-Unis. A quelques jours d'un scrutin historique, Donald Trump se retrouve dans une situation très délicate.
Grégoire Normand
(Crédits : KEVIN LAMARQUE)

La pandémie planétaire a fait disjoncter l'économie américaine. En seulement quelques semaines, les piliers les plus solides de la grande puissance planétaire ont vacillé mettant au chômage des millions d'Américains. C'est tout simplement la plus grande crise depuis 1929 et la Grande dépression. Malgré cette crise hors-norme, le président américain assurait fin août que "nous allons reconstruire la plus forte économie de l'Histoire". Face à la recrudescence de l'épidémie, les électeurs indécis pourraient se détourner du vote républicain le 3 novembre prochain.

En attendant, celui qui promettait de rendre l'Amérique à nouveau grande avec son fameux slogan "Make america great again" lors de sa campagne de 2016 se retrouve avec une économie en lambeaux en dépit des centaines de milliards de dollars injectés. Quel héritage Donald Trump laisse-t-il après son mandat tonitruant à la Maison Blanche ? Dans quel état se trouvent les Etats-Unis à l'issue de son mandat ? S'il ne peut pas être responsable de tous les dégâts et de tous les maux, sa politique économique risque de laisser des traces. Entre regain de protectionnisme, baisses massives d'impôt et  dérégulation des marchés financiers, les "trumponomics" vont marquer l'histoire économique outre-Atlantique.

En 2020, l'économie américaine plongée dans le chaos

La propagation du virus sur l'ensemble du territoire américain a provoqué un véritable électrochoc au printemps. Si le président milliardaire a laissé la priorité à l'activité économique, cela n'a pas empêché une hécatombe dans la population américaine, ni une récession violente. Selon les dernières perspectives du Fonds monétaire international (FMI), la croissance outre-Atlantique plongerait de 4,3% cette année et devrait rebondir à 3,1% l'année prochaine. L'Amérique de Trump montre sur ce point une meilleure résistance que l'économie européenne (-8,3%) mais les conséquences d'une telle récession risquent de perdurer. "L'économie américaine comme la plupart des économies développées est entrée dans une récession historique. Sur le second trimestre, il y a une baisse de l'ordre de 30% en rythme annuel, soit 9% en rythme trimestriel. Le premier semestre enregistre une baisse du PIB de 10%. 90% de la population américaine étaient dans une zone concernée par des mesures de confinement" explique Christophe Blot, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) interrogé par La Tribune.

Sur les perspectives, beaucoup d'incertitudes persistent quant à l'évolution de cette maladie infectieuse. "Initialement, les autorités américaines avaient prévu une reprise en V. En ce moment, il est vrai que l'économie américaine se rétablit plus vite que prévu. Le rebond de l'activité attendu au T3 est de 30% en rythme annuel. Cela pourrait être un argument pour Trump. Le retour à la situation avant covid-19 devrait cependant mettre du temps" ajoute le chef économiste de Saxo Bank Christopher Dembik.

Une chute historique de l'emploi et une flambée du chômage

Les chiffres de la crise donnent le vertige. En mars dernier, le taux de chômage au sens du Bureau international du Travail (BIT) a atteint 14,7% de la population active. C'est un record depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Si le chômage est redescendu depuis à 7,9% en septembre dernier, il demeure à un niveau inédit depuis 2013. Et surtout, c'est un taux qui n'a a été franchi que trois fois depuis les années 80. Pour des millions d'Américains, cette chute brutale de l'activité risque de laisser des traces. Même si l'emploi a repris des couleurs au cours de l'été, il est loin de retrouver la trajectoire dessinée avant la crise de 2020. "Il y a un problème de collecte de données. Le taux de chômage devrait être autour de 11%. C'est un élément biaisé. Beaucoup d'Américains sortent des statistiques. Contrairement à la crise de 2008, le marché du travail devrait mettre du temps à se remettre" explique l'économiste de Saxo.

Récemment, de grandes multinationales ont annoncé des coupes sévères dans leurs effectifs. Disney, American Airlines et United Airlines ont annoncé à elles seules 60.000 licenciements en 24 heures, accentuant une déferlante de plans sociaux à l'approche de la présidentielle américaine. D'autres géants ont néanmoins tiré leur épingle du jeu. Avec l'explosion du commerce en ligne, Amazon a annoncé la création de 100.000 postes en septembre.

Des revenus en hausse malgré la crise

Malgré l'effondrement brutal de l'économie au printemps, le revenu des Américains a progressé en moyenne grâce à la mise en oeuvre de plusieurs dispositifs. "Aux Etats-Unis, il n'y a pas eu de chômage partiel. L'Etat fédéral a mis en oeuvre une allocation chômage de 600 dollars par semaine qui venait s'ajouter aux indemnités de chaque état. Par ailleurs, le gouvernement a mis en place des crédits d'impôt pour les individus percevant un revenu annuel inférieur à 75.000 dollars environ. Aux Etats-Unis, les ménages ont gagné des revenus au cours de la crise. Le taux d'épargne était d'environ 7% avant la crise. Il est monté à environ 25%" explique Christophe Blot. Comme en Europe, la montagne d'épargne accumulée pendant la période de confinement suscite de vifs débats. Alors qu'il s'agissait d'une épargne contrainte au printemps, ces milliards se transforment peu à peu en épargne de précaution avec la multiplication des foyers de contamination et le renforcement des mesures de restriction.

En outre, la hausse plus élevée du chômage aux Etats-Unis que dans d'autres pays occidentaux peut s'expliquer par des stratégies gouvernementales différentes. En Europe et au Japon, les gouvernements "se sont concentrés sur le maintien des relations employeur-employé", expliquent les économistes de la Réserve fédérale dans un récent article de blog. "Aux États-Unis, la politique s'est concentrée sur l'octroi de prestations de chômage aux travailleurs mis à pied ou en congé", ajoutent-ils.

L'héritage favorable d'Obama

Alors que la campagne américaine a été chamboulée par la pandémie, Donald Trump a essayé d'occuper le terrain malgré son hospitalisation comme en 2016. Lors de ses meetings, il s'est à nouveau vanté de ses faits d'armes pour l'économie américaine et sur la scène internationale. A y regarder de plus près, si le bilan de l'ancien animateur de téléréalité n'est pas catastrophique, il n'est pas non plus aussi flamboyant qu'annoncé.

D'abord, il faut rappeler que l'actuel président a hérité d'une situation économique relativement favorable. Au moment où Barack Obama a quitté le bureau ovale, le cycle de la croissance était dans une dynamique positive. Le conseiller économique de George W. Bush, Greg Mankiw, avait même déclaré que "l'économie était en excellent état à la fin de l'administration Obama, contrairement à ce qu'affirme Donald Trump". " Avant la crise, la situation était bien plus favorable avec un taux de chômage au plus bas depuis les années 60. La croissance restait dynamique. Les indicateurs de pauvreté étaient au plus bas depuis les années 70. Il faut néanmoins rappeler que lorsque Donald Trump arrive au pouvoir, il y a déjà 7 ans de reprise derrière lui" ajoute Christophe Blot.

En dépit de cette dynamique, Donald Trump n'a pas réussi à tenir la promesse tant répétée de 3% de croissance en rythme annuel. Hormis 2018 où la croissance frôle ce seuil symbolique (2,9%), le PIB de l'économie américaine progresse autour de 2% selon les données de l'OCDE.  Sur le front de l'emploi, les chiffres des premières années du mandat de Trump sont plutôt positifs avec environ 190.000 créations de postes par mois contre 225.000 sous Obama.

Le protectionnisme de Trump chamboule le commerce mondial

Sur la scène internationale, la politique étrangère de Donald Trump marquée par le protectionnisme a secoué les cadres de la diplomatie multilatérale. Déclenchée en 2018, la guerre commerciale entre Washington et Pékin s'est en partie apaisée avec l'accord signé en janvier, qui a demandé à Pékin d'importer pour 200 milliards de dollars supplémentaires de produits américains sur deux ans. Ces importations vont des voitures aux machines-outils en passant par le pétrole et les produits agricoles. Les emplois manufacturiers créés ont certes été un peu plus nombreux au cours des trois premières années du mandat du président républicain, comparé aux trois dernières années de l'ère Obama, selon les données officielles (BLS).

Mais contrairement aux promesses, le président n'a pas fait revenir les usines aux Etats-Unis. Le secteur manufacturier représente aujourd'hui moins de 10% du PIB. "La guerre commerciale a eu des effets ambigus. Des secteurs se sont retrouvés gagnants et d'autres perdants. Les entreprises qui sont intégrées dans la mondialisation et sont dépendantes de la Chine ont pu subir les effets de cette politique de hausse des barrières tarifaires. Certaines multinationales américaines ont pu se détourner de la Chine pour trouver d'autres fournisseurs. Il faut donc prendre en compte les dimensions de redistribution. Le déficit commercial ne s'est pas amélioré par cette guerre commerciale" déclare Christophe Blot.

La baisse de la fiscalité avant tout

Donald Trump a fait de la baisse de la fiscalité sur les entreprises un des piliers de sa campagne présidentielle en 2016. Le vote en 2017 de cette réforme emblématique a-t-il eu les effets escomptés ? "Le problème de cette réforme est que c'était du 'one shot'. L'idée de Trump était de permettre aux entreprises d'investir. Dans les chiffres, il n'y a pas eu vraiment de rebond de l'investissement. C'est un échec. Le problème est qu'il n'a pas eu de vision de long terme. Il ne s'est pas attaqué à la productivité qui est un vrai problème aux Etats-Unis" répond Christopher Dembik. De son côté, Christophe Blot estime que "cette réforme fiscale s'est faite au détriment de la réduction des déficits budgétaires. En 2018, on peut s'interroger sur la pertinence de cette mesure procyclique. Trump a en quelque sorte acheté de la croissance avec des déficits".

La Réserve fédérale à la rescousse

Après une intervention rapide au printemps avec un programme massif de rachats d'actifs (Quantitative easing), la Réserve fédérale s'inquiète à nouveau d'une spirale récessionniste. Selon les membres du comité monétaire de la Fed, les chèques directs envoyés au printemps à une large partie des foyers américains, mais aussi les aides supplémentaires versées aux chômeurs jusqu'à fin juillet, notamment, ont "soutenu la capacité et la volonté des foyers à dépenser".

"Près de 11 millions de personnes sont toujours sans emploi à cause de la pandémie et une bonne partie de ces gens travaillaient dans des secteurs qui sont à la peine. Ces personnes ont besoin d'un soutien supplémentaire", avait souligné le président de la Fed Jerome Powell, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion monétaire en septembre. Il a depuis eu recours à un vocabulaire inhabituellement alarmiste pour alerter contre les conséquences "tragiques" d'une absence d'aides sur l'économie américaine, et donc sur la population.

"La Fed avait remonté un peu ses taux avant la crise et elle les a nouveau abaissé après la crise. Elle s'est relancée dans son programme de rachats d'actifs. La banque centrale a voulu absolument éviter toute rupture de liquidité dans l'économie. L'autre levier est d'accompagner la politique budgétaire" affirme Christophe Blot. Actuellement, de vifs débats font rage outre-Atlantique sur la monétisation de la dette.

Usa: la fed reste prete a reagir face a la crise, assure powell

Le président de la FED Jérôme Powell.Crédits : Reuters.

La hausse spectaculaire des inégalités

Les inégalités au pays de l'oncle Sam demeurent particulièrement criantes. Selon les données issues de l'ouvrage "Le Triomphe de l'injustice" des économistes et enseignants Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, les Etats-Unis semblent être le seul pays parmi les économies développées où les inégalités ont augmenté de façon aussi "spectaculaire" depuis les années 80. Ainsi, les 1% des plus riches détiennent 20% du revenu national brut (RNB) alors que les 50% du bas de la distribution récupèrent 12,7%. Depuis la crise du pétrole de 1973 et l'arrivée de Ronald Reagan à la présidence américaine, les courbes entre les deux groupes se sont clairement inversées. Sur ce point, la réforme fiscale de Donald Trump a renforcé ce système inégalitaire. Pour les classes populaires américaines, ce creusement des inégalités va-t-il vraiment changer la donne ? Rien n'est moins sûr. Le système électoral américain basé sur le principe du "winner takes all" a montré comme en 2016 que le candidat qui remportait le plus grand nombre de voix n'était pas forcément le vainqueur.

Grégoire Normand
Commentaires 6
à écrit le 28/10/2020 à 16:04
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"La pandémie a anéanti l'héritage économique de Donald Trump" On cherche déjà a excuser le mauvais mandat de Biden qui sans héritage n'aura pas de résultat!

à écrit le 28/10/2020 à 11:31
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Les néo-libéraux ont trouvé génial le fait que Trump baisse les impôts et soutienne l'économie qui allait très bien à la fin du mandat Obama à coup d'endettement massif. En fait tant qu'on baisse les impôts c'est génial. Et bien maintenant l'économie...

à écrit le 28/10/2020 à 7:02
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Et pendant ce temps la 5% de croissance depuis septembre en Chine grace a la betise de ceux qui achetent chinois, et ils sont nombreux y compris aux usa.

à écrit le 27/10/2020 à 19:06
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Le seul à s'opposer frontalement aux chinois. Ils ne l'ont pas loupé. Va falloir peut-être penser à leur demander des comptes, un jour ...

le 28/10/2020 à 7:04
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Demander des comptes a la Chine ! Comme vous y allez, vous etes loin de comprendre comment fonctionne un asiatique. Voyagez plus et observez.

à écrit le 27/10/2020 à 18:45
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Il n'y a pas que celui des USA qui est anéanti, en France la Covid a ruiné l'emploi et les finances pour une génération, enterrant probablement beaucoup de projets . Cette pandémie sauf découverte de traitements ou vaccins risque de durer 2 à 3 ans. ...

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