Le marché de l'or de plus en plus sous influence géopolitique

Les incertitudes géopolitiques redonnent au métal jaune un rôle de valeur refuge, en particulier pour les pays émergents. Avec les sanctions occidentales imposées à la Russie depuis son invasion de l'Ukraine, ils veulent moins dépendre du dollar dans la nouvelle séquence de « démondialisation » qui a débuté avec la pandémie du Covid-19.
Robert Jules
Lingots d'or pur à 99,99% produits par la compagnie russe de métaux précieux Krastsvetmet sur son site de Krasnoyarsk, en Sibérie orientale.
Lingots d'or pur à 99,99% produits par la compagnie russe de métaux précieux Krastsvetmet sur son site de Krasnoyarsk, en Sibérie orientale. (Crédits : Reuters)

Les prix de l'or prenaient quelques couleurs en ce début d'année. Ce mercredi, ils progressaient sur le marché de New York de plus de 1%, à 1.859 dollars l'once (31 grammes), soit plus de 5% en un mois, atteignant leur meilleur niveau depuis 6 mois. Une évolution qui reflète son statut de valeur refuge lorsque l'avenir s'assombrit.

Le métal jaune n'a pas pour autant surperformé en 2022, année qui a connu une crise énergétique, une guerre en Europe avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février dernier, et un taux d'inflation inédit depuis la fin des années 1970. En effet, le prix de l'or est revenu pratiquement au même niveau où il se trouvait en janvier 2022, autour de 1.800 dollars l'once. Car si son prix s'est envolé en mars, durant les premières semaines de la guerre en Ukraine, atteignant jusqu'à 2.070 dollars, il est retombé à presque 1.600 dollars en septembre, avec l'accélération de la remontée des taux, en particulier de la Réserve fédérale des Etats-Unis, pour calmer la hausse des prix.

Meilleure performance que les marchés actions

Néanmoins, au regard des autres classes d'actifs, notamment des marchés actions, l'or s'est honorablement comporté, avec une hausse de presque 6% sur 2022, contre -19,4% pour le S&P 500. Et si les perspectives de ralentissement économique, voire de récession, aux Etats-Unis, en Europe et en Chine pourraient profiter au métal jaune, son évolution dépendra également de la politique monétaire des banques centrales.

« Si la Fed marque une pause, la baisse des rendements réels américains alimentera les perspectives haussières des prix de l'or et de l'argent au cours du second semestre de 2023. Les prix de l'or devraient s'apprécier jusqu'à atteindre, en moyenne, 1.860 dollars l'once au quatrième trimestre de 2023 », assurent les experts de la banque JP Morgan, dans leurs perspectives pour 2023.

Le lien entre dollar et or réévalué à l'aune des sanctions occidentales

D'autant que la politique monétaire de la Fed influence le marché des devises. L'or a en effet subi la forte appréciation du dollar, qui rend mécaniquement plus onéreux les achats du métal pour les détenteurs d'autres devises comme l'euro ou le yen.

Le lien entre dollar et or a pris d'ailleurs une nouvelle signification en 2022, notamment pour les pays émergents, avec le conflit déclenché par la Russie en Ukraine en février dernier.

« Les tensions géopolitiques devraient continuer à faire de l'or une précieuse couverture contre le risque extrême », assure le World Gold Council (WGC) dans ses perspectives pour 2023, parmi les facteurs qui influencent le marché du métal jaune.

Plus particulièrement, avec les sanctions appliquées par les économies développées à la Russie, les pays émergents veulent, Chine en tête, réduire leur dépendance au billet vert, autrement dit aux Etats-Unis.

Les achats record - et très discrets - des banques centrales

Une tendance qui se manifeste aujourd'hui par l'achat d'or, comme l'a signalé le WGC. A l'automne dernier, un niveau record d'achats d'or (plus de 400 tonnes) a été réalisé par les banques centrales au cours du troisième trimestre.

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Si les pays acheteurs étaient identifiés pour environ un quart, ils restaient anonymes pour les quelque 300 autres tonnes restantes.

La discrétion affichée suggérait aux yeux des traders que la Russie vendait de l'or à la Chine. Moscou a besoin de dollars, depuis que le pays a été banni du système Swift.

« Une hypothèse d'autant plus crédible que l'extraction en Russie, le deuxième producteur mondial, se poursuit, et que la Banque centrale russe déclare ne pas se porter acquéreuse de la production nationale d'or. L'institution a en effet justifié ses achats en mars et avril dernier par le fait qu'il n'y avait plus d'acheteur sur le marché, suggérant en creux que ce n'est plus le cas et que la production nationale trouverait des débouchés », commente Laurent Schwartz, Pdg du Comptoir National de l'Or.

Quant à la Chine, ces importants achats sont intervenus après les tensions durant l'été avec les Etats-Unis sur Taïwan, et la décision de l'administration Biden de réduire les exportations de semi-conducteurs vers la Chine.

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Finalement, en novembre, la banque centrale de Chine a reconnu qu'elle était bien acheteuse de métal jaune. Elle a indiqué avoir acquis ce mois-là 32 tonnes, portant à 1.980 tonnes son volume d'or, ce qui représente les sixièmes réserves mondiales, bien loin des 8.133,5 tonnes des Etats-Unis, stockées à Fort Knox. Une information d'autant plus remarquée que c'était la première communication en trois ans de la Banque centrale de Chine sur sa politique d'achat d'or, qui devrait se poursuivre, un facteur sinon haussier du moins de soutien pour les prix internationaux de l'or.

Réduire la dépendance au dollar

La stratégie de Pékin n'est pas de détrôner le dollar au profit du yuan tant le billet vert domine largement les échanges internationaux, mais de réduire sa dépendance à la monnaie étasunienne en échangeant les dollars contre du métal jaune. La république populaire reste encore le deuxième pays étranger détenteur de dette des Etats-Unis derrière le Japon.

Un mouvement qui n'est pas nouveau mais qui s'accélère avec les leçons tirées des sanctions occidentales imposées à la Russie. Depuis le début des années 2000, la Chine a lancé des places de marchés dédiées aux métaux précieux comme le Hong Kong Gold Exchange, et surtout le Shanghai Gold Exchange, créé en 2014, où les cotations sont libellées en yuan. « Un officiel du ministère des Finances russe déclarait d'ailleurs récemment travailler avec le Shanghai Gold Exchange pour que les lingots produits par deux raffineurs nationaux soient accrédités sur la Bourse de l'or chinoise. Notons au passage que deux banques russes, VTB et Sberbank, sont toujours des membres autorisés de cette Bourse », souligne ainsi Laurent Schwartz.

Cette dédollarisation s'est manifestée aussi lors du sommet qui s'est tenu en décembre entre la Chine et les pays du Golfe persique. Xi Jinping, président du pays premier importateur mondial de pétrole brut et de gaz naturel liquéfié (GNL), a insisté sur le développement d'échanges commerciaux basé sur le yuan. « La Chine continuera d'accroître ses importations en pétrole brut et gaz naturel liquéfié (GNL) (...) et développera le règlement en renminbi (autre nom de la devise chinoise) dans le commerce du pétrole et du gaz naturel», a souligné le président chinois. Pékin propose déjà avec le Shanghai International Energy Exchange, créé en 2013, des contrats à terme pour l'achat de pétrole brut qui sont cotés en renminbi.

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« Pétroyuans » versus « pétrodollars »

Ce sommet a d'ailleurs consacré le renforcement des relations économiques et commerciales entre les deux parties. Les entreprises chinoises peuvent proposer aux pays du Golfe persique toute une gamme de produits allant des infrastructures aux satellites et au spatial en passant par l'énergie nucléaire, les technologies vertes, le numérique ou encore le e-commerce ou la coopération sur les monnaies numériques, a détaillé le président chinois devant ses interlocuteurs, visant à ce que les « pétroyuans » jouent le rôle des « pétrodollars » qui ont si bien réussi aux Etats-Unis par le passé.

Robert Jules
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