
Pour préparer sa Coupe du monde, le Qatar a dépensé davantage que son PIB de 180 milliards de dollars. L'émirat a en effet déboursé 200 milliards de dollars entre 2012 et 2022, d'après les estimations du cabinet Deloitte. Dont 140 milliards de dollars pour les infrastructures de transports et 15 milliards dans les installations hôtelières. En 2017, le ministre des Finances qatari avait évoqué un coût de « 500 millions de dollars par semaine », ce qui confirme les ordres de grandeur de Deloitte.
« Pour une Coupe du monde, on n'a jamais rien vu de comparable. En 2014, le Brésil avait dépensé 15 milliards de dollars et la Russie 11,6 milliards en 2018. Mais les dépenses du Qatar ne correspondent pas exclusivement à l'évènement de la Coupe du monde. Elles s'inscrivent dans le plan de développement du pays à l'horizon 2030. Doha y voit surtout un investissement de soft power pour faire parler du pays », précise le professeur d'économie à l'Université de Dijon Mathieu Llorca.
Les 17 milliards de dollars de retombées économiques en question
Les gains promis en retour par les officiels qataris n'en demeurent pas moins dérisoires face à cette débauche d'investissements. Le président du comité d'organisation Nasser Al-Khater table sur 17 milliards de dollars de retombées économiques directes pour un coût de 8 milliards de dollars (soit le montant de la seule construction des stades). La Coupe du monde rapportera selon lui 9 milliards de dollars à l'économie locale.
Pourtant, même en faisant fi de tous les investissements périphériques, qui pris dans leur ensemble, aboutissent à un déficit de l'ordre de 180 milliards de dollars, rien ne dit que les prévisions qataris vont se réaliser. « Les organisateurs de grandes compétitions sportives sous-estiment souvent le budget et surestiment les recettes. On appelle ce phénomène de "winner's curse" ou "malédiction du vainqueur de l'enchère" », explique l'économiste Mathieu Llorca.
Les estimations du chef du comité d'organisation Nasser Al-Khater s'appuie sur la venue d'1,4 million de touristes; un objectif très ambitieux. Le « mundial » 2014 au Brésil, l'un des plus attendus de l'histoire dans le pays où le football est une religion, avait attiré 1,1 million de touristes lors des cinq semaines de compétition. Et le Brésil de Dilma Rousseff misait sur trois milliard de dollars de retombées, contre les 17 milliards espérés par les Qataris.
Supporters importés
A trois jours du premier match, l'affluence paraît pourtant modeste dans les rues de Doha. Les Irréductibles Français, principal groupe de supporters des Bleus, sont six fois moins nombreux à aller au Qatar que lors de l'édition de 2018 en Russie. Le budget moyen d'un supporter européen s'élève à 6.000 euros d'après l'association Football Supporters Europe, soit deux à trois fois plus que ce que lui coûtait le périple en Russie.
Le code vestimentaire imposé, particulièrement strict pour les femmes, les restrictions sur l'alcool consommable exclusivement dans des zones dédiées, et les craintes sur l'accueil des homosexuels représentent autant d'obstacles qui dissuadent des supporters de se rendre dans le golfe persique avant Noël.
« Mettre le Qatar sur la carte du monde »
Les retombées audiovisuelles pourraient aussi être plus faibles qu'escomptées. Dans les pays occidentaux, on entend bien plus les critiques sur les conséquences écologiques et le traitement des ouvriers du mondial que la ferveur populaire.
Mais l'objectif est ailleurs pour l'émirat.
« La viabilité économique de la Coupe du monde n'entre pas dans les considérations des Qataris. C'est un pays qui a des standards économiques très différents des nôtres avec une manne gazière colossal pour un petit nombre d'habitants. Le PIB par habitant y est l'un des plus élevés du monde », rappelle Mathieu Llorca. Ce dernier doute que les installations comme les huit stades construits puissent être perçus comme des investissements que réutiliseront les 380.000 citoyens qataris. Et rappelle la priorité de l'émir Al-Thani et de son père émir avant lui : « mettre le Qatar sur la carte du monde ». A n'importe quel prix.
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