Le retour du « Made in USA », potion magique de Joe Biden ?

Aux États-Unis, protectionnisme, volontarisme politique et plans d’investissement public connaissent un retour en force, au service de la relocalisation des activités industrielles critiques sur le sol national. Une manière de créer des emplois pour les cols bleus, d’améliorer la résilience du pays contre les chocs extérieurs et, surtout, de réduire sa dépendance à la Chine.
(Crédits : Henry Nicholls)

« La mondialisation n'est ni arrêtable ni réversible », lançait Bill Clinton dans un discours prononcé à l'université de Hanoï, au Vietnam, en novembre 2000. « Elle est l'équivalent économique d'une force de la nature comme le vent ou l'eau. » Le président américain s'apprêtait à clore un mandat marqué par l'expansion de la Toile et de l'économie numérique, le tout au bénéfice de la mondialisation des échanges et d'une hégémonie américaine largement renforcée par sa domination sur les NTIC.

Avec l'intégration des anciens pays du bloc soviétique à l'économie mondiale et celle de la Chine à l'OMC qui se profilait, le contexte plaidait largement en faveur d'une confiance aveugle en la mondialisation, vue comme une force à la fois positive et irréversible.

Plus de « Made in America », moins de « Made in China »

Un peu plus de vingt ans plus tard, c'est toujours un président démocrate qui se trouve à la Maison-Blanche, mais le ton a quelque peu changé. « Quelque chose est en train de se passer en Amérique. Regardez autour de vous, et vous assisterez à un merveilleux spectacle. Celui du retour de la joie qui consiste à estampiller des produits "Made in America". Celui de la revitalisation de l'industrie américaine. Celui des entreprises qui construisent de nouvelles usines ici, alors qu'il y a quelques années, elles l'auraient fait à l'étranger », se félicitait ainsi Joe Biden lors de son discours sur l'état de l'Union, le 1er mars 2022. Aux États-Unis, champions du libre-échange, le souverainisme économique et le Made in America ont de nouveau le vent en poupe.

Si l'actuel hôte de la Maison-Blanche a lissé son discours pour en exclure les excès xénophobes et chauvinistes de son prédécesseur, Donald Trump, il en a, sur ce point, repris les grandes lignes. La mondialisation n'a pas bénéficié à tous les Américains, les plus pauvres et les cols bleus, notamment, ont été laissés de côté ; la mondialisation n'a pas eu que des avantages pour les États-Unis, qui y ont perdu leur puissance industrielle et ont vu leur déficit commercial se creuser ; il est nécessaire de rebâtir des capacités de production domestiques, à la fois pour créer des emplois et redynamiser les zones géographiques qui ont souffert de la mondialisation, construire une économie nationale plus résiliente face aux risques extérieurs et contrer les velléités de la Chine.

La politique de Biden, continuation de celle de Trump par d'autres moyens ?

« Sur les questions commerciales et industrielles, la continuité entre Trump et Biden est frappante. La rhétorique de Biden est plus polie vis-à-vis des alliés, mais il est tout aussi dur envers la Chine, et sa politique commerciale est quasiment identique », note Gary Hufbauer, économiste au Peterson Institute for International Economics, un laboratoire d'idées non partisan basé à Washington. Biden va même plus loin que son prédécesseur dans sa volonté de réindustrialiser le pays.

« Trump avait une grande appétence pour les tarifs douaniers, à l'instar de présidents républicains du XIXe siècle comme McKinley, ainsi que pour les incitations à acheter américain, notamment dans les commandes de l'État et l'industrie automobile. Il a également baissé l'impôt sur les sociétés pour inciter les entreprises américaines et étrangères à investir aux États-Unis. Mais, à l'exception de l'Opération Warp Speed, pour les vaccins, il n'a jamais voulu engager de grosses dépenses publiques. »

Biden, s'il ne fait pas activement la promotion du protectionnisme comme son prédécesseur, a maintenu en place la quasi-totalité des tarifs douaniers instaurés par Trump, se contentant de remplacer les tarifs sur l'acier et l'aluminium par un système de quotas qui, selon Gary Hufbauer, « ne fait aucune différence en matière de protection ».

Comme l'illustre son dernier discours de l'Union, l'hôte de la Maison-Blanche a également repris la rhétorique de son prédécesseur sur l'impératif d'acheter américain, tout en la concrétisant davantage via d'importants investissements dans les infrastructures. Une loi passée en novembre dernier avec un soutien bipartisan, l'Infrastructure Investment and Jobs Act, prévoit ainsi de débloquer 1.200 milliards de dollars sur plusieurs années dans les infrastructures et dans diverses industries stratégiques, dont le véhicule électrique. Elle comprend également plusieurs provisions dites « Buy America » visant à s'assurer que les entreprises américaines soient les premières à bénéficier de cet investissement.

Les microprocesseurs en ligne de mire

Une seconde loi actuellement en préparation, USICA/COMPETES, prévoit notamment 52 milliards de dollars de subventions et de crédits d'impôt pour renforcer la production de semi-conducteurs aux États-Unis, ainsi que 100 milliards de dollars pour la recherche dans plusieurs industries des hautes technologies.

Dans un contexte de pénurie générale entraînant une flambée des prix des semi-conducteurs, les États-Unis se sont en effet donné pour priorité d'améliorer la résilience de leur chaîne de valeur autour de ces bijoux technologiques devenus nécessaires à l'informatique, mais aussi à l'automobile ou encore l'électroménager.

L'administration Biden peut en la matière compter sur le soutien d'Intel, qui sous la direction de son directeur-général Pat Gelsinger, en poste depuis janvier 2021, a entrepris de doper ses capacités de production de microprocesseurs sur le sol américain. Après avoir annoncé son intention d'investir 20 milliards dans deux usines de production en Arizona l'an passé, l'entreprise a récemment doublé la mise avec un investissement similaire consacré à l'ouverture de deux autres usines dans l'Ohio, au cœur de la Rust Belt.

350.000 emplois industriels créés aux États-Unis l'an passé

Joe Biden a directement fait référence à cet investissement dans son discours sur l'Union, ainsi qu'à ceux de Ford (qui va débourser 11 milliards de dollars et créer 11.000 emplois pour produire des véhicules électriques aux États-Unis) et de General Motors (7 milliards de dollars d'investissements et 4.000 emplois créés pour construire des voitures électriques dans le Michigan).

À l'inverse de Donald Trump, pour qui la protection de l'environnement était le cadet de ses soucis, Biden voit également dans le protectionnisme, l'autonomie et la réindustrialisation une opportunité d'accélérer dans le développement des énergies propres.

« En produisant des véhicules électriques, des éoliennes ou encore des panneaux solaires sur le sol national, Joe Biden entend également sécuriser le futur énergétique du pays et limiter sa dépendance aux énergies fossiles. Le fait que la Chine occupe aujourd'hui une place prépondérante dans l'industrie des énergies renouvelables, que ce soit à travers l'exploitation de minerais rares, la production de batteries ou de panneaux solaires, suscite en effet de vives inquiétudes à Washington », analyse Scott Paul, président de l'Alliance for American Manufacturing, une association à but non lucratif qui rassemble syndicats ouvriers et entreprises industrielles, et milite pour la redynamisation de l'industrie américaine.

Cette politique donne déjà de premiers résultats positifs. « Selon plusieurs indicateurs, 2021 a été l'année durant laquelle les usines sont revenues aux États-Unis », note ainsi Scott Paul.

« L'an passé, plus de 350.000 emplois industriels ont été créés aux États Unis, un chiffre jamais vu depuis des décennies. Dans un secteur marqué depuis une génération par les délocalisations, les annonces cumulées d'entreprises comme Intel, Ford, General Motors et Texas Instrument ont cette fois-ci contribué à réécrire le scénario. »

Contrer les ambitions économiques et géopolitiques de la Chine

La volonté de contrer la Chine est la pierre angulaire de cette stratégie de rapatriement des capacités productives. « La Russie a envahi une nation indépendante, avec l'approbation, l'assistance et le soutien affiché de Pékin. Il y a d'abord eu la Crimée, puis Hong Kong, et désormais l'Ukraine. À défaut d'action, Taïwan sera le prochain sur la liste. Les États-Unis doivent se préparer à des perturbations majeures dans l'importation de nombreux biens et matériaux. Washington doit accélérer la réindustrialisation », affirmait ainsi, suite à l'invasion de l'Ukraine, Michael Stumo, directeur général de The Coalition for a Prosperous America, un lobby qui milite pour la réduction du déficit commercial américain et le développement de l'industrie et de l'agriculture sur le sol national.

À l'heure où la pandémie et la guerre en Ukraine montrent la fragilité des chaînes de valeur mondialisées, relocaliser la production est aussi un moyen d'accroître la résilience de l'économie et de se préparer contre les chocs futurs. « La pandémie a montré que l'industrie était aujourd'hui beaucoup trop concentrée d'un point de vue géographique (80% des puces utilisées dans le monde sont produites en Asie), avec les risques que cela entraîne. Nous voulons une industrie mondiale qui soit plus résiliente, et nous pensons que le meilleur moyen d'y parvenir est de construire de solides industries locales, pour que les capacités de production soient mieux distribuées », affirmait récemment Pat Gelsinger.

Nécessités électoralistes

Enfin, les motivations sont également de nature électorale. En effet, Biden doit notamment son élection à plusieurs swing states (États qui votent tantôt démocrates, tantôt républicains) de la Rust Belt, dont le Michigan, la Pennsylvanie (état natal de Biden) et le Wisconsin, qui avaient propulsé Trump à la Maison-Blanche en 2016 mais sont repassés côté démocrate en 2020, et pourraient de nouveau basculer côté républicain après les élections de mi-mandat en novembre prochain. S'adresser à ces cols bleus victimes de la désindustrialisation est donc devenu une condition sine qua non pour gagner les élections outre-Atlantique, ce qui explique partiellement le retour d'une politique industrielle volontariste.

L'année 2021 a été une bonne année pour l'industrie américaine, mais rien ne permet d'affirmer que l'avenir sera aussi radieux. Rappelons que le déficit commercial américain a récemment atteint un plus haut historique à 859,1 milliards de dollars.

L'inflation, obstacle à la politique de réindustrialisation

En outre, le dollar fort, l'inflation, qui entraîne une hausse des salaires américains, ainsi que la situation de plein emploi outre-Atlantique constituent autant d'obstacles à la réindustrialisation massive voulue par Joe Biden.

Si l'inflation devait se maintenir, elle pourrait en outre rapidement devenir une question politique de premier ordre en vue des élections de mi-mandat, et entrer en conflit avec la politique du « Made in USA », et les tarifs douaniers qu'elle implique, lesquels risquent d'augmenter les prix pour le consommateur final.

Le risque, c'est que l'inflation devienne l'enjeu politique prioritaire pour l'administration Biden, la question à résoudre avant toutes les autres... En effet, lutter contre celle-ci pourrait impliquer de renoncer à certaines composantes de la politique de réindustrialisation, comme les surtaxes sur les produits Chinois visant à rendre le « Made in USA » plus compétitif - et, d'ailleurs, la suppression de certains de ces tarifs est actuellement envisagée pour lutter contre l'inflation et redonner du pouvoir d'achat aux Américains.

Mais Scott Paul demeure confiant. « Le gouvernement américain a conscience du fait que l'un des principaux défis qui l'attendent dans les années à venir est la montée en puissance de la Chine, et ses ambitions à la fois économiques, géopolitiques et militaires. Avec le danger que cela pose non seulement pour les États-Unis, mais plus généralement pour les démocraties occidentales. Dans ce contexte, le fait de s'assurer que les États-Unis ne soient plus dépendants de la Chine pour nombre de biens manufacturés critiques a de bonnes chances de demeurer une priorité. »

Commentaires 10
à écrit le 04/08/2022 à 16:25
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Bonjour, Espérons que la qualité américaine sera meilleure que ce qu'on a connu il y a une 50 ans, à vécu des hauts des bas parfois solides parfois fragiles car fabriquée à minima. Et est. Ce qu'ils vont trouver assez de techniciens pour faire tou...

à écrit le 01/08/2022 à 17:59
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Est-il prévu dans les textes une modération salariale contraignante (e.g. au maximum 3 fois la rémunération médiane) pour les cadres dirigeants faisant appel à l'argent du contribuable?

à écrit le 01/08/2022 à 16:08
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Des subventions pour renflouer Intel en position dominante sur le marché des microprocesseurs informatiques au dirigeant à la rémunération pharaoniques Pat Gelsinger dont l'entreprise a déclaré 454 millions de perte au T2 2022. Il semblerait qu...

à écrit le 31/07/2022 à 14:35
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Harley Davidson pour illustrer le retour du "Made in USA" .... Hum, hum.

à écrit le 31/07/2022 à 14:34
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Harley Davidson pour illustrer le du "Made in USA" .... Hum, hum.

à écrit le 31/07/2022 à 11:45
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On peur donc en déduire que les dirigeants d'avant étaient des traites à leur pays ! C'est la déduction logique en lisant l'introduction de l'article : " relocalisation des activités industrielles critiques sur le sol national. Une manière de créer...

le 01/08/2022 à 8:42
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c'est aussi le cas en france il faut aussi definir ceux qui ont encourager aux delocalisation de traitre a la nation meme pour une delocalisation au sein de l'europe y compris ceux en fonction actuellement et interdire a ceux qui espere un jour l...

à écrit le 31/07/2022 à 10:28
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Comme quoi, Trump n'était pas si bête que cela! Et sans le moindre conflit!

à écrit le 31/07/2022 à 8:22
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Bonjour, Le patriotisme économique est toujours un bon moyen de relancer la consommation... Mais encore faut-il que se ne soit pas détourner par des importation étrangers... Donc les usa espèrent se relever de leur dépendance au produit chinois......

le 31/07/2022 à 9:38
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Mondalisation etait inventée par des debilles comme Gates et Claus Swaab.Aucun l'avantage pour des pays.

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