Pat Gelsinger (Intel) : « Toutes les innovations majeures dans l’industrie des semi-conducteurs sont nées aux États-Unis ou en Europe »

ENTRETIEN- Interrogé par La Tribune, le directeur général d’Intel a répondu à quelques-unes de nos questions après l’annonce du plan d’investissement de son entreprise en Europe. Pat Gelsinger a notamment tenu à insister sur le caractère pan-européen de son investissement et sur la nécessité de rééquilibrer géographiquement la production mondiale de semi-conducteurs pour renforcer la résilience de l’industrie.
(Crédits : Intel)

LA TRIBUNE- Vous venez d'annoncer 17 millions d'euros d'investissement dans une usine de production de semi-conducteurs à Magdebourg, en Allemagne. Quel type de puces sera fabriqué dans cette nouvelle usine et qu'est-ce qui vous a conduit à choisir cet emplacement ?

PAT GELSINGER- Cette usine produira les semi-conducteurs les plus avancés que nous soyons capables de construire, soit les puces sub-nanométriques de l'ère Angström, et notamment les modèles Intel 20A et Intel 18A. Les investissements supplémentaires annoncés dans notre site de production en Irlande visent aussi à concevoir de telles puces, qui seront conditionnées en Italie (où nous avons également investi). Le Chips Act européen met clairement l'accent sur les puces les plus avancées, et nous avons voulu faire en sorte de répondre à ces attentes.

Quant au lieu, notre choix s'est vraiment porté sur Magdebourg plutôt que sur l'Allemagne en général : le site dispose de la combinaison parfaite en termes de talents, d'infrastructures, de ressources énergétiques et hydriques, et bénéficie également d'un soutien actif de la part des autorités allemandes. Nous avons pris en considération plus d'une dizaine de sites différents répartis dans toute l'Europe, et le choix s'est avéré difficile, car tous avaient leurs qualités propres, mais Magdebourg semblait le plus apte à répondre à nos besoins.

Toutefois, nous tenons à préciser que notre choix ne s'est pas porté sur tel ou tel pays en particulier, mais sur l'Union européenne dans son ensemble. Nous avons naturellement dû localiser nos investissements sur certains sites pour des raisons pratiques, mais il s'agit dans notre esprit d'un investissement pan-européen, qui vise à reconstruire des capacités de production de semi-conducteurs sur le Vieux Continent. Chaque pays d'Europe en sort donc gagnant.

Vous avez également annoncé l'installation d'un centre de R&D sur le plateau de Saclay, pour lequel un millier d'ingénieurs va être embauché. Pourquoi avoir choisi Saclay et quel type de recherches sera mené sur place ?

Nous collaborons déjà avec plusieurs instituts de recherches installés dans la région, comme le CNRS. L'installation d'un centre de R&D est un moyen de renforcer ces collaborations afin de continuer à battre la loi de Moore ensemble. Les recherches porteront notamment sur l'informatique haute performance et l'intelligence artificielle. À cet égard, la présence d'importants viviers de talents dans la région, produisant d'excellents ingénieurs et mathématiciens, a également orienté notre décision.

L'an passé, vous avez annoncé une réorientation stratégique, en déclarant que vous fabriqueriez désormais des puces pour d'autres entreprises, et plus seulement pour votre propre usage. Votre nouvelle usine en Allemagne viendra-t-elle servir cette ambition ?

L'usine de Magdebourg nous permettra en effet de concevoir des puces pour nos partenaires européens, dans le cadre d'Intel Foundry Services, en plus des nôtres. À travers ce nouvel investissement de douze milliards d'euros, notre site de production en Irlande va également devenir une composante clef de cette stratégie.

Face à la pénurie mondiale de semi-conducteurs, il semble y avoir une volonté, aux États-Unis comme en Europe, de mettre en place une stratégie souverainiste autour de cette industrie, afin de renforcer la résilience des chaînes de valeur et d'être moins dépendant des aléas de l'actualité internationale. Pensez-vous qu'il soit possible de fabriquer des puces de A à Z aux États-Unis et en Europe, ou certaines étapes sont-elles amenées à rester en Asie ? L'industrie est pour l'heure extrêmement mondialisée...

Notre objectif est en effet de reconstruire l'intégralité de la chaîne de valeur sur le sol européen, même si nous avons bien conscience que cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous cherchons également à accomplir le même objectif aux États-Unis. Nous ne pensons cependant pas qu'il s'agisse d'une forme de repli sur soi ou d'égoïsme national. La pandémie a montré que l'industrie était aujourd'hui beaucoup trop concentrée d'un point de vue géographique (80% des puces utilisées dans le monde sont produites en Asie), avec les risques que cela entraîne. Nous voulons une industrie mondiale qui soit plus résiliente, et nous pensons que le meilleur moyen d'y parvenir est de construire de solides industries locales, pour que les capacités de production soient mieux distribuées.

Il est important de noter, à cet égard, que l'Europe n'a jamais voté pour se débarrasser de ses capacités de production, et passer de 44% de parts de marché mondiales dans la fabrication de semi-conducteurs à 10% aujourd'hui. C'est l'Asie qui a pris la décision d'accroître ses parts de marché à coups d'investissements et de subventions. Nous pensons qu'il est temps d'en faire autant. Toutes les innovations majeures qu'a connues l'industrie des semi-conducteurs au cours des cinquante dernières années sont nées aux États-Unis ou en Europe, nous pensons donc que ces deux territoires ont toutes les cartes en main pour reconstruire une industrie locale compétitive.

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Commentaires 2
à écrit le 17/03/2022 à 17:15
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Oui mais l'electronique et l'informatique ne fait pas partie de la culture des Allemands, aucune université n'a le niveau de Rennes ou grenoble, ils ont Travian, nous on a Ubisoft cherchez l'erreur.

à écrit le 17/03/2022 à 9:13
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Si l'Allemagne a fait des efforts fiscaux pour que les installations Intel puisent être rentables, ça aide pour se décider du lieu où s'implanter. :-) C'est dommage, finalement, de faire construire les voitures de marque France à l'étranger, on ne p...

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