Créer 100 nouveaux sites industriels par an d'ici à 2025, le pari fou de l'Etat

Pilier de la stratégie du gouvernement autour des startups industrielles, Bpifrance a lancé depuis le début de l'année de nombreuses initiatives pour démultiplier le nombre de startups industrielles, structurer l'écosystème de financement, et développer un accompagnement sur-mesure qui se destine également aux PME et ETI industrielles en pleine transformation. L'objectif : réunir French Tech et French Fab pour contribuer à réindustrialiser la France, à l'heure où le pays se cherche une nouvelle souveraineté industrielle et numérique. Décryptage.
Sylvain Rolland
Exotec, première licorne industrielle française, est le fer de lance d'une nouvelle génération de startups industrielles, pour lesquelles l'Etat déploie 2,3 milliards d'euros sur cinq ans.
Exotec, première licorne industrielle française, est le fer de lance d'une nouvelle génération de startups industrielles, pour lesquelles l'Etat déploie 2,3 milliards d'euros sur cinq ans. (Crédits : Exotec)

Après l'innovation numérique depuis 2012, les deeptech depuis 2018, place désormais aux startups industrielles. Depuis le début de l'année, l'Etat, via son bras armé Bpifrance, s'est fixé un nouveau défi pour réindustrialiser la France et répondre à ses enjeux de souveraineté et d'emplois : créer dans les territoires 100 nouveaux sites industriels par an d'ici à 2025. L'objectif paraît démesuré, car en 2021, seuls 18 nouveaux sites industriels ont été créés.... Il faudrait donc quadrupler ce nombre en quatre ans. « C'est extrêmement ambitieux, admet Paul-François Fournier, le directeur exécutif de Bpifrance, mais nous avons la conviction que le modèle des startups est un vecteur de réindustrialisation et qu'il ne manque pas grand-chose pour créer un puissant effet de levier et dynamiser l'écosystème des startups industrielles, qui n'en est qu'à ses débuts en France », veut-il croire.

Ce « pas grand-chose », c'est une stratégie visant à la fois à démultiplier le nombre de startups industrielles, permettre aux PME industrielles d'innover plus facilement, et leur faciliter la tâche pour industrialiser leurs innovations en France. L'Etat a chiffré ce plan à 2,3 milliards d'euros, financé en partie via le PIA 4 et France 2030. Mardi 28 juin, Bpifrance, qui se charge, comme pour les autres plans sectoriels de la tech, de son exécution et de sa coordination, en a présenté le détail sous la forme d'un livre.

L'objectif politique est clair : réindustrialiser le pays en partie grâce aux startups, créer de nouvelles filières industrielles innovantes, et retrouver in fine une forme d'autonomie industrielle ainsi que les emplois qui vont avec. Une priorité pour Bercy, comme le montre la nouvelle fiche de poste du ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, qui se retrouve également chargé de piloter, depuis mai 2022, "la souveraineté industrielle et numérique" de la France.

Accompagnement et financements nouveaux pour les startups et PME industrielles

Comme son nom l'indique, le plan "Startups et PME industrielles" s'articule autour de deux objectifs : l'industrialisation des innovations portées par les startups d'une part - notamment les deeptech-, et la mobilisation des PME et ETI industrielles d'autre part, c'est-à-dire les entreprises industrielles qui souhaitent innover pour transformer leur activité mais qui peinent aujourd'hui à trouver les financements pour le faire. « C'est la rencontre entre la French Tech et la French Fab, réconcilier deux mondes qui se parlaient peu mais qui sont complémentaires en créant des ponts et des dispositifs de financements inédits », précise Paul-François Fournier.

Pour agir simultanément sur tous les maillons de la chaîne, Bpifrance pilote quatre grands dispositifs. Le premier est l'Appel à projets première usine, ou « APP 1re usine ». Lancé en janvier 2022, il est doté d'une enveloppe de 100 millions d'euros par an sur cinq ans. « L'APP finance des projets d'implantation de premières usines sur le territoire, des démonstrateurs industriels ou des unités de production mutualisées. L'idée est de faciliter la mise en production", détaille le dirigeant. 83 dossiers sont actuellement en cours d'instruction, issus de la première relève du 5 avril, et "un tiers se feront financer », estime Bpifrance.

Lancé depuis mars 2022, le deuxième dispositif est le « prêt nouvelle industrie », doté de 200 millions d'euros en 2022. Cette enveloppe complète le premier dispositif et se destine notamment aux PME et ETI industrielles, pour les aider à financer des démonstrateurs industriels ou des usines pilotes, via des prêts entre 3 et 15 millions d'euros sans garantie, d'une durée de 10 à 15 ans dont 3 ans de différé. A date, 10 dossiers sont en cours d'instruction pour une enveloppe de 88 millions d'euros, et une quinzaine de demandes sont en cours de traitement.

Les troisième et quatrième dispositifs mobilisent le financement. Rechargé en mai 2022 à 1 milliard d'euros, le fonds SPI 2 (Sociétés de projets industriels), géré par Bpifrance dans le cadre du PIA 4, vise à investir directement dans des startups et PME/ETI industrielles au moment de leur passage à l'échelle industrielle et commerciale. Une quinzaine d'investisseurs spécialisés sont à la manœuvre chez Bpifrance, prêts à investir des tickets sur-mesure, entre 5 et 200 millions d'euros si nécessaire. Le SPI 1, clôturé en 2021, avait investi dans 21 pépites, et 50 projets sont déjà identifiés pour le SPI 2.

En plus de ce véhicule d'investissement direct, Bpifrance s'apprête également à lancer le Fonds national de venture industriel, ou FNVI. Il s'agit d'un fonds de fonds destiné à structurer l'écosystème de financement privé, comme l'avait fait en son temps le FNA (Fonds national d'amorçage, lancé en 2012), pour développer la vague des startups du numérique en France.

« L'idée est de créer un effet de levier en favorisant l'émergence et la structuration du marché des fonds de capital-risque à vocation industrielle, qui sont aujourd'hui trop peu nombreux et sous-dotés en France. L'Etat prend une partie du risque en investissant en fonds de fonds, pour les inciter à suivre, et avec le temps ils prendront le relais », décline Paul-François Fournier.

1.600 startups industrielles en France

Enfin, le cinquième et dernier dispositif prend la forme d'un accompagnement sur-mesure. C'est le Diagnostic Amorçage Industriel, qui a déjà bénéficié à 17 entreprises à date. « Bpifrance va mobiliser un consultant pour 10 jours de travail avec une startup pour redéfinir sa stratégie industrielle. Nous prenons en charge la moitié du coût, soit 5.000 euros environ. L'idée est que la startup, très en amont, bénéficie d'une vision indépendante et complète de tous ses enjeux d'industrialisation, afin d'être plus efficace dans son développement », indique le patron exécutif de Bpifrance.

Il y a de quoi faire : la France comptait en 2021 1.600 startups industrielles, dont 600 avaient levé au moins 1 million d'euros. Ce nombre est amené à fortement progresser dans les années à venir, notamment au fur et à mesure de la structuration de l'écosystème de financement privé et des aides mises en place pour lancer des projets industriels dans tous les domaines. Actuellement, un tiers des startups industrielles évoluent dans l'industrie « classique » (électronique, photonique, robotique, impression 3D...), un autre tiers dans la santé (biotech et medtech), et un autre tiers dans le « green » (énergie, agro-industrie, valorisation des déchets, mobilité et transports). Près de 70% de ces pépites sont situées hors de l'Ile-de-France.

Pour suivre l'évolution du secteur, Bpifrance lancera aussi fin 2022 un Observatoire dédié, qui sera chargé de suivre le nombre de startups en France de manière détaillée, le nombre d'ouverture de sites industriels innovants, et le montant des levées de fonds des startups industrielles. Rien qu'en 2022, 1 milliard d'euros ont été levés par cet écosystème en pleine explosion. Exotec, qui est devenue en janvier la première licorne industrielle française, pèse presque le tiers à elle seule de ce montant, en ayant levé 335 millions de dollars (293 millions d'euros) pour développer ses petits robots destinés aux entrepôts de logistique.

Sylvain Rolland

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 29/06/2022 à 9:40
Signaler
Le pari d'un état fou c'est exactement cela... Pour l'industrie, la vraie, ce qui est perdu est définitivement perdu.. Par exemple ces turbines de puissance Arabelle la disparition des compétences techniques est définitive..

le 29/06/2022 à 15:33
Signaler
Tout se perd et s'il ne se perd pas devient inutile et obsolète. L'essentiel est bien de savoir faire ce que les autres ne savent pas encore faire et d'innover à l'infini.

à écrit le 29/06/2022 à 7:49
Signaler
Une vision dogmatique absurde qui continue de suivre "une politique de l'offre" permanente, avec ses "innovations" et éternelles publicités, mais sans qu'il y ait le moindre progrés!

le 29/06/2022 à 9:26
Signaler
La politique de l'offre en france est très marginale par rapport à une politique de la démande basèe sur les prestations sociales plus élevés du monde. En France les impots de production et les cotisations sont plus élevés que dans les pays voisins ...

le 29/06/2022 à 9:33
Signaler
C est l avenir … les chinois, us ou autres pays européens ne voient pas les choses comme vous ….et les licornes n empêche pas le rapatriement de productions industrielles à fortes marges …

le 29/06/2022 à 15:40
Signaler
Vous avez raison! Répondre "aux besoins" n'a point besoin de publicité, mais de progrés!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.