Il y a le front ukrainien... et puis il y a les tensions persistantes en Asie, région de toutes les attentions stratégiques des Etats-Unis. Et plus exactement dans le Pacifique où la Chine souhaite étendre de plus en plus son influence, à l'image des îles Salomon. En vue de rassurer le camp occidental, Pékin a indiqué qu'elle n'avait "aucune intention du tout" de construire une base militaire sur ce territoire, situé au nord est de l'Australie à environ 1.700 km de Cairns, a déclaré jeudi le ministre des Affaires étrangères Wang Yi. La Chine et les Iles Salomon ont signé fin avril un nouveau pacte de sécurité. Le ministre a rejeté les inquiétudes du camp occidental, notamment de l'Australie et des Etats-Unis qui craignent que cet accord permette à Pékin d'installer une présence militaire dans l'archipel. Le pacte est "irréprochable, honnête et intègre", a-t-il affirmé.
Le Pacifique sud est devenu ces derniers mois un théâtre de forte rivalité entre la Chine et les États-Unis, première puissance dans la région depuis plusieurs décennies. Pékin cherche à y accroître sa présence militaire, politique et économique, mais n'a fait jusqu'à présent que des progrès inégaux. Le pacte entre Honiara et Pékin, dont les contours restent flous, fait peser la menace, selon Canberra et Washington, d'une installation d'une présence militaire chinoise dans l'archipel. Ce jeudi, le ministre des Affaires étrangères chinois a entamé une tournée régionale dans huit pays en se posant dans la capitale des Îles Salomon.
Diplomatie du chéquier
La Chine a lancé une vaste initiative visant à renforcer considérablement ses relations de libre-échange et de coopération en matière de sécurité avec les pays du Pacifique sud, selon des documents obtenu mercredi par l'AFP. Ces documents — un projet d'accord ainsi qu'un plan de mise en œuvre sur cinq ans - feront l'objet de discussions à l'occasion de la tournée de Wang Yi dans plusieurs pays de la zone. Dans le cadre de cette initiative, la Chine proposerait des millions de dollars d'assistance à dix États insulaires de la région, la perspective d'un accord de libre-échange ainsi que la possibilité d'accéder au vaste marché chinois avec ses 1,4 milliard de consommateurs.
En retour, la Chine se chargerait de former les forces de police et s'impliquerait dans la cybersécurité locales. Elle pourrait par ailleurs réaliser des opérations sensibles de cartographie marine et obtiendrait un meilleur accès aux ressources naturelles locales. L'adoption de cette "vision commune de développement", nom donné au projet d'accord, pourrait avoir lieu le 30 mai à l'occasion d'une rencontre entre Wang Yi et les ministres des Affaires étrangères de la région, devant se tenir aux Îles Fidji. Mais déjà certains dirigeants ont appelé à réfléchir. Dans une lettre adressée à ses collègues du Pacifique sud, le président des États fédérés de Micronésie, David Panuelo, a mis en garde contre un accord "attrayant" à première vue mais susceptible de permettre à la Chine "d'acquérir accès et contrôle sur notre région".
Le plan de coopération, s'il était accepté, pourrait représenter un tournant majeur, facilitant notamment un certain nombre d'opérations de police ou militaires. En outre, les vols entre la Chine et les îles du Pacifique seraient multipliés, Pékin nommerait un émissaire régional, assurerait la formation des jeunes diplomates du Pacifique et fournirait 2.500 "bourses" gouvernementales. Le Premier ministre des Iles Salomon Manasseh Sogavare a rejeté les critiques suscitées par un nouveau protocole d'accord avec la Chine sur des investissements maritimes, assurant qu'il n'y avait dedans rien d'"inquiétant".
"Il n'y a rien d'inquiétant ou de choquant à propos du protocole d'accord sur l'économie bleue", a souligné le Premier ministre dans un communiqué.
Les Etats-Unis sur leurs gardes
Fin avril, une délégation américaine de haut niveau, conduite par les responsables chargés de l'Asie-Pacifique à la Maison Blanche et au département d'Etat, Kurt Campbell et Daniel Kritenbrink en visite aux îles Salomon ont mis en garde contre toute "installation militaire" chinoise dans cet archipel du Pacifique, séparé de l'Australie par la mer de Corail. Reçus pendant 90 minutes par Manasseh Sogavare, les diplomates n'ont pu que réitérer les avertissements américains, pris de court par l'officialisation de la signature de l'accord controversé.
Ils ont prévenu que si Pékin devait aller vers "l'établissement d'une présence militaire permanente de facto", d'une "installation militaire" ou de "capacités de projection de force" qui permettraient un déploiement chinois dans la région, cela causerait de "sérieuses inquiétudes" chez les Etats-Unis qui "(riposteraient) en conséquence", a rapporté la Maison Blanche dans un communiqué.
Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken va appeler jeudi Pékin à respecter l'ordre international, dans un discours très attendu sur la Chine. Il va rappeler que l'Asie reste prioritaire pour les Etats-Unis, alors que la guerre en Ukraine mobilise fortement Washington depuis des mois. Son discours intervient après l'annonce, lundi par le président Biden, que les Etats-Unis seraient prêts à utiliser leurs moyens militaires en cas d'invasion de Taïwan par la Chine.