Pacte financier mondial : « la leçon » du prix Nobel Esther Duflo aux pays riches

En plein sommet pour un nouveau pacte financier mondial, la lauréate du prix Nobel d'économie 2019 Esther Duflo tenait un colloque ce jeudi au Collège de France. L'occasion pour elle d'appeler à une refonte de la solidarité internationale, rendue nécessaire par la pandémie, la guerre en Ukraine et le réchauffement climatique qui ont précipité des millions de personnes dans la pauvreté dans les pays à bas revenu.
Grégoire Normand
L'économiste Esther Duflo est titulaire de la chaire Pauvreté au Collège de France.
L'économiste Esther Duflo est titulaire de la chaire Pauvreté au Collège de France. (Crédits : Reuters)

« Le dérèglement climatique peut tout changer ». Lors de sa leçon inaugurale au Collège de France en novembre 2022, l'économiste Esther Duflo reconnue mondialement, tirait la sonnette d'alarme au sujet des conséquences dramatiques de la montée des températures sur la pauvreté dans les pays en développement. « Les pays pauvres ont le malheur de se trouver dans des endroits où il fait déjà chaud [...] L'impact sur la mortalité est beaucoup plus fort dans les pays pauvres. D'ici 2100, 73 millions de personnes pourraient mourir du fait du changement climatique ».

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Huit mois après, la question du réchauffement climatique et du financement de la transition est au cœur des débats du sommet organisé jeudi et vendredi par la France pour une nouveau pacte financier mondial. Après l'échec de la COP 27 en Egypte, le président français Emmanuel Macron a voulu réunir à Paris pendant deux jours une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement pour rebâtir les règles du système financier international héritées du XXème siècle. Dans ce contexte, Esther Duflo organisait un colloque au Collège de France ce jeudi 22 juin sur le thème de « la science et de la lutte contre la pauvreté ».

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En guise d'introduction, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a rendu un hommage aux travaux de l'économiste dans un amphithéâtre rempli. « Cela fait du bien de voir un chercheur de ton niveau mettre de la raison dans le débat public là où parfois règne le bruit et la fureur. Tu mènes un combat juste contre la pauvreté », a-t-il déclaré. Pourtant, La professeure au MIT n'avait pourtant pas manqué de tacler les choix de l'exécutif en matière de réforme sociale dans un entretien accordé à La Tribune il y a quelques semaines.

La pandémie, la guerre en Ukraine et la crise climatique aggravent la fracture Nord/Sud

L'économiste de renom a dressé un tableau particulièrement contrasté de l'économie mondiale. Depuis le début des années 1990, « la pauvreté extrême a été divisée par deux. La mortalité maternelle et infantile ont été divisées par deux », a rappelé l'enseignante. Les conditions de vie des plus pauvres « se sont améliorées. Mais cela n'est pas dû aux transferts des pays du Nord vers ceux du Sud mais plutôt aux politiques publiques de ces pays ». « Les objectifs de développement humain ont donné une liberté d'action à ces pays. Les gains sur la pauvreté extrême sont visibles dans tous les pays », a-t-elle déclaré lors d'une intervention devant la Commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale le mercredi 21 juin. « Tout allait bien jusqu'en 2019. Mais la crise du Covid a créé une urgence économique et sociale dans les pays les plus pauvres ».

Le choc économique « a été beaucoup plus important dans les pays pauvres ». Les pays riches ont dépensé « l'équivalent de 27% de leur PIB en mesures de soutien contre 2% dans les pays pauvres ». La pandémie « a poussé des millions de personnes dans la pauvreté extrême. Au moment de la reprise, les économies des pays riches ont pu rebondir rapidement. Ce n'est pas le cas des pays pauvres ».

L'autre événement majeur pointé par l'économiste est la guerre en Ukraine. « La hausse des prix des produits alimentaires a conduit à d'immenses crises en Egypte ou dans d'autres pays africains ». Enfin, elle a mis en garde contre les effets terribles de la crise climatique. « Les pays africains ne contribuent en rien au changement climatique. Les Américains et les Européens en revanche beaucoup plus [...] Les coûts en terme de vie humaine seront beaucoup plus importants dans les pays pauvres ».

« Une crise de légitimité du système financier international »

Le sommet organisé cette semaine à Paris est révélateur « d'une crise de légitimité du système financier international », a souligné l'ancienne conseillère du président américain Obama. Lors de son propos liminaire, le ministre de l'Economie français a d'ailleurs reconnu les failles de ce système imposé par les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale à Bretton Woods. « Depuis 1944, on a mis en place des institutions cherchant à défendre les intérêts des nations occidentales [...] Il faut que ces institutions gèrent dorénavant les conséquences du réchauffement de la planète », a reconnu Bruno Le Maire.

Le locataire de Bercy a notamment évoqué une révision du rôle des banques multilatérales comme la Banque mondiale. « Leur objectif principal est la lutte contre la pauvreté mais elles ne luttent pas contre le réchauffement climatique. Pourtant, les pays à souffrir en premier lieu sont les économies en développement  », a-t-il expliqué. Il a également évoqué l'option « d'une taxe sur le transport maritime mondial » pour financer la lutte contre le réchauffement climatique.

20 ans d'expérimentations dans le monde et en France

Face à la pauvreté, Esther Duflo a promu partout sur la planète la méthode expérimentale en économie, une approche débattue dans les milieux académiques. Le principe est d'évaluer des politiques publiques à partir de méthodes quantitatives et d'expériences de terrain. L'objectif est que « les politiques sociales s'appuient sur des preuves scientifiques ». Avec les laboratoires J-Pal, ses équipes ont mené des travaux en Afrique et en Inde dans la lutte contre la pauvreté. Mais aussi en Europe et en France. Plusieurs décideurs ont mené des réformes à partir de ce type de méthode.

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C'est par exemple le cas de la transformation du RMI en RSA menée par l'ancien haut-commissaire aux solidarités Martin Hirsh à la fin des années 2000. « Cette expérimentation a d'abord été imparfaite. Mais elle a montré que le dispositif  avait 9 chances sur 10 d'aboutir à un retour de l'emploi des allocataires de minimas sociaux », a souligné l'ancien président de l'APHP présent lors du colloque. D'autres opérateurs de l'Etat comme Pôle emploi ont également fait appel à ce type de méthode. « Bien qu'en expansion, beaucoup de politiques publiques sont encore menées sans expérimentations », a regretté Martin Hirsch. Reste à savoir si les gouvernements vont tendre l'oreille à cet appel.

Grégoire Normand
Commentaires 3
à écrit le 23/06/2023 à 10:47
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73 millions de mort, c est rien du tout. il y aura presque 10 milliards d humains. Il faut etre clair, si on veut reussir a reduire le rechauffement climatique, il va failloir reduire serieusement la population. L egypte etiat le grenier a ble de ro...

le 23/06/2023 à 13:54
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Il serait, en effet, plus intelligent de reduir la hausse de la population mondiale.. C' est l' activite humaine qui tue la planette, l' argent n'y freara rien!

à écrit le 22/06/2023 à 19:30
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Aurait elle découvert que la monnaie est la contrepartie de nos vies ?

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