Ukraine : l'économie plombée mais pas coulée

Kiev a confirmé la semaine dernière la chute abyssale de son PIB de 29,1% en 2022. L'activité du pays ne s'est toutefois pas totalement écroulée. Grâce à l'aide internationale et à la relocalisation de l'économie à l'ouest du pays, employés et patrons tentent de maintenir l'économie debout pour donner les moyens à la nation de résister à la guerre que mène la Russie sur son territoire.
Un ouvrier dans une usine d'armement de Kharkiv, le 16 mars.
Un ouvrier dans une usine d'armement de Kharkiv, le 16 mars. (Crédits : Reuters)

Comment fait-on tourner une économie sous les bombes ? L'Ukraine, sous le feu russe depuis quinze mois mois, offre un exemple frappant d'« économie de guerre résiliente ».

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Pourtant, sur le tableau de bord, tous les voyants sont au rouge. Après avoir enregistré une croissance post-Covid de +3,4% en 2021, le PIB a dégringolé de 29,1% un an plus tard d'après les dernières données publiées jeudi dernier, quand les finances sont au bord du défaut de paiement selon Moody's. La machine économique n'a pourtant pas cassé net sous le choc de la guerre et garde de l'allant.

Dans un pays de 43 millions d'habitants, amputé de 20% de son territoire et privé de millions d'actifs, exilés et ou convoqués sous les drapeaux, les statistiques de croissance et de déficit n'ont plus une grande signification. L'essentiel est ailleurs pour les salariés et les patrons ukrainiens. Lesquels s'emploient à maintenir leurs entreprises debout pour permettre à la Nation de résister.

« Sur le front économique »

« En venant travailler, les Ukrainiens ont le sentiment d'être sur le front économique. Nos 2.500 salariés n'hésitent jamais à aller rouvrir les agences reconstruites. L'organisation du travail est même plus efficace depuis la guerre », raconte à La Tribune Carlos de Cordoue, directeur général du Crédit Agricole en Ukraine. Cinq agences de sa filiale ont été détruites, deux sont sous la main de banques russes en territoire occupé, mais le reste du réseau bancaire reste ouvert, quand il n'est pas en réparation comme à Kherson.

Après avoir quitté Kiev une semaine après l'invasion par l'ultime corridor laissé par les troupes russes, Carlos de Cordoue relativise la chute du PIB au regard de ce que le pays traverse. « Le -30% de croissance correspond aux territoires perdus par l'Ukraine, qui sortent de facto du PIB », tempère-t-il. « Quand on a quitté l'Ukraine, on ne savait même pas si on allait y revenir. On craignait qu'elle devienne une nouvelle Biélorussie. Il y avait une immense interrogation sur l'avenir », se rappelle-t-il. Le dirigeant a regagné le pays dès le mois de mai.

A mesure que l'armée russe a desserré son emprise de la banlieue de Kiev et du Nord du pays, l'économie figée par le choc de la guerre a commencé à reprendre vie au printemps 2022. Le déblocage de la mer Noire pour les navires céréaliers en juillet et la contre-offensive ukrainienne en septembre ont apporté un peu plus d'air. Enfin, le retour progressif des femmes réfugiées à l'étranger redonne des forces vives au pays.

Semblant de normalité entre couvre-feu et bombardement

« Aujourd'hui, il y a un semblant de normalité à Lviv ou à Kiev. Les magasins sont approvisionnés, les restaurants ouverts, les métros fonctionnent malgré le couvre-feu et les alertes aux bombardements », rapporte Maud Joseph, directrice de la chambre de commerce franco-ukrainienne qui se rend régulièrement à Kiev. « Il y a trois mois, c'était différent. Les coupures de courant de plusieurs heures étaient fréquentes à Noël ».

Pour autant, rien n'est vraiment comme avant. Le « black-out » total, un des objectifs du pilonnage des infrastructures électriques par l'artillerie russe, menace. Le pays a perdu 45% de la capacité de ses centrales nucléaires, et 75% de ses centrales thermiques d'après le gouvernement. Alors, les Ukrainiens activent le système D : on se connecte aux réunions sur internet par Starlink (le réseau internet depuis l'espace de SpaceX, la firme d'Elon Musk) et on s'éclaire avec ses propres générateurs d'électricité. L'espace aérien et la mer sont fermées ? La fret ferroviaire et routier accélère, notamment vers l'ouest.

Les combats ont redessiné le paysage économique ukrainien. La guerre a arraché à l'Ukraine le cœur de son industrie depuis l'URSS : le Donbass, sa métallurgie et sa sidérurgie, en ruine comme le complexe Azovstal de Marioupol après son siège par les troupes russes.

Ruée vers l'ouest

Comme leurs ouvriers, les usines migrent loin de la ligne de front, amplifiant la bascule économique vers l'Europe amorcée dès 2014. Les multinationales de l'agroalimentaire Nestlé et Unilever viennent d'investir plusieurs dizaines de millions d'euros dans deux nouvelles usines, respectivement près de la frontière polonaise et dans la banlieue de Kiev.

« Au bout de trois semaines de guerre, Volodymyr Zelensky a réclamé aux entreprises de continuer leur activité. Du Crédit Agricole à la Société Générale, en passant par FM Logistic, L'Oréal ou Yves Rocher, toutes les entreprises françaises sont restées », défend Maud Joseph de la CCI France-Ukraine.

Les investissements privés demeurent cependant rares dans un contexte aussi incertain. Les grands pans de l'économie ukrainienne souffrent, particulièrement l'agriculture qui pesait 15% du PIB, 20% des emplois et 40% des exportations en temps de paix. La reprise du transport de céréales a permis aux exploitants de reconstituer en partie leur trésorerie, grignotée par des coûts de fret et d'assurance en hausse.

A l'image des autres secteurs, l'aide internationale alimente tout le pays. L'Etat ukrainien compte combler son déficit de 38 milliards d'euros en 2023 avec les fonds de ses alliés occidentaux. Cet argent irrigue également le système bancaire.

 « Le crédit a baissé d'un tiers mais les entreprises trouvent encore des financements. La BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) nous aide avec un programme de garantie très importantes sur les prêts », explique Carlos de Cordoue du Crédit Agricole Ukraine qui souligne que la solidité du secteur bancaire fait tenir ce qu'il appelle une « économie de survivance, au jour le jour ».

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Le verbe « tenir » revient aussi dans la bouche de Volodymyr Vakhitov lorsqu'il décrit la situation économique de l'Ukraine. Enseignant à la Kyiv School of Economics, université qui évalue les dommages de guerre, cet économiste reconnaît la difficulté d'affronter une crise aussi totale. « On a perdu le tiers de nos infrastructures, et on subit une crise démographique grave. Les gens tiennent comme ils disent, mais nos ressources s'épuisent ».

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