La République du Salvador fait du bitcoin une monnaie d'échange légale

Nayib Bukele, président quadragénaire et ancien businessman, va présenter un projet de loi autorisant les transferts d'argent en bitcoin hors des frontières, et en dehors du système bancaire classique. Une première qui vient apporter un soutien de taille à la cryptomonnaie encore critiquée par les institutions gouvernementales.
Jeanne Dussueil
Le président salvadorien Nayib Bukele, un quadragénaire élu en 2019 en s'étant présenté comme une troisième voie aux deux partis de droite et de gauche.
Le président salvadorien Nayib Bukele, un quadragénaire élu en 2019 en s'étant présenté comme une troisième voie aux deux partis de droite et de gauche. (Crédits : JOSE CABEZAS)

Pour la première fois, la plus célèbre des cryptomonnaies va cohabiter avec une monnaie d'État. Le président Nayib Bukele a annoncé samedi la légalisation du cours du bitcoin dans son pays, la République du Salvador. Ce projet de loi qui sera prochainement présenté est d'autant plus inédit que dans cet Etat d'Amérique centrale d'environ 6 millions d'habitants, la monnaie officielle en circulation est le dollar américain. Le symbole est donc double pour cette actif numérique développé sur la technologie décentralisée de la blockchain, et qui ne cesse de gagner en notoriété : s'émanciper de la monnaie états-unienne et, pour la première fois, permettre aux citoyens d'échanger de l'argent en dehors du système monétaire classique.

« La semaine prochaine, j'enverrai au Congrès un projet de loi qui convertira le bitcoin en monnaie légale », a déclaré M. Bukele dans un message vidéo présenté lors de la conférence Bitcoin 2021 qui s'est tenue dans la ville américaine de Miami début juin.

Ce propos, issu d'un chef d'Etat, tranche aussi avec la position d'ordinaire adoptée par les dirigeants ou les représentants d'institution. En France, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire prône davantage la surveillance d'activités terroristes ou de blanchiments et la mise en garde de cette cryptomonnaie lancée en 2009, déjà valorisée plus d'un trillion de dollars. L'ancienne patronne de la Fed et actuelle secrétaire au Trésor de Joe Biden, Janet Yellen, le jugeait aussi « extrêmement inefficace ».

Une position officielle aux antipodes de celle du président salvadorien, un quadragénaire élu en 2019 en s'étant présenté comme une troisième voie aux deux partis installés de droite et de gauche. Dès 2017, le président salvadorien avait apporté un soutien officiel à la cryptomonnaie qui s'échange sans intermédiaires bancaires dans un écosystème informatique de pair-à-pair. Dans un tweet, il écrivait : « Ben oui, c'est officiel, on utilisera Bitcoin », en mentionnant le compte de la très officielle Banque centrale du Salvador. Sur sa photo de profil du réseau, il y adopte d'ailleurs les « yeux laser » rouges, une tendance également suivie par le patron de Tesla Elon Musk ou encore une sénatrice américaine, et qui est adoptée par tous ceux qui admirent les performances du cours du bitcoin, globalement en croissance depuis sa création.

Des économies sur les transferts, pour une population non bancarisée

Nayib Bukele, ancien businessman, y voit aussi un intérêt. L'objectif est en effet de générer des emplois et de « permettre une inclusion financière à des milliers de personnes qui sont en dehors de l'économie légale », a-t-il expliqué, précisant que « 70% de la population n'a pas de compte en banque et travaille dans l'économie informelle ».

Aussi, dans l'économie dollarisée du Salvador, les envois de fonds des Salvadoriens depuis l'étranger sont un soutien important et équivalent à 22% du produit intérieur brut (PIB). Cette possibilité donnée par le bitcoin, qui s'achète et se vend sur des plateformes spécialisées, est d'ailleurs un véhicule de transferts utilisés par les travailleurs mexicains passant la frontière pour travailler aux Etats-Unis. En 2020, 40 milliards de dollars ont été envoyé aux familles dans le pays d'origine, envoyées notamment via la plateforme mexicaine spécialisée Bitso, selon le média local mexiconewsdaily.com.

Aussi, selon Nayib Bukele, le bitcoin représente « le moyen à la croissance la plus rapide pour transférer » ces milliards de dollars d'envois de fonds et pour éviter que des « millions de dollars » n'aillent dans les poches d'intermédiaires.

« Grâce à l'utilisation du bitcoin, le montant reçu par plus d'un million de familles à faible revenu augmentera de plusieurs milliards de dollars chaque année. Cela améliorera la vie et l'avenir de millions de personnes », a affirmé le président.

« The Bitcoin Beach Initiative »

Au Salvador, le lobbying autour du bitcoin est très actif et la présence de son président à un colloque américain sur cette cryptomonnaie popularisée par des figures de proue telle le patron de Tesla Elon Musk, n'est pas un hasard. Depuis 2020, alors que peu possèdent un compte bancaire, les habitants d'un petit village côtier du pays nommé El Zonte peuvent réaliser leurs achats ou payer leurs études ou leurs factures en bitcoin. Un projet importé par un résident américain sous le nom de « The Bitcoin Beach Initiative » et qui s'est installé dans le village. L'initiative est développée via un porte-monnaie numérique sur une application mobile baptisée « Wallet of Satoshi » (du nom du créateur supposé du bitcoin), raconte Forbes.

Le gouvernement salvadorien n'a pas encore détaillé le projet de loi qui doit être examiné par le parlement, dominé par les alliés du président.

La dépendance aux dollars et à la production

Alors que le cours du bitcoin a été mouvementé ces dernières semaines car dépendants des annonces de pays producteur de son code telle la Chine, ou encore d'investisseurs tel Elon Musk, il est aujourd'hui évalué à 36.000 dollars.

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Pour être échangé, il nécessite encore d'importantes sources d'énergies issues des usines de « minage » informatique. Sans usage légal, il a aussi encore largement besoin d'être adossé à des monnaies dites « fiat », celles des Etats, pour avoir une traduction financière. Bien qu'il soit comparé par ses utilisateurs à « l'or numérique » avec de fréquents parallèles faits sur ces valeurs, sa référence reste le dollar américain.

Après l'enjeu de la bancarisation, l'usage des cryptomonnaies montrait qu'il prenait plus d'ampleur dans les pays où le cours de la monnaie officielle pouvait se montrer fragile ou plus exposé aux crises économiques, selon une étude menée en 2019/2020 par la société privée Chainanalysis. L'Ukraine, la Russie, le Venezuela, la Chine, ou encore le Kenya, se trouvaient ainsi dans les premiers pays du Top 20 de l'adoption des cryptomonnaies.

Enfin, la cryptomonnaie reste très volatile mais l'intérêt croissant d'institutions et d'entreprises considérées comme stables contribue à la faire peu à peu entrer dans les mœurs, au-delà des initiés. Sur un an, sa valeur a aussi quadruplé, atteignant aujourd'hui plus de 36.000 dollars contre moins de 9.700 dollars en juin 2020.

Made with Flourish

(Avec AFP)

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Jeanne Dussueil
Commentaires 2
à écrit le 07/06/2021 à 21:26
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Preuve est-il que Trump avait raison sur la probité du Salvador fuit par sa population...

à écrit le 07/06/2021 à 10:43
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La vache cela va bien plus vite que je pensais j'ai toujours du mal à prendre en compte l'accélération des phénomènes progressistes du fait d'internet. Et quand je dis que si nous avions des dirigeants européens éclairés plutôt qu’éteints ils feraien...

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