Chloé Morin, politologue : « Mathias Vicherat jugé coupable, sans plainte ni procès »

OPINION. Selon Chloé Morin, l'affaire Vicherat est marquée par le silence assourdissant de ceux qui, habituellement, dénoncent les dérives du wokisme.
Chloé Morin
Chloé Morin (Crédits : © JOEL SAGET/AFP)

Nous aurions tort de sous-estimer l'importance de ce qui se joue depuis une semaine à Sciences-Po, et de ce que cette affaire dit du débat sur les violences sexistes et sexuelles [VSS] en France. Rien ne va dans la manière dont la polémique se déploie autour de Mathias Vicherat, directeur de l'Institut d'études politiques de Paris, qui a passé quelques heures en garde à vue avec sa compagne pour des accusations mutuelles de violences. À commencer par son traitement médiatique. La dépêche AFP par laquelle le scandale est arrivé titre : « Le directeur de Sciences-Po Paris placé en garde à vue pour violences conjugales ». Aucune mention du fait que l'ex-compagne fut aussi en garde à vue, et que les accusations étaient réciproques. Pourtant, nul journaliste digne de ce nom n'ignore que l'immense majorité du public ne va pas au-delà du titre, et que les informations tronquées peuvent être relayées à l'infini. Chacun sait qu'inscrire « Sciences-Po » et « violences conjugales » dans un titre, c'est s'assurer la viralité d'un message qui joue sur des biais anti-élites et faire tourner la mécanique qui conduit certains à se réjouir des perversions réelles ou fantasmées de puissants qu'ils envient autant qu'ils les détestent.

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Le traitement médiatique de l'affaire est également marqué par le silence assourdissant de la plupart de ceux que l'on entend habituellement dénoncer les dérives du wokisme. Ce silence en dit beaucoup sur des élites politico-médiatiques en partie gagnées par la haine de Sciences-Po « temple du wokisme ». Et l'immense majorité de ceux qui se soucient en général du respect des principes et du droit ont sans doute peur de devenir eux-mêmes des cibles en prenant la défense de celui qui est accablé (à défaut d'être accusé). Le défendre, ce serait être suspect...

Face à ces voix muettes s'exprime la véhémence d'un militantisme toujours plus intransigeant, qui considère que la fin justifie tous les moyens, que la défense d'une cause juste - celle des femmes - autorise à jeter par la fenêtre l'éthique et la rigueur journalistique, mais aussi tous les principes et les droits les plus élémentaires. Personne ne sait à ce stade si Mathias Vicherat est coupable de violences, mais tout indique que son cas ne sera jamais traité de manière objective: parce qu'il s'agit de Sciences-Po, et parce que l'ont précédé des figures comme Olivier Duhamel, dont il devrait payer les fautes.

L'affaire est marquée par le silence assourdissant de ceux qui, habituellement, dénoncent les dérives du wokisme

Revenons-en aux faits: un homme et une femme ont passé un bon nombre d'heures en garde à vue, car s'accusant mutuellement de violences. Des éléments ont filtré dans la presse, sans être validés ni par les concernés ni par la justice qui enquête, et ils sont immédiatement devenus pour tous une réalité irréfutable. Or il n'existe à ce jour pas de plainte, et l'ex-compagne de Vicherat a dénoncé sur son compte Instagram l'« acharnement médiatique » sur leur vie privée, précisant que les « tristesses de couples » ne sont jamais toutes noires ou blanches.

Oui mais voilà : le gris n'existe pas aux yeux des militants radicaux qui se sont emparés du débat. Il n'y a que des malheureux et des coupables. Ce qui est ici assez nouveau, c'est que le débat public tourne à l'affrontement entre victimes et bourreaux sans même qu'il y ait besoin d'une mise en cause personnelle. Des étudiants considèrent que la possibilité d'une future accusation de violence émise par l'ex-compagne équivaut à une condamnation immédiate, sans contradictoire ni défense possible. Donc à une démission obligatoire.

La demande d'exemplarité formulée par certains étudiants est légitime. Mathias Vicherat a fait de la lutte contre les VSS un des marqueurs de son action. Quoi de plus normal que d'exiger que son comportement privé ne renie pas ses engagements publics ? Or nous dépassons ici les frontières du raisonnable car, pour prouver son exemplarité, Mathias Vicherat devrait non pas établir qu'il est innocent des faits dont on l'accuse, mais démontrer qu'il n'y aura jamais de dénonciation à son encontre. Peut-on lutter contre la rumeur? Jusqu'ici, le débat opposait ceux qui considèrent que la moindre accusation doit immédiatement conduire à la démission et ceux qui pensent que la démission ne doit avoir lieu qu'après condamnation par la justice. Nous basculons ici dans une ère où l'hypothèse d'une plainte future vaut désormais sanction.

Je souhaite m'adresser dans cette tribune à tous ceux qui espèrent s'en tirer en faisant profil bas face à l'escalade de la radicalité woke. À tous ceux qui pensent échapper à la mécanique implacable de la quête d'exemplarité en jetant en pâture un homme qu'ils croient moins exemplaire qu'eux: n'ayez aucune illusion, vous êtes les prochains sur la liste. Céder, ce n'est pas acheter la paix, c'est nourrir l'appétit de cette révolution. Celle-ci est par nature insatiable, puisque la pureté n'existe pas chez les êtres humains que nous sommes. Céder à Sciences-Po, institution à laquelle je suis attachée et où j'ai fait mes études, c'est s'assurer que Mathias Vicherat ne sera que le premier d'une longue liste. Et son dernier directeur non woke.

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Commentaires 3
à écrit le 12/12/2023 à 13:36
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On parle de Norman le youtuber accusé (à tord si on en croit le non lieu de la justice) et privé de ses revenus par Youtube avant même d'être déclaré coupable ?

à écrit le 11/12/2023 à 19:58
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Colere et inquiétude devant cettre resurgence insupportable de l antifeminisme debride. Il est coupable.

à écrit le 10/12/2023 à 9:52
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C'est ça la puissance médiatique cette capacité à anéantir un individu en un claquement de doigts. Mais cela fonctionne bien plus souvent dans l'autre sens permettant à des gens de devenir riches et célèbres en un claquement de doigts également.

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