Un conflit, deux interprétations. C'est le principal enseignement qui émerge d'une étude de l'Ifop pour Écran de veille auprès des Français musulmans sur la guerre menée par Israël contre le Hamas, qui sera dévoilée demain et que La Tribune Dimanche a pu consulter. Réalisée du 21 au 29 novembre, elle révèle que les musulmans ont une vision bien différente du conflit au Proche-Orient de celle du reste de la population française. La crainte des répercussions de la guerre dans l'Hexagone est le seul élément sur lequel les opinions convergent : 76 % des Français musulmans l'éprouvent, comme 82 % du total des Français. Sur les autres, les divergences sont patentes.
Prenons les attaques terroristes du 7 octobre perpétrées par le Hamas. Parmi les 1 002 Français musulmans sondés par l'Ifop, 45 % préfèrent qualifier ces attaques d'« actions de résistance contre la colonisation », contre 10 % de l'ensemble des Français. « Les atrocités commises ce jour-là contre des civils israéliens semblent moins susciter d'indignation dans les rangs des musulmans, décrypte François Kraus, directeur du pôle Politique et Actualités de l'Ifop, auprès de La Tribune Dimanche. Seule une minorité d'entre eux les qualifie d'actes terroristes [29 %, contre une moyenne nationale de 54 %] ou de crimes de guerre [26 %, contre 36 %]. »
Les exactions des colons israéliens en Cisjordanie occupée, elles, sont perçues comme un « nettoyage ethnique » par une large majorité (62 %) des Français musulmans, là où ce point de vue est assez minoritaire (38 %) dans l'ensemble de l'Hexagone. Cette vision sous-tend une autre divergence, qui concerne le soutien à l'Autorité palestinienne et qui découle, assez logiquement, du principe de solidarité religieuse : 59 % des Français musulmans (contre 10 % de la population totale) éprouvent de la sympathie pour le pouvoir à la tête de la Cisjordanie. Une minorité d'entre eux (19 %) se sent solidaire à l'égard du Hamas, organisation islamiste qui contrôle la bande de Gaza, bien qu'il s'agisse d'une proportion bien supérieure à celle (3 %) chez les Français en général. Elle atteint un niveau inquiétant chez les musulmans de moins de 25 ans (24 %) et chez les plus pratiquants : 28 % de ceux qui se rendent à la mosquée au moins une fois par semaine ont de la sympathie pour le Hamas.
Cette étude révèle autre chose de significatif. D'abord, pour les musulmans de France, le traitement médiatique du conflit au Proche-Orient est biaisé : 67 % d'entre eux estiment qu'il est « plutôt favorable » à Israël, contre 38 % des Français en général. Chez les musulmans, cette proportion s'accroît avec le niveau de diplôme, le chiffre s'élevant à 79 % pour ceux qui ont davantage que le baccalauréat. C'est dans l'électorat de Jean-Luc Mélenchon que ce sentiment est le plus prégnant : 79 % des Français musulmans qui ont voté pour le leader Insoumis considèrent que nos médias sont partiaux sur ce thème.
Il en va de même s'agissant du positionnement de la France vis-à-vis d'Israël. Plus que tous les autres candidats à la présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon est celui dont les électeurs musulmans sont les plus nombreux (75 %) à penser que notre diplomatie penche en faveur de Tel-Aviv. Globalement, 58 % des Français de confession musulmane jugent que l'Hexagone est « plutôt du côté d'Israël », contre 20 % dans la population générale. Selon François Kraus, « il faut sans doute y voir l'impact de l'interdiction initiale des manifestations en soutien aux Palestiniens, les positions controversées de certains membres de la majorité sur le conflit ou encore la promesse d'Emmanuel Macron de s'engager dans une coopération militaire aux côtés d'Israël ».