10,2 milliards d'euros : c'est la coquette enveloppe que la Commission européenne va débloquer en faveur de la Hongrie. Bruxelles justifie cette décision par les réformes entreprises par Budapest pour respecter une série de conditions visant à améliorer l'indépendance du système judiciaire hongrois, dont la dernière a été votée mardi soir. « Les Hongrois ont tout fait pour que nos dernières demandes soient satisfaites par des textes adoptés cette semaine », a déclaré à l'AFP le commissaire européen à la Justice Didier Reynders ce mercredi 13 décembre.
Pour rappel, l'UE a gelé au total 21 milliards de fonds européens destinés à la Hongrie, en raison des manquements à l'État de droit reprochés à Budapest. Pour se conformer aux exigences de Bruxelles et obtenir ces fonds, le pays a pris différentes mesures depuis juin, visant notamment à rétablir le pouvoir et l'indépendance du Conseil national de la magistrature, modifier le fonctionnement de la Cour suprême et limiter les possibilités de recours du gouvernement devant la Cour constitutionnelle pour contester les décisions des tribunaux.
« Je tiens quand même à faire remarquer que c'est la première fois, grâce à la pression financière, qu'on obtient des réformes du pouvoir judiciaire en Hongrie », a souligné le commissaire européen, appelant à regarder « le verre à moitié plein ».
Accusation de chantage et pot-de-vin
C'est surtout le calendrier de l'annonce du feu vert bruxellois qui suscite les critiques. Elle intervient à la veille d'un sommet européen entre les Vingt-Sept, qui se tient ces jeudi et vendredi à Bruxelles. Au menu de ce rendez-vous : l'ouverture de négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'UE et l'approbation d'une aide européenne de 50 milliards d'euros au pays, sous forme de dons et de prêts.
Or, le Premier ministre hongrois, seul dirigeant de l'UE à avoir maintenu des liens étroits avec le Kremlin après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, menace de bloquer ces décisions clés. Ce mercredi encore, il a déclaré devant son parlement que les Européens feraient une « terrible erreur » s'ils acceptaient d'ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Ukraine. « Nous devons l'empêcher même si les 26 autres membres sont d'une autre opinion », a-t-il martelé.
Des élus reprochent donc à Bruxelles d'avoir « cédé au chantage » du Premier ministre hongrois.
La présidente de la Commission européenne Ursula « von der Leyen verse le plus gros pot-de-vin de l'histoire de l'UE à l'autocrate et ami de Poutine, Viktor Orban. Le signal est désastreux : le chantage (...) porte ses fruits », a réagi l'eurodéputé allemand Daniel Freund (Verts).
Les présidents de quatre groupes du Parlement européen, Manfred Weber (PPE, droite), Iratxe Garcia Perez (socialistes et démocrates), Stéphane Séjourné (Renew Europe), Philippe Lamberts et Terry Reintke (Verts) ont écrit une lettre à la présidente de la Commission pour exprimer leur opposition à ce déblocage, jugeant que les conditions sur l'indépendance de la justice n'étaient « pas remplies ». Balazs Gaal, du Comité hongrois d'Helsinki (HCC) de défense des droits humains, a déclaré à l'AFP qu' « en termes d'État de droit, la Hongrie restait un mouton noir dans l'UE » et a regretté un « timing catastrophique ».
La Hongrie maintient sa position
Quant à Viktor Orban, il jure que cette décision ne changera rien à sa position de principe sur l'Ukraine. Il juge qu'il faut d'abord que l'UE ait un « débat stratégique » sur l'avenir de ses relations avec l'Ukraine avant tout nouveau rapprochement. Or, la majorité des pays européens et la Commission européenne estiment qu'il a déjà eu lieu. Et concernant l'aide financière, la Hongrie s'obstine pour le moment dans son refus, en dépit d'une très forte pression de ses partenaires.
« La position de la Hongrie s'est avérée réellement déplorable », a d'ailleurs fustigé la ministre finlandaise des Affaires étrangères Elina Valtonene ce lundi. Si bien que le chancelier allemand a lancé un appel à l'unité européenne ce même jour. « Et si nous formulons ce message depuis l'Europe (...), c'est aussi un message au président russe, qui espère manifestement que la volonté de nos pays de faire le nécessaire et de formuler son soutien s'estompe. Ce serait un message important si nous lui disions de ne pas compter là-dessus », a-t-il appuyé.
Retour en arrière possible assure Bruxelles
Ces 10,2 milliards débloqués seront en tout cas versés à la Hongrie sous forme de remboursements étalés jusqu'en 2030, avec une première tranche de 500 millions d'euros « dans les prochaines semaines », a précisé Didier Reynders.
« S'il y avait de nouveau des problèmes en matière de justice, à tout moment la Commission peut de nouveau suspendre les remboursements », a-t-il averti.
La Commission a expliqué que le reste des fonds destinés à la Hongrie était encore gelé en raison de préoccupations concernant la loi anti-LGBT, les atteintes à la liberté académique et au droit d'asile, les conditions de passation de marchés publics et les conflits d'intérêt. L'UE a aussi suspendu le versement des fonds du plan de relance hongrois d'un montant de 10,4 milliards d'euros (6,5 milliards de subventions et 3,9 milliards de prêts), en attendant des progrès en matière d'État de droit.
(Avec AFP)