Irlande : les élections législatives prévues le 26 février

Le premier ministre irlandais, Enda Kenny, a annoncé ce mercredi 3 février, que les élections auront lieu dans trois semaines. La campagne devrait être marquée par le rejet de l'austérité et aboutir à une absence de majorité claire.
Le président irlandais Michael O'Higgins (à gauche) signe le décret de dissolution du parlement et le remet au premier ministre Enda Kenny (à droite).

Enda Kenny, le Taoiseach (premier ministre) irlandais, a choisi de mener une campagne courte. Ce mercredi 3 février, il s'est rendu au Aras an Uachtaráin, la résidence officielle du président Michael O'Higgins, pour demander à ce dernier de dissoudre officiellement le 31ème Dáil, la chambre basse du parlement. Les élections pour renouveler cette chambre se tiendront le 26 février prochain à son renouvellement. La campagne sera donc extrêmement courte, pas plus de trois semaines.

Besoin d'une campagne courte

Ce n'est évidemment pas un hasard. Son parti, les Conservateurs du Fine Gael, ont, en effet, le vent en poupe dans les sondages. Selon le dernier publié par le Sunday Business Post, il obtiendrait 29 % des intentions de vote. En un an, il a gagné près de 10 points d'intentions de vote. Un effet du retour du pays à une croissance dynamique : la Commission européenne prévoit 4,5 % de croissance cette année après 6 % l'an passé. Le chômage a reculé de 1,5 point en un an pour repasser sous les 10 % à 8,5 % et le Taoiseach a présenté un budget 2016 de relance qui a été validé par Bruxelles.

Enda Kenny a donc besoin d'une campagne courte où il va se présenter comme le défenseur de la stabilité et de la continuité pour « finir le travail » engagé en 2011. Pour autant, la « victoire » d'Enda Kenny, si elle semble certaine (le Fine Gael compte neuf points d'avance sur le deuxième parti), risque d'être incomplète. Pour trois raisons.

Victoire incomplète attendue pour le Taoiseach

D'abord, parce que le Fine Gael accuserait, s'il demeure à 29 %, une baisse de son électorat de 7,1  points par rapport à 2011 (soit un recul d'un cinquième !), ce qui, compte tenu du bilan économique du gouvernement peut paraître étonnant, mais cette perte risque de l'affaiblir dans le futur Dáil. Ensuite, parce que le partenaire de coalition des Conservateurs, les Travaillistes, sont actuellement en plein désarroi. En 2011, ils avaient terminé deuxième avec 19,4 % des voix, mais, cette fois, ils sont donnés entre 6 et 10 % des intentions de vote. L'électorat du Labour s'est montré extrêmement déçu par la participation du parti au gouvernement Kendy. Son incapacité à jouer le rôle d'un défenseur dans l'exécutif de l'Etat-providence lui est donc fortement reproché. En tout donc, la coalition au pouvoir pourrait perdre jusqu'à 16 points par rapport à 2011, on est loin d'un triomphe. D'autant - et c'est le troisième point - que, dans ces conditions, construire une coalition risque d'être extrêmement difficile. Le Fine Gael et le Labour n'auraient ensemble que 39 % des voix, ce qui serait insuffisant pour disposer de la majorité. Il faudra donc bâtir une autre coalition, ce qui promet d'être une tâche délicate.

Un système électoral complexe

D'autant qu'il n'est pas aisé de connaître, avec de simples sondages, ce que sera le 32ème Dáil. En effet, le système électoral irlandais est fort complexe. Les 166 sièges sont en effet répartis selon le principe du « vote unique transférable », un système complexe de vote préférentiel multiple qui, en réalité, rend les sondages assez peu lisibles en termes de sièges. Ainsi, l'électeur doit établir un ordre de préférence et, si son candidat choisi en premier est éliminé ou élu, sa voix est transféré dans le décompte à son deuxième choix - voire davantage. En 2011, par exemple, le Fine Gael avait ainsi obtenu 45,7 % des sièges avec 36,1 % des voix. On estime qu'il faut atteindre 44 % des voix pour espérer avoir la majorité des sièges. Ce système électoral permet, par ailleurs, l'élection de nombreux indépendants. En 2011, les candidats non affiliés à des partis avaient obtenu 12 % des voix et 14 sièges (8,5 % du total). Ils pourraient cette fois récolter 16 % des « premières préférences. » Ces indépendants pourraient être utiles pour former une majorité, mais par nature, leur soutien est fort incertain.

Le Sinn Fein, deuxième force politique du pays ?

Du côté de l'opposition, la force montante est bien évidemment le parti de gauche nationaliste Sinn Féin (SF) de Gerry Adams. Le SF est donné par le sondage du Sunday Business Post à 19 %, soit près de dix points de plus que les 9,9 % récoltés dans la République en 2011. Pour la première fois, il pourrait donc devenir le deuxième parti du pays, dépassant les Libéraux du Fianna Fáil, donnés à 17 % comme en 2011, qui sont encore jugés responsables de la crise de 2008-2010 par la population. Certains sondages lui accordent encore plus de 20 % des intentions de vote. Le parti a certes perdu du terrain avec la reprise économique, mais il a clairement capitalisé sur sa critique de la politique d'austérité et sur l'abandon des services publics.

Attaques contre le Sinn Fein sur ses liens avec l'IRA

Car, derrière la façade de la croissance forte, la politique de la troïka a laissé des traces dans l'île verte et elle n'est pas populaire. La grande grogne des Irlandais l'an passé contre l'introduction du paiement de l'eau, jusqu'ici gratuite, a montré combien la population demeurait sensible à ces questions d'accès aux services publics et combien la détérioration de ces derniers a été mal ressentie en Irlande. Le Sinn Féin reste cependant freiné par ses liens avec l'Armée républicaine irlandaise (IRA) et ses actions violentes rejetées par la majorité des Irlandais. Beaucoup d'électeurs hésitent encore pour cette raison à soutenir ce parti et les adversaires du Sinn Féin en jouent. Les accusations sur ce thème sont quasi-quotidiennes dans la presse irlandaise contre le parti de Gerry Adams qui, malgré tout, semble résister.

Rejet du système

Le scrutin du 26 février devrait donc confirmer, malgré la reprise économique, l'effet destructeur qu'à l'austérité sur les systèmes politiques. La gauche anti-austérité, regroupant le Sinn Féin et l'Alliance contre l'Austérité (AAA), devrait obtenir entre 20 et 25 % des voix, les indépendants plus de 15 %. En tout, le rejet du système politique traditionnel pourrait donc frôler les 40 %. C'est dire s'il y a un risque d'instabilité au lendemain du 26 février. Si une « grande coalition » Fine Gael-Fianna Fáil est possible, elle sera indiscutablement délicate à construire, tant les deux partis ont combattu l'un contre l'autre pendant 5 ans.

Promesses d'améliorer les services publics

Aussi, Enda Kenny a-t-il, dans son annonce de ce mercredi matin, insisté sur les thèmes qu'il entendait mener dans cette campagne. Le bilan de son gouvernement semble insuffisant et son objectif est donc clairement celui de pouvoir inverser la politique menée depuis 2010. « Plus de travail, plus de salaire et plus de services publics », a martelé le Taoiseach. Le programme du Fine Gael, qui commence à être connu, n'est ainsi absolument pas un programme de rigueur, mais bien plutôt un programme de relance qui avait été anticipé par le très expansionniste budget 2016.

Le parti du premier ministre entend ainsi investir dans la santé et le logement, deux des principales préoccupations des Irlandais et des secteurs très touchés par les mesures d'austérité. Dès mardi 2  février, Leo Varadkar, l'actuel ministre de la Santé, a ainsi promis d'introduire des objectifs de temps d'attente dans les hôpitaux et les cabinets médicaux. Il entend aussi rétablir le remboursement des soins dentaires, étendre les congés maternité et développer les structures pour les personnes âgées. Un vaste programme de logements sociaux est également prévu dans un pays qui en a cruellement besoin. Pour agir, il prétend disposer de 12 milliards d'euros qui seront disponibles pour des dépenses supplémentaires d'ici à 5 ans. Ce dont les autres partis - et le conseil budgétaire indépendant - doutent.

Absence du thème fiscal

En revanche, le thème fiscal devrait être absent de la campagne. A l'exception du Sinn Fein, le système de faible imposition des entreprises (le taux d'imposition sur les sociétés est de 12,5 %) est défendu par l'ensemble des grands partis. L'actuel gouvernement ne souhaite, du reste, pas du tout qu'Apple rembourse les 19 milliards d'euros de taxes que la firme californienne lui doit. L'attractivité du pays repose principalement sur cette faible imposition et cela fait l'objet d'un large consensus politique.

Le Fine Gael entend donc remporter dans l'opinion avec des promesses de dépenses, pas des promesses de rigueur. Il entend s'opposer au Sinn Féin en lui coupant l'herbe sous le pied, pas en incarnant le succès de l'austérité, thème qui est, en réalité, assez peu populaire dans la République. C'est du reste la promesse de tous les partis qui rivalisent d'idées pour augmenter les dépenses et améliorer les services publics. Mais les effets de la politique de la troïka en Irlande, même une fois la croissance forte revenue, risque de se faire ressentir lors de cette élection.

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Commentaire 1
à écrit le 03/02/2016 à 19:22
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Le pays a avoir osé dit non aux créanciers se portent comme un charme donc sans que rien ne lui soit arrivé. Et en Islande c'est encore mieux:"Comment l'Islande a-t-elle réalisée ce «miracle»? En suivant, il faut bien le dire, le chemin inverse de ce...

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