Cela semblait impensable. Et pourtant ! L'euro est brièvement passé sous le seuil de un dollar, ce mercredi. La veille, il avait atteint la parité avant de remonter légèrement au-dessus du billet vert. Cette chute de la devise européenne a commencé il y a déjà quelques mois. Mi-mai, elle valait 1,035 dollar, son plus bas depuis ces cinq dernières années, contre 1,255 en février 2018.
C'est désormais un record vieux de 20 ans, soit depuis sa mise en circulation, que l'euro a battu. À la veille de son lancement, le 31 décembre 1998, le taux indicatif face au billet vert avait été fixé à 1,1668 dollar, et après la première journée d'échanges le 4 janvier, il montait déjà à 1,1837 dollar. Mais dès janvier 2000, face à une économie américaine en plein boom, la nouvelle monnaie a glissé sous le seuil de un dollar avant de sombrer à un plus bas historique à 0,8230 dollar fin octobre, malgré les premiers signes d'essoufflement de la croissance européenne. Lorsque l'euro commence enfin à être utilisé par les habitants des onze pays, en 2002, (aujourd'hui dix-neuf), les sombres perspectives économiques de la zone euro et des États-Unis convergent, et l'euro évolue autour de la parité, avant de franchir le cap de un dollar pour de bon à la fin de l'année, et ne plus repasser sous ce niveau avant ce mercredi.
Deux politiques monétaires différentes
Comme en janvier 2000, cet effondrement s'explique en partie par un dollar très fort. Ce dernier bénéficie de la politique de resserrement monétaire enclenchée par la Réserve fédérale américaine (Fed). Elle a, en effet, relevé ses taux directeurs dès le mois de mars d'abord d'un quart de point de pourcentage en mars, puis d'un demi-point le 4 mai. En juin, elle a annoncé un relèvement de trois-quarts de points de pourcentage, soit la plus forte hausse depuis 1994, pour tenter de contrôler une inflation au plus haut. Avec cette troisième hausse d'affilée, ses taux se situent désormais dans une fourchette comprise entre 1,5 et 1,75%.
De son côté, la Banque centrale européenne s'est, elle aussi, résolue à durcir sa politique monétaire face à une hausse des prix qui, si elle a d'abord été considérée comme « transitoire » par la présidente de la BCE, Christine Lagarde, ne cesse de s'aggraver mois après mois. Elle atteignait, en juin, 8,6% en moyenne dans la zone euro. En conséquence, la BCE a opté pour un relèvement de ses taux directeurs de 25 points de base en juillet, avant une seconde hausse en septembre. Soucieuse de préserver une croissance européenne en berne, l'institut monétaire s'est bien gardé d'agir de manière trop brutale de crainte de provoquer une récession.
Mais cette stratégie ne profite pas à sa monnaie unique qui pourrait voir l'écart avec le dollar se creuser davantage si la Fed optait pour une nouvelle hausse de ses taux. Une hypothèse probable compte tenu de la hausse des prix qui atteignait 9,1% en juin aux Etats-Unis, au plus haut depuis novembre 1981. « Le différentiel entre les politiques monétaires des deux bords de l'Atlantique risque, en effet, de s'accroître, car la Fed devrait continuer sur sa lancée, tous ses indicateurs économiques étant au vert. En revanche, la zone euro connaît un ralentissement économique et la BCE pourrait donc être contrainte de revoir à la baisse ses ambitions en termes de durcissement monétaire », prédit William Gerlach, directeur France d'iBanFirst.
Trop d'inquiétudes pèsent sur le Vieux Continent
Au-delà d'un dollar trop fort, la devise européenne souffre des inquiétudes concernant une possible crise énergétique qui planent depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février dernier. Celle-ci a entraîné une flambée des prix de l'énergie, mais surtout, la crainte d'une pénurie de gaz. Un scénario qui semble se rapprocher de jour en jour. En réponse aux sanctions prises par l'Union européenne, dont un embargo sur le pétrole russe, Moscou n'a eu de cesse de réduire les approvisionnements en gaz. Gazprom a récemment entamé des travaux de maintenance des deux gazoducs Nord Stream 1, entraînant une forte diminution des quantités livrées au groupe autrichien OMV. L'entreprise nationale d'hydrocarbures italienne, Eni, ne reçoit, elle, du géant russe plus que 21 millions de m3 contre 32 millions de tonnes en moyenne ces derniers jours, soit une diminution d'un tiers. Gazprom a carrément interrompu totalement les livraisons de gaz russe vers la Pologne et la Bulgarie, ces pays refusant de payer en rouble comme s'est mis à l'exiger l'énergéticien.
Très inquiète, l'Allemagne, toujours dépendante de la Russie pour 35% de ses importations de gaz, a d'ores et déjà activé, le 23 juin, le niveau 2, dit d'« alerte », de son plan d'urgence sur l'approvisionnement en gaz, soit le dernier palier avant l'organisation d'un rationnement par l'Etat, prévue dans la phase 3, afin de répartir les volumes entre particuliers, administration et industrie.
Les Vingt-Sept cherchent donc activement à remplir au maximum leurs réservoirs de stockage en prévision de l'hiver, période plus consommatrice. Bruxelles a, d'ailleurs, ordonné qu'ils soient remplis à 90% d'ici à la saison de chauffage, en novembre, avant de réviser cet objectif à 80%, face à l'ampleur du défi pour certains des Etats membres. Dernier épisode en date, venant confirmer les craintes européennes, Gazprom a affirmé, ce mercredi, ne pas pouvoir garantir le bon fonctionnement du gazoduc Nord Stream, se disant dans l'impossibilité de confirmer qu'il récupérera une turbine allemande en réparation au Canada. Il laisse ainsi entrevoir la possibilité d'une rupture des livraisons, tant redoutée.