C'est sur un ton résolument « hawkish » (priorité à la lutte contre l'inflation) que Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a posé les jalons, jeudi, de la normalisation de la politique monétaire en zone euro.
« C'est un monde nouveau et il faudra du temps avant que le marché digère toutes ces annonces. Nous sommes à un vrai point d'inflexion, même si nous sentions bien le vent tourner depuis près d'un an », estime Saïdé El Hachem, gérante obligataire chez Vega IM.
La Bourse a mal réagi et les indices européens ont accéléré leur baisse dans l'après-midi, autour de -1,5%, tandis que le taux de référence de l'obligation allemande à 10 ans a pris presque quinze points de base, avant de se stabiliser autour de 1,36%, évoluant au plus haut depuis 14 ans. Le taux à 10 ans de l'obligation française, l'OAT, a franchi, pour la première fois depuis mars 2014, les 2%, avant de refluer à 1,981%.
Lors de sa conférence de presse, dans la foulée de la réunion très attendue de la BCE, Christine Lagarde a bien insisté, à plusieurs reprises, sur un niveau d'inflation en zone euro « indésirable », qui ne peut s'expliquer par la seule augmentation des prix de l'énergie et des produits alimentaires due au conflit en Ukraine. Selon la BCE, près de 80% des biens et services connaissent une hausse de plus de 2% des prix, la croissance est toujours là, de l'ordre de 2% par an jusqu'en 2024, et les salaires commencent à grimper, notamment en Allemagne, sans mentionner (encore) de spirale inflationniste. Mais le temps de l'inflation « temporaire » ou « importée » est désormais remisé au placard. Et la BCE entend bien, comme c'est d'ailleurs sa mission première, enrayer l'inflation en utilisant tous les leviers à sa disposition.
Cycle de hausses
Cela passe tout d'abord par un nouveau cycle de hausse des taux directeurs, qui va commencer dès juillet, avec une hausse de 25 points de base, sur les trois taux directeurs, et non pas seulement sur le taux de dépôt. L'ampleur de la prochaine hausse, en septembre, sera fonction des perspectives d'inflation mais déjà les marchés prennent pour acquis une hausse de 50 points de base. Le rythme de cette hausse devrait ensuite se poursuivre, de façon « graduelle et soutenue », avec sans doute un objectif de 2 % (contre un taux négatif de 0,5% actuellement pour le taux de dépôt), considéré par la BCE comme étant un taux « neutre », compte tenu d'un objectif d'inflation de 2% à long terme.
Toutefois, certains sur les marchés estiment que Christine Lagarde n'aura pas le loisir de mener à bien cet objectif à cause de la récession qui menace la zone euro. « Nous pensons qu'il sera difficile pour la BCE d'effectuer un retour rapide des taux directeurs en territoire positif compte tenu des contraintes de croissance et de fragmentation (du marché de la dette souveraine en zone euro, NDLR) », souligne une note de Fidelity International.
Le deuxième levier du raidissement de la politique monétaire concerne l'arrêt des programmes de rachats d'actifs PEPP et APP, sans toutefois aller, comme la banque centrale américaine, jusqu'à la réduction du bilan via la vente de ses actifs sur le marché. Prudente sur les conséquences de son virage monétaire, la BCE entend maintenir ses réinvestissements (lorsque les titres arrivent à échéance) et adopter en la matière une approche « flexible ».
En clair, la banque centrale est prête à cibler ses réinvestissements sur les pays périphériques de la zone, notamment l'Italie, pour éviter que la dette périphérique parte dans le décor. Le message a été reçu et le spread (écart de taux) entre la dette la plus sûre de la zone euro, le Bund Allemand, et la dette italienne est resté inchangé, autour de 200 points de base. Mais, l'arrêt de ces programmes de rachats va retirer beaucoup de liquidités, ce qui devrait accentuer la pression à la hausse des taux sur la dette souveraine et les marchés de crédit, note un gérant. Changer de cap, sans provoquer de panique, est toujours un exercice délicat sur les marchés de taux.