La victoire de David Cameron est-elle la victoire de l'austérité ?

La victoire des Conservateurs est souvent présentée comme une victoire de la politique d'austérité du gouvernement Cameron. Mais cette analyse mérite d'être très largement nuancée.
Un meeting conservateur durant la campagne électorale britannique.

L'occasion était trop belle. A peine connue la victoire des Conservateurs aux élections générales britanniques du 7 mai, les partisans des « réformes » en ont fait leurs choux gras, voyant dans ce résultat, comme un éminent éditorialiste libéral, « la victoire de l'austérité. » Même le chef des députés socialistes Bruno Le Roux, qu'il faut donc classer dans la catégorie susnommée, a proclamé que la victoire de David Cameron était le fruit de « son courage à réformer. » C'est de bonne guerre, car les partisans de l'austérité budgétaire avaient, il est vrai, dû faire profil bas, le 25 janvier dernier, lorsque les Grecs avaient balayé le gouvernement Samaras malgré les cris d'orfraies de l'Europe. Londres efface donc Athènes et prouve que l'austérité peut payer électoralement.

Victoire conservatrice

Sauf que tout n'est peut-être pas si simple. Evidemment, le succès de David Cameron est incontestable. Avec 331 sièges aux Communes, 24 de plus qu'en 2010, les Conservateurs obtiennent leur plus important contingent de députés depuis 1992 et le Premier Ministre britannique est le premier chef de gouvernement depuis Margaret Thatcher en 1983 à gagner des voix après un mandat. Et le fait qu'un parti puisse obtenir la majorité absolue des sièges avec 36,9 % des voix n'est pas en soi un scandale. Rappelons qu'en Grèce, Syriza et ses alliés eurosceptiques de droite des Grecs Indépendants (ANEL) dispose de la majorité absolue avec 41 % des voix. Bref, David Cameron n'a pas volé sa victoire. Mais, est-ce, pour autant, un « triomphe » ? Et, surtout, est-ce un triomphe de « l'austérité » ou des « réformes » ?

Miroir déformant du système électoral

Le système électoral britannique - qui attribue le siège de la circonscription au candidat arrivé premier, quel que soit son score - est un miroir particulièrement déformant. Aussi les 24 sièges supplémentaires arrachés par les Conservateurs ne sont-ils le fruit que d'une augmentation de 0,8 point du score en vote de ce parti. Ce que David Cameron est parvenu à faire, c'est maintenir ses positions de 2010, pas davantage. En ce sens, les Travaillistes du Labour connaissent une progression deux fois plus élevée de leur score électoral (+1,5 point à 30,4 %). Les circonscriptions prises par les Conservateurs aux Travaillistes sont peu nombreuses (quatre dont celle d'Ed Balls, le chancelier "de l'ombre") et elles sont compensées en partie par le phénomène inverse (deux). Les raisons du succès conservateur peut alors s'expliquer par trois phénomènes.

Effondrement libéral

Le premier, c'est l'effondrement du parti Libéral-démocrate qui a perdu 15,2 points à 7,9 % des voix. Dans de nombreuses circonscriptions jadis acquises à ce parti, l'effondrement de ce dernier a laissé les Conservateurs en première position, même lorsqu'ils ne progressaient peu. C'est notamment le cas dans le Sud-Ouest de l'Angleterre, en Cornouailles et dans le Devon, ou encore dans le Pays de Galles, zones traditionnellement libérales qui a, jeudi, envoyé une majorité de députés conservateurs aux Communes. Mais, il faut noter que l'affaiblissement des Lib-Dems n'a pas - ou peu - profité en voix aux Conservateurs. La coalition de David Cameron, qui a gouverné pendant 5 ans, a perdu des plumes en voix (près de 15 points de moins) et en sièges (23 sièges de moins) jeudi.

Poussée eurosceptique

Le second phénomène clé, c'est qu'une grande partie des déçus des Lib-Dems n'ont pas voté pour l'opposition classique, le Labour, mais pour le parti de Nigel Farage, le UKIP, notamment en Angleterre. Le UKIP gagne 9,5 points par rapport à 2010 avec 12,3 % des voix, mais il progresse de 10,7 points avec 14,1 % des voix sur la seule Angleterre. Or, comme le UKIP n'est pas assez fort pour emporter des sièges, ses voix se sont « perdues », tandis que le « manque à gagner » de cette montée eurosceptique pour le Labour l'empêchait de progresser suffisamment pour revenir contester la première place des Conservateurs. Or, si le UKIP est un parti favorable à l'équilibre budgétaire - comme tous les autres partis britanniques - il faut bien souligner que bien rares ont été les Britanniques à voter UKIP pour la cause de l'austérité. Ce vote est un vote de rejet de l'immigration et de l'Union européenne.

Le phénomène écossais

Dernier élément : l'Ecosse. Dans cette région, le parti national écossais, le SNP, a réalisé le seul « triomphe » de cette élection générale, obtenant 50 % des suffrages exprimés et 56 des 59 sièges en jeu. En 2010, il avait obtenu 20 % des voix et 6 sièges ! Dans cette région où les Conservateurs ne pèsent pas plus de 15 %, le raz-de-marée nationaliste s'est fait naturellement aux dépens des Travaillistes qui doivent céder 40 sièges. Le recul en sièges au niveau national du Labour, 26 sièges, s'explique donc uniquement par l'effet écossais. Car en dehors de l'Ecosse, le Labour progresse en sièges (16 de plus). Or, cette défaite travailliste en Ecosse ne saurait s'expliquer par une envie d'austérité ou de « réformes » au sens où l'entend Bruno Le Roux. Le SNP se place à la gauche du Labour et, malgré un programme parfois ambigu, est un des rares partis, avec les Verts (qui, on l'oublie, ont triplé leur score avec 3,8 % des voix, autant de voix qui ne sont pas allé aux Travaillistes), à s'être ouvertement présenté comme un parti « anti-austérité. »

Stabilité de l'électorat conservateur

L'analyse du scrutin britannique prouve donc qu'il n'y a pas eu d'adhésion massive des Britanniques ni au bilan de David Cameron, ni davantage à son programme de réduction drastique des dépenses publiques. Rien ne permet de dire qu'il existe au Royaume-Uni une « prime à l'austérité. » La débâcle des partenaires de coalition de David Cameron, les Libéraux-démocrates, le prouve. Les électeurs Lib-Dems de 2010 n'avaient pas voté pour la politique d'austérité du gouvernement. Logiquement, en 2015, ils ont donc sanctionné ce parti. Et bien peu ont rejoint le « partenaire » conservateur. Simplement, ce sont les Lib-Dems qui ont payé pour la politique du gouvernement. Les Conservateurs peuvent compter, eux, sur un socle d'électeurs fidèles, attachés aux principes d'orthodoxie financière. Dans le système électoral britannique, une telle fidélité est payée de retour. Surtout quand le principal parti d'opposition ne parvient pas à convaincre, comme c'est le cas du Labour. Mais il est faux de prétendre qu'il y a eu le 7 mai une « adhésion massive » à David Cameron.

Les Travaillistes auraient-ils dû défendre l'austérité ?

Mais pourquoi les Travaillistes n'ont-ils pas convaincus ? Une position plus « austéritaire » les auraient-ils sauvé ? On peut en douter. Compte tenu du positionnement du SNP, une telle position n'aurait pas permis de gagner des sièges en Ecosse. Or, on a vu que c'est dans cette région que l'affaiblissement travailliste a été la plus notable. Par ailleurs, le Labour se serait aliéné ainsi les électeurs Verts sans vraiment parvenir à convaincre ceux tentés par le UKIP, qui ne votent pas sur la question de l'austérité. Bref, parler d'un « triomphe de l'austérité » sur ces élections de 2010 n'a guère de sens.

Quel est le secret du « miracle économique britannique » ?

D'autant que, sur le plan économique, ce n'est pas « l'austérité » qui a permis le redressement du pays, mais bien plutôt l'apaisement de cette politique à partir de 2012 ainsi que la politique monétaire très accommodante de la Banque d'Angleterre, alors que la BCE restait inflexible. Il n'y a que dans les milieux libéraux français que l'on parle encore de « Big Society », ce concept qui devait cacher en 2010 l'austérité. Les Britanniques n'en parlent plus et même chez les Conservateurs, le terme est honni. La croissance britannique n'est pas une croissance portée par des « réformes », c'est une croissance qui se fondent encore sur des déséquilibres importants : déficit budgétaire de 5 % du PIB, déficit courant de 5,5 % du PIB, fort endettement des ménages, faiblesse de la production industrielle. Ceci ne fait pas de la croissance britannique forcément une « mauvaise croissance », mais ce n'est pas une croissance produit par la politique du gouvernement Cameron. Il est logique cependant que le premier ministre ait profité de la bonne santé de l'économie britannique. Mais il y a là, comme dans le cas du « triomphe électoral » un effet d'aubaine dont il n'est guère l'auteur. Utiliser le cas britannique pour relancer l'antienne sur la nécessité d'une bonne cure d'austérité en France est donc un travestissement de la réalité. C'est le fruit d'une campagne de communication, non pas de la réalité économique et politique du Royaume-Uni.

Le site de la BBC donne les résultats détaillés des élections britanniques.

Commentaires 22
à écrit le 12/05/2015 à 14:16
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400 000 fonctionnaires de moins et surtout une part du PIB marchand / PIB total qui augmente de plus de 7% (la part de l'Etat est passé de 47% à 40%). A part ça il ne c'est rien passé au niveau de l'austérité.... et bien sûr tout est dû à la politiqu...

à écrit le 12/05/2015 à 3:41
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Bien vu. Le gouvernement de Cameron n'a pas appliqué les recettes de Thachter (bien qu'il s'apprête à le faire maintenant...). Dans son gouvernement précédent, il a "simplement" diminué les transferts budgétaires au niveau local (et vers les entité...

à écrit le 12/05/2015 à 0:04
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Un père la victoire, est-ce du rentier? Aller dans le siècle sans technologies, comme on allait en 14 contre des mitrailleuses ou en 40 sans chars, ou en euro fort en sous compétitivité, aurons-nous un procès en suicide euro ? L’industrie en France, ...

à écrit le 11/05/2015 à 23:33
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Avec un déficit de 5% du PIB et une planche à billets véloce, je comprends que les anglais soient euro-septiques. Cette analyse est très bonne et donne les outils pour apprécier les prochaines orientations politiques de David Cameron. Merci

à écrit le 11/05/2015 à 21:38
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Concernant les victoires ou les foires électorales, avons-nous trouvé le petit Damien, le petit Clamart et le petit Ravaillac alors qu'on parle de Rastignacs? C'est marrant les rats stignac, ça veut dire quoi? Pour dame ien, n'est-ce pas bizarre. Et...

à écrit le 11/05/2015 à 17:26
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Merci pour cette analyse honnête et indépendante; les français ont besoin de ce type d'analyse pour se reconcilier avec la presse.

à écrit le 11/05/2015 à 17:22
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S'il existe une victoire par austérité, c'est comme une Terre en vue du haut de la vigie ou bien une illusion comme dans un petit tour dans le désert? Au départ de l'Hermione, n'est-ce pas les valeurs français qui voguent vers d'autres rivages? A l...

à écrit le 11/05/2015 à 17:16
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Astérix, Tragicomix et le chef gauloise Gragobert. Il y aurait une victoire électorale par austérité ? Pour la croissance on publie selon l’OCDE, USA 3,1, puis 3,0 pour 2015 et 2016, Zone euro 1,4 puis 2, Allemagne 1,7 puis 2,2, Canada 2,2, France 1,...

le 11/05/2015 à 22:02
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Mis à part le début de votre post, le reste est quasiment incompréhensible...

le 11/05/2015 à 23:19
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@Gratifix qui a abusé de la potion, ou alors peut-être un mélange? D'autres organismes ont corrigé leur prévisions en avril et donnent pour 2016 une croissance de la France supérieure l'Allemagne et à l'Angleterre. Les chiffres corrigés devraient ...

à écrit le 11/05/2015 à 14:59
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La presse est un peu une auberge espagnole. On y trouve ce à quoi on croit. L'Angleterre avec ses déficits encore plus élevés que les nôtres et sa politique monétaire accommodante ne me semble pas effectivement un modèle d'austérité. La différence pr...

à écrit le 11/05/2015 à 14:26
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« Il n'y a pas de politique économique de droite ou de gauche, il y a des politiques économiques qui marchent et d'autres qui ne marchent pas. » TONY BLAIR Assemblée Nationale 1998. Cette victoire est celle d'un bilan économique,de l'austérité ...

le 11/05/2015 à 16:26
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Pourquoi j ai pas ris à cette blague ? Et celui qui rit risque d être comme la vache qui rit sans comprendre de quoi elle rit. Si ça vous intéresse , je sais pourquoi elle rit !

à écrit le 11/05/2015 à 14:10
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Bonn analyse, comme toujours, de R.Godin. Les Anglais ont voté "néo-libéral", austérité et réduction de l'Etat providence (Plutôt ce qu'il en reste en GB...)Après tout, si ça leur convient et apparemment rien d'anti-démocratique, juste un peu la conn...

à écrit le 11/05/2015 à 13:53
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Le fait que Cameron soit un peu plus libéral que Sarkozy ne fait pas de lui un grand libéral dans l'absolu. Par ailleurs, effectivement, pour un Etat panier percé comme le Royaume Uni, se serrer la ceinture d'un cran fait ressembler cet effort à de ...

le 11/05/2015 à 20:34
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Penser que Sarkosy est libérale c'est la blague de l'année Il n a réforme pratiquement rien en 5 ans et la réforme des régimes spéciaux a fini par nous coûter plus cher Il est dans la ligne de nos présidents un opportuniste

à écrit le 11/05/2015 à 13:18
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A nouveau, excellente analyse. Là, vu le déluge, la GB doit craindre encore plus le prochain crash à venir...

le 11/05/2015 à 20:09
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Est-ce que Mr Godin est capable d'écrire un article non-partisan ???

à écrit le 11/05/2015 à 11:59
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Il y a une différence en une austérité que l'on s'impose et une austérité que l'on nous impose comme si nous étions sous l'occupation!

le 11/05/2015 à 12:15
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Oui nous sommes réellement dans un pays anti liberté et de surveillance étroite ou tout est remis en cause perpétuellement pour augmenter les règlementations et lois et surtout pour que l'état enlève le maximum de liberté à tous pour etre certain de ...

le 11/05/2015 à 13:19
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Eeet ... Oui, vous vous sentez bien au RU. Racontez, pour voir..??

à écrit le 11/05/2015 à 11:38
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Comme l a dit Churchill ( parodie ) ; Certains ont voté pour autre chose que l austérité mais le libéral Caméron leur donnera l austérité.

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