Face à la concurrence du Bitcoin, la BRI et les banques centrales contre-attaquent

La Banque des règlements internationaux (BRI), avec les banques centrales, veut accélérer le lancement des monnaies numériques d'Etat et des systèmes de paiement pour le grand public, via la technologie blockchain, explique-t-elle dans une étude. Les causes de cette accélération des "CBDC" ne sont pas uniquement technologiques et servicielles pour les citoyens-utilisateurs. Face au développement du monde financier désintermédié et décentralisé du bitcoin se joue aussi la maîtrise du contrôle monétaire.
Jeanne Dussueil
Les expérimentations autour des CBDC des banques centrales se multiplient dans le monde. Sous la pression du bitcoin et des géants du Web, les institutions cherchent à s'unir pour accélérer.
Les expérimentations autour des CBDC des banques centrales se multiplient dans le monde. Sous la pression du bitcoin et des géants du Web, les institutions cherchent à s'unir pour accélérer. (Crédits : Reuters research, Harvard Kennedy School Belfer Center é Atlantic Council (Kraken))

Tandis que la notoriété et le cours du bitcoin, la doyenne des cryptomonnaies, ont fortement progressé pendant la crise Covid-19, la Banque des règlements internationaux (BRI) - considérée comme la banque centrale des banques centrales - entend aussi accélérer sur ces échanges émis via la technologie décentralisée de la blockchain, et ce, pour plusieurs raisons. Mais alors que le Bitcoin et ses petites sœurs reposent sur un registre de compte public, le projet de la BRI tout comme celui de Facebook avec la monnaie "Diem" (ex-Libra) se développent, eux, sur des blockchain privées et centralisées.

Battre monnaie pour leurs citoyens

Loin de laisser s'échapper de leurs prérogatives le pouvoir de battre monnaie pour leurs citoyens, la Banque des règlements internationaux (BRI) veut désormais actionner une collaboration étroite avec les banques et les systèmes de paiements pour lancer des monnaies numériques de banque centrale, selon une étude publiée mercredi. Il s'agit d'accélérer pour promouvoir des cryptomonnaies destinées cette fois au grand public.

Depuis l'accélération des géants du Web et les premiers travaux de Facebook dès 2018 sur la Libra, les banques centrales se penchent sur le sujet des "CBDC" (Central Bank Digital Currencies). Début 2020, la BRI rapportait d'ailleurs que 80% d'entre elles planchaient sur le sujet mais seules 10% de ces institutions en étaient au stade du projet pilote à la fin 2019, selon un sondage réalisé auprès de 66 banques centrales des pays développés et émergents.

Même la Banque de France s'y est mise en lançant un appel à projets en 2020 dans le but de créer un "euro digital". Le 18 juin dernier, l'autorité centrale a même indiqué avoir réalisé sa première transaction financière en cryptomonnaie. Concrètement, elle "a simulé l'émission de jetons de monnaie numérique de banque centrale sur une blockchain publique, en préservant le contrôle et la confidentialité des transactions, sur la base du développement et du déploiement" d'un contrat numérique dédié, a indiqué la Banque.

D'ailleurs, avec le "Projet Helvetia", la Banque de France, la Banque nationale suisse et le pôle d'innovation de la BRI avaient annoncé mi-juin s'associer pour mener une expérimentation sur des paiements transfrontaliers à partir de monnaies numériques.

Le soutien de Christine Lagarde

De son côté, la Banque centrale européenne doit décider dans le courant de l'été si elle lance à son tour un euro virtuel ou non. Christine Lagarde, sa présidente, l'a en tout cas soutenu, tout en mettant en garde sur le Bitcoin. C'est aussi le cas de la Réserve fédérale américaine qui doit publier le résultat de ses recherches cet été, en même temps que la BCE.

Même désir d'accélération outre-Manche, dans l'Angleterre post Brexit. Une monnaie numérique émise par une banque centrale serait une des "innovations les plus importantes de l'histoire" des institutions monétaires, a ainsi affirmé mi-juin Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d'Angleterre (BoE), lors d'une conférence organisée par la Banque des règlements internationaux (BRI). Et la BoE d'estimer que si les cryptomonnaies se démocratisaient, elles devraient être régulées avec la même rigueur que les transactions bancaires.

Enfin, alors que la Chine, selon plusieurs sources, a récemment fait fermer des usines de "minage" des cryptomonnaies dans plusieurs provinces capables de fournir la quantité importante d'énergie requise, elle travaille aussi sur son projet de yuan numérique, et ce, depuis 2014. L'objectif est de mieux contrôler les échanges, alors que le commerce mondial est aujourd'hui  libellé à plus de 80% en dollars. Aussi, l'Empire du Milieu a récemment interdit à ses banques de traiter ces transactions en cryptomonnaies.

L'enjeu du pouvoir monétaire

Si les banques centrales accélèrent, l'intérêt est d'abord technologique afin de  développer leurs services. Dans une étude publiée en mai 2021, la plateforme de gestion de cryptomonnaies Kraken citait ses motivations, interrogées d'ailleurs par la BRI et résumées dans un schéma.

Efficacité et optimisation des paiements, transferts d'argent internationaux, solidité du système... Les motivations des institutions bancaires se rejoignent. Viennent s'ajouter d'autres enjeux, rendus possibles par la technologie blockchain, tels la protection de la vie privée, le traçage des mouvements, ou encore la réduction des coûts.

BRI

« Un nouveau chapitre pour le système monétaire »

Le concept de monnaie numérique de banque centrale est désormais "arrivé à maturité", a estimé Hyun Song Shin, conseiller économique et chef de la recherche de la BRI, cité dans le communiqué accompagnant l'étude.

Elles peuvent ouvrir "un nouveau chapitre pour le système monétaire" tout en préservant "des caractéristiques essentielles de la monnaie" que "seules les banques centrales peuvent assurer", a-t-il ajouté, citant en particulier la "confiance" dans la monnaie.

De même, les monnaies numériques de banque centrale "pourraient constituer l'ossature d'un nouveau système des paiements numériques", a estimé le Français Benoît Coeuré, le chef du pôle d'innovation de la BRI, qui assureraient, elles, des "normes exigeantes".

Si l'ambition est désormais clairement affirmée, c'est aussi parce que le Bitcoin et les 9.000 cryptomonnaies recensées par le site Coinbase ont pris de l'importance auprès des investisseurs, mais aussi auprès des acteurs de la finance traditionnelle tels Goldman Sachs, BNY Mellon, Credit Suisse. De nouveaux gestionnaire d'actifs spécialisés, qui souhaitent répondre à la demande au travers de fonds indiciels sur des "stablecoin" adossés à des monnaies d'Etat, voient aussi le jour.

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Souveraineté, régulation, contrôle

Ainsi, deux mondes se dessinent : d'une part, la blockchain publique du Bitcoin, d'autre part les blockchains privées sur lesquelles les banques centrales vont tenter de s'unir. Au milieu, on trouve les stablecoins qui créent la jonction entre ces deux univers. A date, la valorisation totale pèse 2.000 milliards de dollars, soit plus que le montant du plan de relance américain de Joe Biden (1.900 milliards de dollars).

Face à d'autres blockchain privées, telle celle en projet chez Facebook, l'enjeu est aussi plus largement pour les Etats qui contrôlent les devises celui de la souveraineté monétaire.

En maîtrisant ces nouvelles technologies, les banques centrales, sous la houlette de la BRI, seraient aussi en mesure d'agir plus rapidement en matière de régulation de ces échanges. Pour l'heure, outre leurs projets internes liés au CBDC, les institutions oscillent entre interdiction, taxation ou expérimentation. L'union proposée par la BRI est donc une étape franchie.

Reste que pour les spécialistes, ces monnaies d'Etat auront du mal à faire de l'ombre aux cryptomonnaies existantes, dont une part de l'attrait provient précisément de l'absence de contrôle d'un Etat.

Le paysage mondial des CBDC

(Avec AFP)

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Jeanne Dussueil

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Commentaires 2
à écrit le 24/06/2021 à 14:57
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Le BitCoinCoin sans tête court toujours. La bêtise humaine est sans limites

à écrit le 24/06/2021 à 8:21
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Le problème des monnaies numériques D’État c'est que du fait de notre dictature néolibérale financière qui a massivement endetté nos États il n'y a plus de monnaie D’État il n'y a plus qu'un concept informel public privé ne profitant essentiellement ...

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