Pourquoi la stratégie de la Banque centrale japonaise fragilise l'économie du pays

Alors que la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne ou encore celle du Royaume-Uni ont déjà mis en oeuvre plusieurs relèvements de leurs taux pour lutter contre l'inflation, au Japon, où cette dernière se manifeste également mais reste à des niveaux largement inférieurs, l'institution financière nationale persiste à maintenir sa politique ultra-accomodante. Une stratégie qui pourrait néanmoins se retourner contre l'archipel, tant elle pénalise le yen par rapport au dollar et renchérit le coût des importations et donc l'inflation.
Jeudi, le dollar est passé brièvement au-delà du seuil symbolique des 145 yens, avant de rapidement redescendre en dessous.
Jeudi, le dollar est passé brièvement au-delà du seuil symbolique des 145 yens, avant de rapidement redescendre en dessous. (Crédits : FLORENCE LO)

C'est un record qu'a enregistré le dollar, jeudi, en passant brièvement au-delà du seuil symbolique des 145 yens, avant de rapidement redescendre en dessous. Du jamais vu depuis vingt-quatre ans qui s'explique par la décision de la Banque centrale japonaise (BoJ). Cette dernière a décidé de continuer de mener une politique à rebours de la grande majorité des institutions monétaires mondiales. Elle a, ainsi, maintenu sa politique monétaire ultra-accommodante qui se caractérise par son taux négatif de 0,1% sur les dépôts des banques auprès d'elle (pour les inciter à prêter davantage) et ses achats illimités d'obligations publiques japonaises pour plafonner leurs rendements à dix ans à 0,25%.

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Face à elle, la Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé, jeudi, sa cinquième hausse de son taux directeur de 75 points de base avec toujours pour objectif d'endiguer l'inflation qui, bien qu'elle ait ralenti en août grâce à la baisse des prix de l'essence, est restée à 8,3% sur un an, un niveau plus élevé que prévu. Or, la Fed veut éviter de répéter le scénario des années 1980 quand les prix avaient bondi de 15% et elle s'est fixée comme objectif de revenir à une inflation de 2,8% en 2023, prévoyant donc de nouveaux relèvements à venir. C'est la même stratégie que met en oeuvre la Banque centrale européenne (BCE) qui, après avoir augmenté ses taux d'intérêt en juillet pour la première fois en dix ans, de 50 points de base, a annoncé, le 7 septembre, un relèvement de 75 points de base, une ampleur inédite. De même, la Banque centrale d'Angleterre (BoE) devrait annoncer jeudi une nouvelle hausse substantielle de son taux directeur d'au moins 50 points de base, comme en août, ce qui était une première depuis 1995.

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Une inflation bien présente

Pourtant, le Japon est, lui aussi, soumis à l'inflation même si cette dernière reste bien inférieure aux niveaux atteints aux Etats-Unis ou encore dans la zone euro (les dix-neuf pays ayant adopté la monnaie unique). Supérieure depuis le mois d'avril à l'objectif de 2% hors produits frais de la BoJ, elle a toutefois accéléré à 2,8% en août sur un an. Si on ignore l'année 2014, où une réforme de la TVA avait gonflé artificiellement les prix, il s'agit de l'inflation la plus forte depuis 1991 dans l'archipel. « Jusqu'à présent, la forte hausse des prix énergétiques (...) tirait l'inflation. Mais la cause principale devient progressivement l'alimentation » hors produits frais, alertait le mois dernier l'institut de recherche NLI, prédisant un taux d'inflation en octobre (hors produits frais) de 2,9%. Alors que la guerre en Ukraine continue de perturber l'offre alimentaire mondiale, « aucun signe n'indique que les vagues de hausses de prix dans l'alimentation s'arrêteront de sitôt », avait, de son côté, prévenu l'institut de recherche Dai-ichi Life.

Mais, l'institution continue de s'attendre à ce que la hausse des prix à la consommation au Japon baisse de rythme à partir de l'an prochain, tout en notant que la « pression inflationniste sous-jacente » devrait augmenter. Selon elle, les conditions ne sont pas encore réunies pour un resserrement monétaire au Japon, faute notamment de hausses de salaires suffisantes pour créer un cercle vertueux de croissance.

Un yen faible qui pénalise l'économie

Au-delà de l'inflation, les stratégies des autres places monétaires, en particulier celle de la Fed, pèsent sur celle à rebours de la BoJ. Cela force la BoJ à considérablement intensifier ses achats d'obligations publiques japonaises depuis plusieurs mois, et cela fait plonger le yen car les titres financiers libellés en dollar sont bien plus attractifs.

D'autant que si la BoJ avait pour habitude de souligner que la chute du yen est un facteur plutôt positif pour l'économie japonaise, en dopant les bénéfices des groupes nippons générés à l'étranger, elle a manifesté son inquiétude face au record atteint par le billet vert, jeudi. Et pour cause, la chute du yen par rapport à la devise américaine amplifie l'inflation en renchérissant considérablement le coût des importations japonaises. « Il est nécessaire d'être attentif aux développements sur les marchés financiers et des changes et à leur impact sur l'activité économique et les prix au Japon », a-t-elle souligné.

Elle a aussi rappelé les « incertitudes extrêmement élevées » entourant l'économie du pays, parmi lesquelles l'évolution de la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, la flambée des prix énergétiques et les niveaux d'inflation observés à l'étranger, souvent bien plus élevés que dans l'archipel. Sous pression, le gouvernement nippon affirme être prêt à intervenir sur le marché des changes pour soutenir le yen. Mais une telle opération semble très compliquée sans concertation avec Washington, et pour beaucoup d'analystes, les pistolets de Tokyo sont chargés à blanc.

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Commentaire 1
à écrit le 22/09/2022 à 9:51
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On en reparlera dans 2 ans, quand les effets de la hausse des taux auront produit leurs effets sur les économies occidentales.

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