Robinhood, entre la Bourse et la vie

Adulée et détestée, la plateforme de courtage en ligne Robinhood vient déposer son prospectus en vue d’une introduction en Bourse six ans seulement après son lancement. Une opération qui pourrait valoriser le courtier autour de 40 milliards de dollars. Son modèle ludique et gratuit a révolutionné le secteur. Mais son succès fulgurant, notamment auprès d’une nouvelle génération d’investisseurs, est à la fois sa force et sa faiblesse. Sa forte dépendance aux cryptos et l’attention croissante des régulateurs sur son mode de fonctionnement font peser un risque sur la plateforme.
La plateforme de courtage en ligne Robinhood espère surfer sur son succès et sa notoriété pour convaincre Wall Street
La plateforme de courtage en ligne Robinhood espère surfer sur son succès et sa notoriété pour convaincre Wall Street (Crédits : CARLO ALLEGRI)

Robinhood voit grand. Rendue célèbre par son rôle clé dans la folle spéculation boursière sur des valeurs décotées à Wall Street en début d'année, la plateforme de courtage en ligne préférée des Américains entend profiter de ce moment de grâce pour se faire coter en Bourse.

La fintech a déposé, vendredi dernier, son prospectus auprès de la SEC, révélant au passage les chiffres de sa folle croissance. Selon la presse américaine, la valorisation de ce nouveau champion du courtage pourrait atteindre 40 milliards de dollars. Entre 20 et 35% des actions mises sur le marché seront réservés aux utilisateurs de sa plateforme. Ce qui devrait se révéler très efficace tant les boursicoteurs de Robinhood sont attachés à leur courtier et ont l'impression d'appartenir à une communauté soudée et unie « antisystème ».

Jeune et novice

Six ans après son lancement en septembre 2014, avec la promesse de « démocratiser » le trading, le chemin parcouru peut impressionner : 18 millions de clients actifs (multipliés par 2 en un an) et 79 milliards de dollars d'actifs (fin mars 2021), dont 11,6 milliards en cryptoactifs. Mieux, avec son modèle « tout gratuit » et l'approche ludique et simplifiée de son application mobile, Robinhood estime avoir convaincu la moitié des nouveaux investisseurs américains depuis 2016, avec une brusque accélération de sa croissance au premier trimestre 2020 (début de la pandémie et des mesures de confinement) et au premier trimestre 2021, au plus fort de l'affaire GameStop et de l'envolée des cryptomonnaies.

D'ailleurs, le client type de Robinhood est plutôt jeune (âge médian de 30 ans) et plutôt novice en matière boursière. Il est clair que l'influence des réseaux sociaux a joué un rôle clé dans le succès de la plateforme.

En 2020, la plateforme a réalisé un chiffre d'affaires de 958 millions de dollars, à 80% sur le passage d'ordres de Bourse, et réalisé ses premiers bénéfices (7,5 millions de dollars). Reste que 2021 s'annonce moins profitable car la fintech a passé cette année une dépréciation de 1,5 milliard de dollars sur des obligations convertibles.

Reste que Robinhood conserve une foi inébranlable dans son modèle gratuit qui, il faut le reconnaître, s'est imposé aux autres géants du secteur comme Charles Schwab. Même les principaux robo-advisors américains, comme Betterment (27 milliards de dollars d'actifs gérés) ou Wealthfront (21 milliards de dollars gérés) commencent à se tourner vers le courtage des actions et des cryptos. Un changement de cap radical, contraire aux principes même du robo advisor.

Le champion de la Bourse casino

Mais la force de Robinhood repose de ses fragilités. Au départ, Robinhood joue la carte, comme la plupart des fintechs, de la disruption numérique dans un secteur du courtage figé depuis la révolution de Charles Schwab.

Les fondateurs de Robinhood sont ainsi partis du constat que le courtage était réservé à des professionnels ou des amateurs avertis, avec interfaces généralement complexes à utiliser et des frais peu transparents. D'où le pari de proposer un accès au courtage depuis un mobile, en rendant la transaction non seulement simple en trois clics mais surtout gratuite.

Mais derrière ce pitch, finalement assez classique dans l'univers de la fintech ; Robinhood a surtout accompagné (ou transformé) les usages que les particuliers font désormais de la Bourse. Au final, la plateforme est devenue le courtier favori pour ceux qui souhaitent surtout s'amuser plutôt que de préparer leur retraite.

Quelque chose a en effet changé sur les marchés financiers depuis deux ans. Le nouvel investisseur, que tous les professionnels de la gestion commencent à percevoir (et à redouter), semble se désintéresser de la sélection de fonds ou de l'ennuyeuse gestion indicielle. Et Robinhood a su, volontairement ou non, prendre ce tournant, et même l'incarner.

Non seulement, le service est gratuit mais il permet de jouer comme au casino, avec l'espoir de gains aussi rapides qu'éphémères. Ce qui expose la plateforme au moindre dérapage, comme l'a démontré la spéculation autour de GameStop. Et à l'attention des régulateurs pour qui la Bourse n'est pas un jeu.

Effet dogecoin

Ce nouveau goût du risque de cette génération d'investisseurs est bien sûr symbolisé par la montée en puissance des cryptoactifs. Robinhood en propose le courtage que depuis 2018 mais près de 10 millions de ses clients ont déjà réalisé une opération sur un cryptoactif au cours du premier trimestre 2021.

Sur le premier trimestre 2021, 17% du chiffre d'affaires proviennent de l'activité sur les cryptomonnaies (contre seulement 4 % au premier trimestre 2020). Pire, un tiers des revenus sur les cryptos concerne le dogecoin, un crypto lancé par des farceurs pour se moquer du bitcoin et fait l'objet d'une intense spéculation. Mais, cette bulle risque à tout moment d'éclater aussi vie qu'elle n'est apparue.

Robinhood le sait et prévient même dans son prospectus qu'une « partie substantielle de la récente croissance de nos revenus nets tirés des transactions en crypto-monnaies est attribuable aux transactions en dogecoin. Si la demande de transactions en dogecoin diminue et n'est pas remplacée par une nouvelle demande pour d'autres cryptomonnaies disponibles pour la négociation sur notre plateforme, notre activité, notre situation financière et nos résultats d'exploitation pourraient être affectés de manière négative ».

De fait, le dogecoin a été la fête durant tout le premier trimestre. Du moins jusqu'à ce jour de mai où Elon Musk, l'influenceur en chef de la spéculation aux Etats-Unis (par ailleurs patron de Tesla), parfois surnommé le « Dogefather », a lâché sur un plateau TV que le dogecoin était « une arnaque », provoquant aussitôt la chute du dogcoin. Et depuis, sous la pression de la Chine et des régulateurs, les cryptos vivent une descente aux enfers, sans savoir quand la partie de Bingo sera terminée.

Toutefois, le rapide développement de l'activité sur les options - de loin la plus rentable- pourrait compenser la chute des revenus sur les cryptos et elle représente déjà près de 40 % des revenus au premier trimestre.

Pressions réglementaires

La pression réglementaire est également une grande fragilité pour Robinhood. La plateforme est en effet dans le viseur à la fois du Congrès, des régulateurs et de la justice. Cela fait beaucoup. L'annonce de l'introduction en Bourse intervient d'ailleurs à peine 25 heures après l'amende record de 70 millions de dollars (y compris les dommages et intérêts), infligée par la SEC à la plateforme pour avoir communiqué de fausses informations à des clients.

Ce n'est pas une première pour le courtier, qui a dû payer dans le passé plusieurs lourdes amendes pour mauvaise exécution des ordres ou défaut d'informations. Et le courtier fait toujours l'objet d'investigations de la SEC ou même de l'Etat du Massachusetts. Sans compter nombre de plaintes déposées par des clients estimant avoir été ruinés par des erreurs sur l'application mobile.

Le nouveau patron de la SEC Gary Gensler, qui a la réputation d'être un « dur » en matière de régulation, entend bien mettre un peu d'ordre dans les pratiques de la plateforme, suite notamment à l'affaire GameStop, qui a entraînée des pertes colossales à plusieurs hedge funds.

Le plus inquiétant pour Robinhood est Gary Gensler a laissé entendre qu'il pourrait s'intéresser de près aux règles controversées du payment for order flow, une pratique qui est pourtant au cœur du modèle de Robinhood et qui lui permet d'assurer la gratuité des transactions pour ses clients.

En gros, la plateforme « vend » les ordres de ses clients à des plateformes spécialisées, parfois des traders à haute fréquence, et sont des market makers, qui eux-mêmes profitent de ces volumes de transactions pour « faire les prix » à leur avantage sur les marchés. Dans cette tuyauterie, Robinhood apparaît particulièrement lié au mastodonte Citadel Securities, qui procure près de 30 % de ses revenus.

L'introduction en Bourse de Robinhood aura certainement de pour mesurer à la fois la confiance sur son modèle mais aussi sur l'appétence au risque des investisseurs. La précédente introduction de Coinbase n'est pas pour l'heure concluante, son cours actuel étant largement inférieur à son prix de référence (250 dollars) avant la mise sur le marché. Robinhood devra assurément mobiliser tous ses compagnons de rébellion.

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Commentaire 1
à écrit le 04/07/2021 à 8:48
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Bref elle a attiré l'attention la jalousie et donc la peur des investisseurs qui détruisent le monde en ronflant, tout comme les GAFAM, ses gens là qui ont sacrifié la jeunesse pour la vieillesse avec leur dictature sanitaire, oui on comprend bien qu...

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