SPAC : « Il y a une vraie perte de confiance des investisseurs » (Pierre Troussel, Société Générale)

Alors que la Special Purpose Acquisition Company (SPAC) Pegasus créée par Bernard Arnault et Tikehau Capital, sera liquidée en juillet 2023, Pierre Troussel, coresponsable des marchés de capitaux actions France, Belgique et Luxembourg à la Société Générale, spécialiste des levées de fonds, estime qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Loin de là. L’échec du plus gros SPAC européen révèle, en réalité, la perte d’intérêt et crédibilité dont souffrent ces véhicules d’investissement depuis leur engouement fulgurant en 2021.
Pierre Troussel, spécialiste des levées de fonds, estime que les projets de SPAC ont été beaucoup trop nombreux en 2021 pour être tous pertinents.
Pierre Troussel, spécialiste des levées de fonds, estime que les projets de SPAC ont été beaucoup trop nombreux en 2021 pour être tous pertinents. (Crédits : Société Générale)

LA TRIBUNE - Pegasus, la Special Purpose Acquisition Company (SPAC) créée par Bernard Arnault, qui était la plus importante d'Europe, avec 500 millions d'euros levés en avril 2021, a annoncé sa liquidation et le remboursement de ses porteurs lundi 10 avril. Que s'est-il passé ?

PIERRE TROUSSEL - Les conditions n'étaient pas réunies : ils n'ont pas trouvé d'entreprise de qualité, créatrice de valeur. Les sponsors (les créateurs du SPAC, ndlr) qui sont des acteurs reconnus ont choisi de rendre les fonds à leurs investisseurs après les deux ans de prospection, plutôt que de faire une acquisition d'une entreprise ne correspondant pas à leurs critères de création de valeur. C'est une décision qui préserve leur réputation.

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Pourquoi vouloir créer une SPAC ?

L'objectif de ce type de véhicule est de créer une société qui va perdurer, se développer, et voir son cours monter, en achetant des sociétés à fort potentiel dans un secteur particulier.

En fait c'est à cet effet une approche bien distincte du private equity (investissement en capital-risque) dans la mesure où une SPAC a une approche plus industrielle en amenant une société en bourse pour la développer dans la durée là où un fonds de private equity dispose d'une approche plus financière et un horizon d'investissement qui n'excède rarement 5 a 7 ans.

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Les SPAC ont-elles connu un engouement trop soudain ?

Oui, car c'est un instrument assez ancien. Il tire sa source dans les années 1980. Mais l'engouement est assez nouveau et s'est fortement accéléré il y a trois ou quatre ans aux Etats-Unis. On dénombrait une dizaine de projets par an dans les années 2000 là-bas. On est monté à une trentaine de SPAC par semaine outre-Atlantique en 2021. Cette année là, 70% des projets d'introductions en Bourse étaient des SPAC, représentant plus de 150 milliards d'euros de volume et plus 600 SPAC aux Etats-Unis au total sur l'année !

Comment expliquer cette mode des SPAC ?

Elles ont trouvé leur place dans l'environnement de taux négatifs, où il y avait beaucoup moins d'investissements intéressants, contrairement à aujourd'hui où les investisseurs peuvent acheter des obligations d'Etats à 3 ou 4% par an. Les SPAC ont su bénéficier de l'engouement qui touchait la tech en 2021. De fait, de nombreux projets ont suivi cette tendance avec l'espoir de trouver la future pépite du numérique qui multiplierait le prix de ses actions.

Au-delà de ce contexte, la proposition de valeur est assez séduisante : d'une part, on a la possibilité de co-investir avec des sponsors de renom (comme Bernard Arnault ou Bill Ackman aux Etats-Unis, ndlr) dans des secteurs où des sociétés ont une vraie valeur ajoutée. D'autre part, on conserve la possibilité de de récupérer sa mise initiale si le projet d'acquisition du SPAC ne convient finalement pas au porteur. Entre temps, il y a aussi la possibilité de céder ces titres sur le marché, le SPAC étant par construction coté en bourse.

A-t-on constaté un essoufflement de l'engouement pour les SPAC ?

On peut même dire qu'il y a eu un net coup d'arrêt dès le milieu de l'année 2021. Il y a une vraie perte de confiance des investisseurs sur ce véhicule. Et pour cause, la performance des sociétés ayant procédées à un rapprochement avec une SPAC ont été plutôt décevantes dans la grande majorité des cas. On peut citer l'exemple de la SPAC Ajax 1, qui a racheté la plateforme britannique de vente de véhicule en ligne Cazoo, pour une valorisation de 7 milliards de dollars à l'été 2021, et qui ne vaut plus que 100 millions de dollars aujourd'hui.

Dans 75 à 80% des cas, les investisseurs qui ont choisi de rester ont perdu de l'argent. Avec 600 projets par an, il y a évidemment eu une bulle sur les SPAC et certains sponsors en ont même « industrialisé » le recours à cet instrument en créant cinq, six ou sept sociétés en même temps lorsque le phénomène était en vogue. Alors forcément, aujourd'hui, ça ne donne pas confiance pour investir dans ce genre de véhicule et encore moins pour rester investi une fois l'entreprise rachetée.

Le marché a connu trop de projets, trop rapidement. En réalité, il n'y a pas assez de cibles pour un tel nombre de SPAC et encore moins d'entreprises intéressantes ou créatrices de valeur.

Quel avenir peut-on envisager pour ces véhicules d'investissement ?

Ce produit, qui existe depuis plusieurs décennies, ne devrait pas disparaître du jour au lendemain. On a simplement eu une correction, et un retour à la normale d'un marché qui ne pouvait pas absorber autant de projets.

Pour qu'il se pérennise durablement, Il faudrait que cet instrument soit utilisé de manière raisonnable pour qu'ils puissent cibler des sociétés à acheter qui soient créatrices de valeur et qui puissent tirer la valorisation des SPAC vers le haut après la conclusion des projets de rapprochement, et plus largement dans la durée.

Enfin, il est important de veiller à ce que le projet s'appuie dès sa constitution sur des investisseurs de longs termes particulièrement enclins à accompagner la société pendant une longue période et non des contreparties qui n'adhèrent pas réellement au projet industriel porté par les Sponsors et qui se tourneront rapidement vers le remboursement une fois le projet de « combinaison » annoncée.

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Commentaires 3
à écrit le 13/04/2023 à 10:17
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Manque de confiance des investisseurs ? Nous ne pouvons qu'inverser la question, pouvons nous faire encore confiance a de soi-disant investisseurs ? ;-)

à écrit le 13/04/2023 à 7:56
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d'un autre cote ca ne presentait aucun interet comme outil, homis rincer une fois de plus du gogo!!!!! on vit dans une societe hallucinante de gens a petit niveau eduques sur tiktok! on leve de l'argent, mais on ne sait pas pourquoi ni combien, mais ...

le 13/04/2023 à 12:42
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Ici il y a quand même une différence avec l'argent public qu'on jette par la fenêtre: le remboursement.

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