Devoir de vigilance : la loi française a ouvert la voie mais peut mieux faire

Un rapport revient sur les avancées qu'a permis la loi sur le devoir de vigilance des entreprises, adoptée en mars 2017. Il ressort que cette dernière pourrait être améliorée, en élargissant notamment son périmètre d'application. La législation française a en tout cas inspiré une directive européenne très attendue et qui doit elle aussi être présentée.
Pour les députés Coralie Dubost et Dominique Potier : « La France a été pionnière en la matière et a (...) ouvert la voie à une révolution européenne de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ».
Pour les députés Coralie Dubost et Dominique Potier : « La France a été pionnière en la matière et a (...) ouvert la voie à une révolution européenne de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ». (Crédits : Polytesse)

Des bons et des mauvais points. Voilà ce que distribue le rapport des députés Coralie Dubost (groupe La République en Marche) et Dominique Potier (Socialistes et apparentés), présenté ce mercredi 23 février, à propos de la loi sur le devoir de vigilance. Cette dernière, instaurée en mars 2017 force les plus grosses entreprises françaises à élaborer des plans de vigilance. Leur objectif : définir des « mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques (découlant de leur activité) et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement ».

« La loi française a ouvert la brèche et montré qu'il était possible de mettre fin à l'impunité juridique dont bénéficiaient plusieurs multinationales », salue Swann Bommier, chargé de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire (anciennement "Comité catholique contre la faim et pour le développement").

Coralie Dubost et Dominique Potier se félicitent également que « la France a été pionnière en la matière et a (...) ouvert la voie à une révolution européenne de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ». Mais, près de cinq ans après l'adoption de la loi, « le nombre d'entreprises françaises effectivement assujetties (...) n'est pas précisément connu » et plusieurs sociétés emblématiques restent exclues de son périmètre d'application, relève le rapport.

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Revoir les seuils à la baisse

Le rapport Dubost-Potier est publié alors que la Commission européenne doit justement présenter ce mercredi 23 février une proposition de directive qui corrige plusieurs imperfections de la loi française pointées par les deux députés.

Parmi ces manquements, les auteurs du rapport citent le seuil d'assujettissement des sociétés au devoir de vigilance. La loi de mars 2017 prévoit que seules les entreprises de plus de 5.000 salariés en France ou de plus de 10.000 salariés en France et à l'étranger soient soumises au devoir de vigilance. Mais « ce seuil est beaucoup trop élevé », regrette Swann Bommier. Et d'ajouter : « Certaines entreprises ont un nombre très important d'employés à l'étranger et très faible en France ».

Une critique reprise à leur compte par les deux députés, qui suggèrent dans leur rapport d'abaisser le seuil. Ils proposent par ailleurs d'introduire le chiffre d'affaires comme un critère d'assujettissement alternatif à celui des effectifs.

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Une loi qui a inspiré l'Europe

Pour rédiger sa proposition de directive, la Commission européenne s'est « inspirée » de la loi française de 2017, comme l'a rappelé dans nos colonnes Olivia Grégoire, la secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable. Emmanuel Macron en a d'ailleurs fait l'une des priorités de la présidence française de l'Union européenne.

« La directive sur le devoir de vigilance marquera un tournant car elle place l'intégralité de la chaîne de valeur au cœur du capitalisme responsable. La présidence française du Conseil de l'Union européenne va pouvoir entamer les discussions sans tarder en espérant qu'elles gardent un niveau d'ambition exigeant », considère Olivia Grégoire.

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L'exécutif européen n'est pas resté non plus insensible aux deux idées du rapport Dubost-Potier. La proposition de directive de la Commission prévoit en effet d'inclure dans son champ d'application les entreprises de plus de 500 employés et qui réalisent 150 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel - des critères cette fois cumulatifs.

Outre la taille des entreprises, leur forme juridique peut également poser problème. La mission d'évaluation de la loi de 2017 relève ainsi que le texte exclut de son périmètre d'application des sociétés emblématiques telles que Primark France, Zara, H&M ou Lidl France. En conséquence, les auteurs du rapport appellent à élargir la loi à « toutes les formes juridiques d'entreprises ».

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Mieux associer les parties prenantes

Les parlementaires plaident enfin pour une meilleure association des parties prenantes à l'élaboration des plans de vigilance. « Il est nécessaire non seulement d'impliquer les organisations syndicales ainsi que les associations et organisations non gouvernementales, mais également les populations et institutions locales dans les pays où sont localisés les sous-traitants ou les filiales », considèrent-ils.

Pour accompagner ces parties prenantes et les entreprises dans la mise en œuvre de la loi, mais aussi exercer des missions de contrôle, Coralie Dubost et Dominique Potier proposent de créer une autorité administrative indépendante. Ils préviennent néanmoins qu'il faudra « veiller à ce que l'instauration d'un contrôle administratif ne se substitue pas à la voie judiciaire et qu'il ne conduise pas les entreprises à considérer le devoir de vigilance comme une simple liste de « cases à cocher » qui seraient définies par l'autorité administrative et qui permettraient de se conformer à la législation en vigueur sans réelle attention à l'activité réelle des fournisseurs et sous-traitants ».

Une instance de ce type « permettrait de clarifier ce qui est attendu des entreprises », estime en tout cas Charlotte Michon, déléguée générale de l'association Entreprises pour les droits de l'homme, qui fédère des grandes entreprises françaises comme Decathlon, EDF ou L'Oréal. « Les entreprises sont en attente d'accompagnement », souligne-t-elle.

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Cinq actions en justice

En l'absence de chiffres officiels, les associations Sherpa et CCFD-Terre Solidaire indiquaient en juillet 2021 que sur les 263 entreprises en principe assujetties, 44 n'avaient publié aucun plan de vigilance.

Le rapport Dubost-Potier relève par ailleurs l'existence de cinq actions en justice en lien avec le devoir de vigilance. Des recours qui visent par exemple TotalEnergies, pour un forage en Ouganda qui gênait les cultures vivrières des populations, ou encore le groupe Casino, pour de la déforestation en Amazonie à des fins de production de viande bovine, mais aussi EDF et la société Suez.

Comme le rappelle Olivia Grégoire, Shell a été condamné aux Pays-Bas à baisser ses émissions de 45% d'ici 2030 après avoir été attaqué en justice par des ONG, qui accusaient le géant pétrolier de ne pas faire assez pour s'aligner sur l'accord de Paris. Une décision historique car seuls des pays avaient été condamnés pour leur manque d'ambition climatique jusqu'alors. Pour la secrétaire d'État, « légiférer apporte un garde-fou car cela encourage les sociétés à se transformer et donc à coller au changement structurel en cours ».

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(Avec AFP)

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Commentaires 2
à écrit le 23/02/2022 à 14:00
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on est curieux de savoir comment ils vont controler les entreprises chinois et venezueliennes, qui sont tolerantes car liees a des regimes d'ultragauche..........sinon, faudra pas s'etonner des fuites des sieges sociaux, et des declarations certifiee...

à écrit le 23/02/2022 à 10:12
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Mouais bof... Les multinationales et autres entreprises sont déjà invitées à publier des chartes qu'elles n'ont pas à respecter, quelle est la différence ? Resserrer l'influence des réseaux ? Les sélectionner ?

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