Exxelia : le dossier balance entre les concepts de souveraineté et d'attractivité de la France

La vente d'Exxelia à l'américain Heico devient très politique. Les ministres des Armées et de l’Économie Sébastien Lecornu et Bruno Le Maire vont devoir trancher entre attractivité et souveraineté de la France. Mais l'hôtel de Brienne devra d'abord trouver un chevalier blanc pour la reprise d'Exxelia s'il veut un actionnariat français dans le capital de cette société, en passe d'être vendue par le fonds britannique IK Partners.
Michel Cabirol
Les composants d'Exxelia à bord du Rover Perseverance
Les composants d'Exxelia à bord du Rover Perseverance (Crédits : Exxelia)

Le dossier Exxelia est désormais bien ancré dans les préoccupations du ministre des Armées. Lors de son audition mardi au Sénat, Sébastien Lecornu a personnellement tenu à répondre à une question du sénateur du Calvados Pascal Allizard sur la vente de cette ETI (160 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2021) créée en 2009 alors que le Délégué général pour l'armement Emmanuel Chiva était pourtant à ses côtés. "D'un seul mot, ils font des choses qui nous intéressent très directement en souveraineté au-delà de l'intérêt industriel", a-t-il expliqué. La société Exxelia, qui est en passe d'être vendue par la société britannique de capital-investissement IK Partners à une entreprise américaine Heico Corp, va-t-elle être le nouveau Photonis de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ?

Un dossier devenu très politique

Le dossier est aujourd'hui devenu très politique. Comment Sébastien Lecornu et le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, qui est également celui de la Souveraineté industrielle, vont-ils régler ce dossier ? A l'amiable ou aux couteaux ? Florence Parly avait eu gain de cause début 2021 pour Photonis, qui avait finalement atterri dans le groupe luxembourgeois HLD. Mais il semblerait que Bruno Le Maire ne souhaite pas faire de Photonis une jurisprudence au sein de la BITD. D'autant qu'il est également garant de l'attractivité de la France vis-à-vis des investissements étrangers. Une double casquette qui n'est pas sans paradoxe.

"Cette majorité a eu le courage de prendre les décisions nécessaires, a répondu mardi à l'Assemblée nationale Bruno Le Maire à une question sur Exxelia du député de la Moselle, Alexandre Loubet (Rassemblement national). Pour la première fois depuis vingt ans, le solde des créations d'emplois industriels et des ouvertures d'entreprises industrielles est positif. La France est redevenue le pays le plus attractif pour les investissements étrangers et pour la création d'emplois industriels. Tout cela grâce à la politique de cette majorité et à la constance de notre ligne économique !"

Le 20 septembre, le ministre délégué en charge de l'industrie Roland Lescure avait déjà donné le ton du ministère de l'Économie. "Le groupe Exxelia était détenu jusqu'à présent par un fonds anglais, ce qui n'a pas empêché l'État de s'assurer que notre souveraineté, dans le domaine, était respectée, avait expliqué à l'Assemblée nationale le ministre. Je rappelle que la procédure de contrôle des investissements étrangers en France a été étendue à de nouveaux secteurs, dont celui qui intéresse cette entreprise, et que l'État exerce son droit de regard". Faut-il également noter qu'Exxelia réalise 30% environ de son chiffre d'affaires aux Etats-Unis.

Un chevalier blanc d'ici à la fin de l'année ?

Pour autant, Sébastien Lecornu, qui se revendique souvent du gaullisme, a déjà enclenché la marche avant sur ce dossier. "Il existe une disposition Montebourg, qui permet à l'État de s'immiscer dans une transaction si nous estimons que...", a-t-il rappelé au Sénat. Et de préciser que "les équipes de la DGA et du ministère des Armées - mon cabinet pour être clair -, en lien avec Bercy, sont en train de faire des tours de table sans être agressif vis-à-vis du vendeur ou d'un éventuel acheteur, mais dire que nous sommes bel et bien là et que, oui, il y a bien des intérêts de souveraineté sur ce que fait Exxelia".

Sébastien Lecornu a "bon espoir dans les quelques semaines qui viennent, en tout cas avant la fin de 2022 d'être plus disert et plus précis sur Exxelia". Au sein de la Direction générale de l'armement, on reste prudent, tout en rappelant qu'Exxelia était déjà contrôlé par une entreprise étrangère depuis décembre 2014. "On sait également protéger une entreprise française rachetée par un investisseur étranger grâce au dispositif des investissements étrangers en France", précise-t-on à La Tribune. C'est d'autant plus vrai depuis le renforcement de la règlementation du contrôle des investissements étrangers en France (IEF), dans le cadre notamment de la loi Pacte en 2019. Toutefois, la DGA ne lâchera pas Heico Corp sans avoir agréé une solution française robuste et solide pour Exxelia, qui devrait réaliser 190 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022, selon Heico.

Exxelia n'est pas Photonis

Si le dossier Exxelia prend aujourd'hui le chemin de celui de Photonis, les deux sociétés n'ont pas le même niveau de criticité pour les forces armées. Pour les forces spéciales, Photonis avait des briques technologiques rares, comme notamment les amplificateurs de lumière, qui devaient rester en France pour ne surtout pas dépendre de l'étranger. Elles ont réussi à mobiliser les responsables politiques, y compris le chef de l'État, à travers des relais au plus haut niveau de l'état. Exxelia ne bénéficie pas de cet effet de rareté qu'avait détecté les forces spéciales françaises, ni donc du soutien de corps prestigieux au sein des armées. Cette société, dont le siège social est basé à Paris, reste parmi d'autres un fabricant de composants électroniques passifs, de capteurs de positions, de condensateurs et de collecteurs tournants. Et ce quand bien même Exxelia équipe le Rafale, l'A320neo, Ariane 5 et bientôt Ariane 6, les sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda mais aussi les constellations de satellites Galileo ou Oneweb.

Pourquoi la vente d'Exxelia par IK Partners n'a pas suscité d'offres séduisantes sur le plan financier par des acteurs français comme l'a rappelé le 5 octobre Emmanuel Chiva à l'Assemblée nationale - "Lors de la mise en vente, un tour d'horizon a été réalisé, il se trouve que les offres françaises n'étaient pas à la hauteur" ? Le dossier Exxelia a fait reculer, explique-t-on au sein de la DGA, les acteurs français. Ils n'ont pas compris lors de la précédente vente en 2020, pourquoi le groupe HLD, spécialisé dans le private equity, avait renoncé à Exxelia alors qu'il était en négociations exclusives. Et "tout le monde a pensé qu'il y avait un loup dans le dossier Exxelia", confie-t-on au sein de la DGA. HLD, qui fait un travail formidable pour le compte de Rafaut (devenu Aresia) et qui a racheté Photonis entretemps, n'avait finalement pas convaincu le management d'Exxelia, dont le PDG Paul Maisonnier sur l'avenir de la société, selon nos informations. Et le management a eu gain de cause auprès du vendeur, qui n'a pas poursuivi avec HLD... Finalement le Covid-19 invoqué par HLD a eu bon dos pour cet échec discret. Pas sûr s'il était à nouveau tenté, qu'il puisse revenir dans le match aujourd'hui.

Aujourd'hui c'est l'offre d'Heico, qui est sur la sellette pour des raisons politiques. Fin juillet, Heico Corporation avait annoncé que sa filiale Electronic Technologies avait conclu un accord en vue d'acquérir Exxelia auprès d'IK Partners pour un montant de 453 millions d'euros plus la prise en charge d'environ 14 millions d'euros de dettes. Dans cet accord, la direction et les salariés d'Exxelia (2.100 personnels répartis sur 12 sites) ont la possibilité de continuer à détenir une participation minoritaire d'environ 5 % de la société. Heico a prévu de conclure l'acquisition d'ici à la fin du premier trimestre 2023 à l'issue des consultations sociales et réglementaires.

Michel Cabirol

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Commentaire 1
à écrit le 15/10/2022 à 17:17
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Et les français vont devoir travailler jusqu'à 65 ans pour financer les fonds de pensions de nos riches amis américains. Il ne faut pas croire que les bénéfices de cette entreprise vont rester en France pour financer notre modèle social.

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